Réinventer le contrat social dans l'entreprise

L'entreprise française a mal à son contrat social : taux de participation aux baromètres internes de climat social inférieurs à 40 % des collaborateurs, situations de stress excessif dont les suicides constituent le sommet de l'iceberg, managers intermédiaires écartelés entre les exigences de la direction et les attentes du corps social, débats incessants sur le partage du profit, tels sont quelques signes de ce malaise qui touche toutes les strates de l'entreprise, y compris les cadres supérieurs.Face à ce constat, des entreprises avant-gardistes ont décidé d'agir pour refonder la confiance qui lie les actionnaires, les dirigeants et les collaborateurs, comme celles qui, par exemple, ont créé au sein du Medef une commission « Respect de l'homme » ou se sont regroupées au sein de l'Observatoire de la parentalité en entreprise.Deux siècles et demi après la publication, en 1762, du « Contrat social » de Rousseau, nos sociétés développées vivraient-elles les prémices d'un vaste mouvement de réinvention de leur contrat social ?Pour impulser cet élan, les leviers ne manquent pas. Le premier consiste à reformuler les termes du contrat « gagnant gagnant » qui doit exister entre l'entreprise et ses collaborateurs. À cet effet, les entreprises doivent expliquer clairement à leurs salariés, d'adulte à adulte, leurs attentes en termes de performance économique, d'innovation ou encore d'implication sur des projets de changement. Restaurer la confiance implique aussi de partager les bonnes et les mauvaises nouvelles, de permettre aux collaborateurs de comprendre les enjeux économiques de leur entreprise et de s'approprier sa stratégie.Cependant, comme l'exposait Rousseau (« Du contrat social », Livre II, chapitre IV), « les engagements qui nous lient au corps social ne sont obligatoires que parce qu'ils sont mutuels, et leur nature est telle qu'en les remplissant on ne peut travailler pour autrui sans travailler aussi pour soi ». Les collaborateurs doivent donc, de façon réciproque, sentir leurs attentes écoutées en matière, certes, de rémunération ou de carrière, mais aussi, de plus en plus, en termes de respect de leur écosystème, de prise en compte de leurs moteurs de motivation ou encore de valorisation non monétaire de leur contribution.Pour mettre en synergie ces attentes réciproques des dirigeants et des collaborateurs, les systèmes de communication interne doivent être adaptés. Par ailleurs, les managers intermédiaires doivent jouer leur rôle de « courroie de transmission » entre l'institution et le corps social : il leur incombe de porter les messages du haut vers le bas et de remonter les feed-backs du corps social vers l'institution.Encore faut-il que ces managers entretiennent une relation de confiance avec leur équipe. En France, la représentation du collaborateur tire-au-flanc, qu'il faut houspiller et contrôler, a le cuir solide. Cette représentation mentale, où l'être humain doit être détourné, de gré ou de force, de sa propension naturelle à l'oisiveté ou à des activités non directement productives pour l'employeur, n'est-elle pas dépassée ? Cette vision engendre un management par le stress et la peur, où la confiance n'a plus sa place. Chez les collaborateurs, après des phases éventuelles de surengagement, elle finit par entraîner de la démotivation et du « perdant perdant ».S'il y a désengagement, c'est parce que l'on a oublié qu'un être humain est un écosystème qui ne se réduit pas à sa dimension professionnelle, mais trouve son bien-être psychologique dans une pluralité de sphères d'épanouissement : professionnelle, certes, mais aussi familiale, artistique, spirituelle, sportive... À chacun son cocktail. Permettre aux collaborateurs d'atteindre cet épanouissement pluriel est bon pour eux et bon pour la performance des entreprises, car la créativité, la qualité de la relation client et la contribution à l'efficacité collective - trois leviers clés de performance - sont plus fortes chez des individus équilibrés et épanouis. Il y a là les termes d'un nouveau contrat social « gagnant gagnant » qui peut s'instaurer dans nos entreprises.C'est la raison pour laquelle certaines sociétés avant-gardistes mettent en place, pour leurs collaborateurs, des programmes d'aide à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, comportant des aides aussi diverses que les conciergeries d'entreprise, le télétravail, la distribution de Cesu ou la formation des managers à la prise en compte de la vie personnelle de leurs collaborateurs.Néanmoins, pour incarner cette vision positive de l'individu et de l'entreprise, a-t-on en France des dirigeants exemplaires ? Nos dirigeants prennent-ils en considération l'équilibre de leurs collaborateurs ? S'interdisent-ils par exemple de téléphoner à leurs équipes à des heures indues ? Consacrent-ils du temps à leur famille et à des activités extraprofessionnelles ? Face aux enjeux de l'avenir, mettent-ils en oeuvre des stratégies de transformation participatives et humainement responsables ?Réinventer le contrat social dans l'entreprise appelle donc des initiatives multiples sur une pluralité de champs : restauration de la relation de confiance et du « gagnant gagnant », exemplarité des dirigeants et des managers, ou encore aide à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. C'est à ce prix que nous retrouverons le chemin d'un engagement sain et durable en faveur de l'entreprise.(*) Jérôme Ballarin est l'auteur de « Travailler mieux pour vivre plus », Éditions Nouveaux Débats Publics, 2010.
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