Saclay se rêve en MIT français

Tout un symbole. Ce vendredi, le ministre de la Défense, Hervé Morin, pose la première pierre du futur campus de l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA ParisTech) à Saclay, qui émergera en 2012 sur les terres de Polytechnique. Trois semaines après que Nicolas Sarkozy a annoncé la venue de six grandes écoles à Saclay, l'ENSTA joint donc le geste à la parole présidentielle. Mais il aura fallu pas moins de... trente-six ans pour que cette école concrétise son projet de déménagement sur le plateau. Alors que les avantages sont nombreux, selon son directeur, Yves Demay : augmentation du nombre d'étudiants, de l'ouverture internationale, mutualisation des enseignements et de la recherche avec les autres établissements et resserrement des liens avec les entreprises. « Nous n'aurons plus aucun laboratoire en propre », prévoit-il.Le cas de l'ENSTA illustre assez bien les tribulations du campus de Saclay depuis les années 1970 : projet long, nouvelle implantation facilitant les collaborations mais ne faisant pas l'unanimité, crainte du manque de transports... De l'implantation de l'X en 1976 au grand « cluster » international à même de concurrencer les champions des classements mondiaux que sont les MIT, Berkeley, Stanford et autres Oxford à l'horizon 2020, la route est longue... Les établissements français sont rares dans les tops 100. Polytechnique, le mieux classé des établissements de Saclay, pointe par exemple au 36e rang du QS et au 39e du Times Higher Education. L'université Paris-Sud XI a rétrogradé à la 45e place dans celui de Shanghai. Si Saclay bénéficie actuellement d'un coup d'accélérateur indéniable et d'investissements privilégiés (1,8 milliard d'euros au titre de l'opération Campus et du grand emprunt), il doit se construire à partir d'un existant très dispersé. Alors qu'au même moment, comme le fait remarquer le général Xavier Michel, directeur général de Polytechnique, « trois Saclay poussent à Shanghai ».Pour Pierre Veltz, PDG de l'établissement public de Paris-Saclay, l'heure est donc à la « densification » de l'espace et à la mutualisation. Polytechnique va ainsi partager son immense campus (plus grand que ceux de Berkeley et Stanford). Plus question de voir se poursuivre une logique de « lotissement » qui a prévalu jusque-là, insiste Pierre Veltz, chaque établissement s'implantant avec ses propres bâtiments même lors de projets communs... C'est à cette condition que Saclay pourra concurrencer les plus grands. « L'innovation est aujourd'hui plus aléatoire et interdisciplinaire. Ce qui marche ailleurs, ce sont ces grandes plates-formes industrialo-universitaires », constate Pierre Veltz qui croit à un modèle « bottom-up » (du bas vers le haut). « Mais il faut y mettre les conditions car il y a des résistances. »De fait, nombre de chercheurs dénigrent un pilotage « à marche forcée », sans que le problème des transports n'ait été réglé. Le risque ? « Que personne n'y aille », selon Patrick Monfort (CNRS), du SNCS-FSU. Certaines grandes écoles tels les Mines ou l'Institut Télécom souhaiteraient garder un pied dans Paris. Mais Paul Vialle, le président de la Fondation de coopération scientifique (FCS), assure que les 23 « acteurs ont compris qu'il fallait jouer collectif ». L'État ne leur laisse pas le choix. Le ministère de l'Enseignement supérieur surveille de près la pertinence des programmes communs. La FCS est très exigeante sur leur « visibilité internationale » et leur « convergence », poussant les acteurs à structurer leurs activités autour de 12 domaines scientifiques.Les rapprochements dans les nanotechnologies placent ainsi Saclay à la première place européenne. L'université Paris-Sud XI, le CEA et le CNRS vont créer un pôle biologie-santé de premier ordre ; l'Institut des hautes études scientifiques (IHES), Paris-Sud XI et Polytechnique une fondation mathématiques digne de ce que l'on trouve à Boston. Même discours au Commissariat général à l'investissement, chargé de piloter le grand emprunt : pour la partie immobilière de l'opération Campus, « tout doit se faire de manière cohérente autour de deux pôles (Le Moulon et Polytechnique) dotés d'une réelle synergie, de centres communs et d'une densité comparable aux standards internationaux ». « Nous pensons que la densification du campus va nous permettre de créer ensemble une ?graduate school? », projette ainsi Xavier Michel, qui va bénéficier de la proximité immédiate d'une dizaine d'établissements. Pour la partie scientifique, le CGI a aussi incité les acteurs à resserrer leurs réponses aux appels à projets. Résultat, ne seront soumis qu'un seul projet d'initiative d'excellence (contre deux prévus au départ), qu'un seul d'Institut de recherche technologique (IRT) ou encore que 13 équipements d'excellence (contre 59 prévus).Jean-Lou Chameau, le président du California Institute of Technology (Caltech), dans le top 10 de tous les classements mondiaux, estime que « si la structure du système français ne l'aide pas à monter dans les classements » en raison de programmes trop spécialisés et de la dissociation universités-organismes de recherche, les « réformes en cours vont dans la bonne direction, avec des financements plus compétitifs, comme aux États-Unis. Selon lui, au-delà de la densification de l'espace, la mise en réseaux des acteurs, quelle que soit leur étendue, joue autant pour la compétitivité. Pour autant que les transports soient à la hauteur. Autre risque, celui d'une concentration de crédits sur Saclay, critique récurrente. « La répartition de l'argent dans la recherche est compétitive partout dans le monde, explique-t-on à l'Élysée. Il y aura une concentration et c'est ce que nous voulons explicitement. Aux États-Unis, seules une trentaine d'universités sur 2.000 font de la recherche de premier plan. Nous essayons de faire la même chose sur Saclay. » Mais le patron de l'établissement public de Paris-Saclay nuance : « Saclay est un élément du système universitaire francilien. » Selon lui, « ce n'est d'ailleurs qu'à l'échelle de l'Île-de-France que la comparaison galvaudée avec la Silicon Valley peut éventuellement tenir la route ».Clarisse Jay
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