Quelle place pour la dissuasion nucléaire ?

Le débat qui s'engage à l'occasion du prochain Livre Blanc de la défense devra poser en priorité des questions d'ordre stratégique. Impossible pour autant de négliger ses conséquences en matière de finances publiques.  Deux réflexions liminaires s'imposent.La première a trait à la notion " d'effort soutenable ". Au cours des quarante ans qui ont suivi la fin de la Seconde guerre mondiale, l'URSS a supporté un effort d'armement considérable, consacrant à sa défense jusqu'à 25% de son PIB. Une allocation des ressources plus équilibrée en faveur d'investissements et d'équipements productifs aurait été plus favorable à la croissance de l'économie russe au cours de cette période et, in fine, au financement de sa défense.La deuxième réflexion souligne le caractère global des critères qui conduisent les investisseurs à placer leur confiance et leurs capitaux dans un pays plutôt que dans un autre. La note de la dette à long terme des Etats-Unis a été dégradée par Standard & Poor's à la suite d'une baisse de la confiance dans la gouvernance politique du pays. Pour autant, en dépit d'un endettement très élevé, la résilience des Etats-Unis, " pays refuge " par excellence, leur permet de refinancer leur dette à des conditions très avantageuses. A contrario, une Union européenne économiquement performante, mais totalement désarmée, souffrirait à coup sûr de cette faille, en termes de crédibilité globale auprès des marchés financiers.Soutenabilité et crédibilité : telles sont donc les deux limites acceptables entre lesquelles les réflexions sur le prochain Livre Blanc sur la Défense devront s'attacher à moduler notre effort de défense. A partir du niveau actuel de l'effort, de l'ordre de 33 milliards d'euros, hors gendarmerie et hors pensions, soit 1.7% du PIB (4,7% du PIB aux Etats-Unis), les marges de manœuvre seront nécessairement restreintes. Quelle sera la place de la dissuasion nucléaire dans ces limites ? Il est difficile d'imaginer que les efforts consentis pour nous doter de quatre sous-marins lanceurs d'engins (SNLE) de nouvelle génération, du missile M51 et du missile air-sol de moyenne portée (ASMPA) soient sacrifiés au regard de l'avantage qu'ils procurent à notre pays, en particulier dans la perspective d'une Europe politique.Quant à l'idée de ne conserver qu'une seule composante aéroportée ou sous-marine de l'arme nucléaire, le dilemme est évidemment insoluble : si la composante sous-marine opère " du faible au fort ", la composante aéroportée répond le mieux à la menace des " Etats voyous " bénéficiaires de la prolifération des armes nucléaires.Notre outil de dissuasion peut donc paraître surdimensionné, au regard des menaces et des capacités du budget national français. Mais c'est parce que sa vocation est désormais européenne. S'agissant de son champ d'application, la France pourrait inclure explicitement l'espace européen dans la définition de ses intérêts vitaux. Dans son fonctionnement, nous pourrions intégrer des officiers alliés dans la chaîne de commandement. Il serait alors légitime qu'Eurostat mutualise entre l'ensemble des budgets européens l'impact des dissuasions française et britannique, au même titre que la défense anti-missiles de l'Europe occidentale. Le prochain Livre Blanc doit nous donner l'occasion de repenser la question de l'emploi optimal de l'outil politique que constitue la dissuasion française dans la construction européenne. Et ce dans une double perspective : accélérer l'intégration politique et repositionner la France au cœur de ce processus. Cette utilisation de notre " force de frappe " découle très exactement de la vision du Général de Gaulle lorsqu'il a décidé d'y consacrer l'essentiel de nos budgets militaires : outil d'indépendance de l'Europe vis-à-vis des " blocs ", instrument du " rang " parmi les alliés.  
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