Quand nos meilleurs esprits nous incitent à l'immobilisme

Alors il va falloir choisir son camp. Parce que la bataille qui commence ne laissera personne indifférent. Vous aussi vous choisirez, et je vous parie que, dans les prochaines semaines, vous serez soit «?optimiste?», soit «?déclinologue?».Ce sont les premiers d'ailleurs qui sonnent la charge, avec un slogan résumé dans le site Internet que lance le Cercle des économistes :?tousoptimistes.com. C'en est désarmant, non ? (un sondage, sur le site, qui nous interroge sur notre état d'esprit, nous propose même l'option « moyennement optimiste », concept sur lequel je m'interroge encore...). Leur traité fondateur est déjà publié, signé par deux économistes Karine Berger et Valérie Rabault : « les 30 glorieuses sont devant nous ». Leur combat tient en quelques lignes : le modèle français est solide, « même sans réformes d'ampleur, avec des politiques économiques et sociales bricolées par une succession de rustines, le pire n'est pas le plus probable et de loin ». D'ailleurs, les deux auteurs racontent l'épopée d'un pays qui aurait repris en main son destin industriel et trouvé la ressource d'attirer les jeunes talents du monde entier dans un pacte social réinventé.La fable est belle. Et pourtant je ne peux m'empêcher d'écouter l'autre camp : Nicolas Baverez, incontestable champion de cette chevalerie du déclin. Son livre choc, « la France qui tombe » date de dix ans, mais puisqu'elle tombe de haut, la chute continue : « La France cumule aujourd'hui l'État providence grec, la compétitivité italienne et la fiscalité suédoise », disait-il récemment lors d'un dîner de gens influents, « et une monnaie allemande », ajoutait d'ailleurs l'un des convives.Et qui pourra prétendre sérieusement qu'il en est autrement ? Je sais déjà que les « optimistes » vont balayer ces arguments d'un revers de main. Le président du Cercle des économistes commençait déjà la semaine dernière : « la France est la cinquième puissance mondiale, et même si nous ne devions faire aucune réforme, nous serions encore dans le peloton de tête dans vingt ans ». Argument mis en avant : la force du CAC 40 ! « 36 des 500 premières entreprises sont françaises, seule l'Amérique fait mieux. » M. Lorenzi, vous savez parfaitement que ces entreprises sont les héritières d'un monde qui n'existe plus et qu'elles se détachent, lentement, insensiblement, d'un pays natal qui leur ressemble de moins en moins. Gérard Mestrallet, le patron de GDF Suez, affirme tant et plus que l'ancrage national est au coeur des « gènes » de son entreprise, mais c'est quand il parle de la puissance du Brésil que ses yeux s'allument ! Qui pourra, par exemple, prétendre sérieusement qu'on ne vient pas de vivre une séquence fiscale à hurler, une de plus. Elle s'est ouverte avec la réforme du crédit d'impôt recherche : le « modèle français » est peut-être formidable, mais la réalité c'est que des centaines d'entreprises innovantes ont dû refaire de fond en comble les budgets, et supprimer un emploi quand il y en avait dix. A-t-on les moyens de se priver de cette énergie ? Elle s'est refermée sur une nouvelle fuite de patrimoines : les spécialistes de l'assurance-vie sont catégoriques, si on a enregistré une telle baisse de collecte depuis le début de l'année, c'est que des millions se sont expatriés. A-t-on les moyens de se priver de ces capitaux ? En fait, très sincèrement, je ne comprends pas pourquoi nos meilleurs esprits nous incitent à l'immobilisme, car c'est bien de ça qu'il s'agit : dors en paix, mon pays, les trésors accumulés te nourriront pendant des siècles. À quoi correspond cette posture ? Évidemment, je croise tous les jours des boîtes qui se battent et qui innovent, mais je sais aussi que leurs patrons me disent que c'est plus rude chaque jour. Je ne comprends pas que l'on puisse plaider autre chose que l'urgent, l'indispensable sursaut. Quand arrêtera-t-on de perdre notre temps ?
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