« Nous sommes allés aussi loin que nous le pouvions dans la zone euro »

jean-françois Théodore, directeur général adjoint de Nyse-eURONEXTVous vous apprêtez à quitter Nyse-Euronext après vingt ans passés à la tête de la Bourse de Paris. Quelles ont été les principales mutations ?Aujourd'hui, une Bourse est pour l'essentiel une entreprise technologique qui offre une gamme de services de plus en plus étendue aux opérateurs de marché et aux émetteurs, avec une valeur ajoutée à la fois technologique et réglementaire, en matière de transparence et d'équité. Cette valeur ajoutée n'est d'ailleurs pas suffisamment reconnue dans les textes européens actuels. Lorsque je suis arrivé à la SBF en janvier 1990, le directeur de la société était encore nommé par arrêté ministériel. J'ai été le premier président à ne pas être agent de change. Le passage à l'informatique pour les négociations sur les grandes valeurs de la cote et la cotation en continu était récent. Les valeurs moyennes s'échangeaient encore à la criée. De grandes étapes ont été franchies depuis : la démutualisation, la dérégulation, le passage à l'euro ? qui d'ailleurs nous a fait passer quelques nuits blanches pour respecter les délais dans un planning tendu, où Dominique Hoenn et moi pilotions de pair acteurs et marchés. Puis il y a eu la naissance d'Euronext, sa cotation en Bourse. Enfin, Euronext Paris est devenu le fleuron du premier groupe boursier mondial.Quels auront été les défis les plus difficiles à relever ?Les premières années auront peut-être été les plus dures, avec notamment la défaillance de Tuffier-Ravier-Py [en juillet 1990, Ndlr], à une époque où Paris n'avait pas de chambre de compensation. Dans une conjoncture de marché difficile, plusieurs sociétés de Bourse ont fait faillite. La Bourse de Paris était confrontée en outre à la concurrence de Seaq International, le segment des valeurs étrangères de la Bourse de Londres, qui pouvait concentrer jusqu'à 30 % des échanges sur les valeurs françaises. Je me souviens d'ailleurs avoir consulté une dizaine de personnes avant de rejoindre la SBF. Le verdict était alors unanime : face à Londres, Paris était fichu ??une phase de dépression dont le retour est aussi régulier que le démenti flagrant.Y a-t-il de mauvais souvenirs ?Peut-être en juillet 1998. Nous avons eu la mauvaise surprise de découvrir un soir à 18 heures que la Bourse allemande, avec qui nous étions en discussions avancées ??lettre d'intention à l'appui?? concernant à la fois le marché au comptant et les dérivés, nous avait tourné le dos pour tenter de se rapprocher du London Stock Exchange. Sans succès d'ailleurs.Quels auront été les meilleurs moments ?La constitution d'Euronext, à n'en pas douter. Le concept nous est venu fin 1999. Nous avions alors dans l'idée, avec mes homologues néerlandais (George Möller) et belge (Olivier Lefebvre), de ne rapprocher que les structures de compensation. Puis, nous nous sommes dits que nous pouvions aller plus loin et rassembler également la totalité des structures boursières dans une fusion complète et inédite. En septembre 2000, Euronext était née, à l'unanimité de nos actionnaires. Le 6 juillet 2001, Euronext faisait ses premiers pas en Bourse, dans un contexte difficile avec l'éclatement de la bulle Internet. Introduite à 24 euros, l'action avait terminé sa première séance à 21 euros? Le placement des titres avait été serré. Chacun de nous avait dû aller défendre les couleurs du groupe dans les différentes capitales européennes. Et finalement, un fonds important a accepté de prendre un bloc de titres, nous permettant de boucler l'opération.Quid du rachat du Liffe, le marché à terme londonien ?Un très bon souvenir, encore. En 2000, les fonds de capital-investissement venus à la rescousse d'un Liffe en difficulté deux ans plus tôt ont procédé à un appel d'offres pour céder leurs participations. Le Liffe revêtait pour nous un intérêt stratégique évident, afin de nous renforcer sur les produits dérivés et en particulier les produits de taux. Deutsche Börse et le London Stock Exchange (LSE) étaient également en lice.En 2007, il y a eu la fusion avec New York. La Bourse unique européenne n'était-elle réellement pas envisageable ?Le souhait d'une grande Bourse paneuropéenne est un rêve qui n'a pas été soutenu par l'environnement réglementaire communautaire, qui n'a jamais eu en tête que la concurrence, même au prix de la pire fragmentation. La directive Marchés d'instruments financiers (MIF), en préparation dès 2002, a permis l'arrivée d'opérateurs alternatifs comme Chi-X ou des systèmes d'appariement des ordres lancés par les banques. Je ne vois pas comment une Bourse dite unique aurait réellement pu jouer un rôle structurant dans ce contexte. Avec Euronext, nous avons toujours été en pointe, innovateurs. Nous sommes allés aussi loin que nous le pouvions dans la zone euro, créant un marché totalement unifié entre la France et le Benelux. En matière de post-marché, nous sommes ceux qui avons donné le plus pour l'unification du règlement-livraison et de la compensation, même si la fusion de 2003 entre LCH et Clearnet n'a pas tenu toutes ses promesses. Nous avons fait plusieurs tentatives pour nous rapprocher de Deutsche Börse, avant même la création d'Euronext. Par deux fois, ils se sont retournés vers Londres.Vous n'évoquez pas vos propres tentatives d'approche du LSE ?Nous étions au niveau de l'accord d'intention avec le London Stock Exchange en 2005. Sans l'intervention des autorités de la concurrence britannique ??qui ont fait traîner le dossier durant de longs mois, avant finalement de dire oui??, l'opération aurait été conclue.Quelle fusion aura été la plus lucrative pour vous ?Je n'ai jamais reçu de récompense particulière pour une fusion ou une opération. On croit à un projet ou pas. Quand on y croit, on s'y investit. J'ai été rémunéré principalement en actions que, à un chouïa fiscal près, je garde toujours. Les salaires et variables figurent dans les rapports annuels et sont soumis au vote de l'assemblée générale. Vous y trouverez même mon abonnement de téléphonie mobile.Propos recueillis par Christophe Tricaud et Christèle FradinLe souhait d'une grande Bourse paneuropéenne est un rêve qui n'a pas été soutenu par l'environnement réglementaire. »
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