Faillite de la Fed : un nouveau « black swan » ?

STRONG>Par Pierre Gruson Université de Rouen, Bordeaux Management SchoolLa Fed vient de confirmer son plan QE II (Quantitative Easing II) lors de sa réunion du 3 novembre 2010. Cette politique vise à augmenter le refinancement des banques commerciales et par là même favoriser le crédit à l'économie. L'une des techniques utilisées consiste à racheter aux banques des titres d'État, payés en cash ou bien en échange de titres privés. La Fed projette d'acquérir en huit mois 600 milliards de dollars de dette publique américaine à moyen terme.Cela fait maintenant plus de trois ans que les banques centrales pratiquent des politiques monétaires non conventionnelles. Il s'en est suivi une dilatation inquiétante de leur bilan. Si le rapport entre la taille du bilan de la banque centrale par rapport au PIB a longtemps été d'environ 7 %, on dépasse aujourd'hui les 20 %. En même temps, la qualité des actifs détenus se dégrade. En ce sens, le fait que la Fed acquière des titres d'État est rassurant, même si ce mécanisme diabolique nous renvoie trente années en arrière lors du débat sur le financement monétaire des déficits budgétaires.La Fed s'est transformée en « investisseur en dernier ressort contraint », détenteur des actifs toxiques dont elle a délesté les banques. Elle est un bailleur de fonds majeur de l'État américain (12,5 % des Treasuries en 2009, près de 20 % au terme du plan QE II). La concentration sur certains émetteurs est inquiétante. Nous proposons de briser un tabou et de nous interroger sur la probabilité de défaillance de la banque centrale américaine. Quelles en seraient les manifestations : battre une monnaie dont plus personne ne voudrait, dilapider des réserves de change, incapacité à refinancer les banques ? Les scénarios restent à explorer. À la différence de la faillite d'une banque privée, on n'imagine pas les Américains se précipiter aux guichets des banques fédérales pour transformer leurs dépôts à vue en billets ou en or. Le Trésor et la nation américaine ne pourraient se dédouaner d'un événement aussi exceptionnel.Afin de nous prémunir d'un tel cataclysme, ne pourrait-on pas adapter aux banques centrales les ratios prudentiels destinés aux banques privées ? Cela est d'autant plus justifié que les mesures de « credit easing » et « quantitative easing » banalisent, sous certaines réserves, l'activité d'une banque centrale et la rapprochent à bien des points de vue de celle d'une banque commerciale. Il suffit pour s'en convaincre de lister les postes des actifs détenus par la Fed qu'elle affiche dans son bilan : AIG, Fannie Mae, Freddie Mac, Maiden Lane LLC (sauvetage de Bear Stearns), etc.Fruit du comité de Bâle, le ratio Mac Donough requiert des banques des fonds propres pour au moins 8 % de leurs actifs pondérés en fonction de leur risque (le risque de l'actif, sa probabilité de défaut et les pertes attendues). Pour être plus précis, le ratio recense trois catégories de risques : risque de crédit, risque de marché et risque opérationnel. Intéressons-nous au premier pour le calcul du ratio prudentiel.Au dénominateur du ratio, la pondération du risque est nulle pour la détention de titres du Trésor. Le risque est jugé inexistant, il n'y a pas de consommation de fonds propres. Mais cela n'est valable que pour les États et banques centrales (!) les mieux notées. Ensuite, on passe à 20 %, 50 %. Imaginons que la dette de l'État américain soit « dégradée », peut-être pas par Moody's mais par une agence de rating chinoise...Observons maintenant les actifs privés. Sur les 2.300 milliards de dollars d'actifs que comporte le bilan de la Fed au 30 septembre 2010 (2.900 milliards en juin 2011), 1.079 milliards correspondent à des actifs immobiliers titrisés (« mortgage-backed securities »). Ils sont garantis par les agences hypothécaires. Celles-là même que la Fed a sauvées de la déroute. Sacré bouclier. Personne n'ose imaginer combien de fonds propres ils consommeraient pour une banque privée. En outre, ces postes sont évalués à leur valeur nominale courante. On aurait préféré ou bien « valeur de marché » ou « valeur nominale », cela aurait été plus facile à analyser. Peut-être que l'on se rendrait compte que les fonds propres de la Fed sont négatifs.Le numérateur du ratio repose sur les fonds propres. C'est une question plus délicate. La Fed affiche un capital de 57 milliards de dollars. Une goutte d'eau. Mais le bilan de la Fed ne retrace pas le stock d'or à son actif, ni la vraie valeur des fonds propres. Il faut aller chercher dans le bilan des actionnaires de la Fed : les douze banques centrales fédérales américaines, dont les actionnaires sont les banques privées... Enfin, est-ce que la dette en billets ne pourrait pas être incorporée aux fonds propres, interprétée comme l'engagement collectif à la soutenir en cas de difficulté ? La Fed gagnerait d'un seul coup 900 milliards de dollars. C'est oublier qu'une part non négligeable de ces billets est propriété de non-résidents aux États-Unis. Il reste encore bien des aspects financiers, comptables et techniques à définir. Mais, à condition que l'application de ce ratio conserve son sens, il est plus que probable que la Fed respecterait difficilement en l'état les contraintes du comité de Bâle.Au programme du G20, il était prévu de discuter des mesures dites « Bâle III » en faveur de la régulation bancaire et financière. Cela aurait pu être une occasion de s'interroger sur la solvabilité des banques centrales. La liste des événements que l'on pensait impossibles avant 2007 nous oblige à étudier cette question. Ou alors, faut-il attendre qu'apparaissent des « credit default swaps » sur la Fed pour prendre cette question au sérieux ? La théorie du « black swan » (cygne noir), développée par Nassim Taleb, est une théorie selon laquelle un événement imprévisible a une faible probabilité de se produire, mais des conséquences considérables s'il survient.
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