Y a-t-il un docteur carbone dans la salle  ?

Quelle est ma nuisance en carbone ? Quelle est ma part de responsabilité dans le réchauffement climatique par émissions de gaz à effet de serre ? Pour répondre à cette question, il me faudrait faire un bilan de toutes les émissions polluantes que causent ma consommation et ma production quotidienne : l'énergie fossile que je brûle pour me déplacer, travailler, me nourrir, me chauffer, en plus de celle qu'on a brûlée pour fabriquer les matières plastiques que j'utilise, la maison que j'habite, la voiture, le vélo et le bus que j'emprunte?Même si je me sentais la force de me livrer à un tel pensum, je manquerais d'instruments et de connaissances techniques pour mesurer correctement la nuisance en carbone qu'inflige mon activité à la planète. Je pourrais toutefois m'en remettre à une de ces naissantes agences d'expertise en carbone pour faire mon bilan carbone, tout comme je fais appel à un médecin pour un bilan santé, si tant est, bien sûr, que je juge l'expert fiable.Cette impossibilité de chacun à mesurer le coût exact de sa pollution en carbone fait de celle-ci un mal de « croyance ». C'est une traduction approximative du terme « credence » que l'économiste Nelson applique aux biens et services dont la qualité est difficilement observable par l'usager. Les médicaments en sont l'exemple le plus classique. Le problème d'information que soulève un produit de « croyance » requiert en général l'intervention d'experts fiables pour établir la vérité sur la qualité du produit et la certifier par un label crédible. Il en est ainsi des émissions de gaz à effet de serre : tout repose sur la fiabilité du docteur en carbone à qui l'on s'adresse pour estimer l'étendue de la nuisance.Ce problème d'estimation du coût infligé à la planète par la pollution en carbone se pose évidemment au niveau d'un pays entier. Un gouvernement aura le plus grand mal à déterminer tout seul la nuisance globale de son pays en carbone, faute d'avoir les compétences requises ou le matériel adapté. Les ressources nécessaires pour les acquérir sont loin d'être négligeables. Le Japon a lancé en début d'année un satellite poétiquement baptisé Ibuki (« respiration »), qui est exclusivement destiné à mesurer les émissions de gaz à effet de serre. Son homologue nord-américain OCO (Orbiting Carbon Observatory), un satellite à 278 millions de dollars, s'est, lui, abîmé dans l'océan après son lancement. L'Agence Spatiale Européenne doit pouvoir compter de son côté sur son satellite d'observation de la Terre, Envisat (Environmental Satellite) pour contrôler le niveau de pollution de l'Union européenne, même si ce n'est pas sa vocation initiale. Bref, il n'est pas donné à n'importe quel gouvernement d'observer précisément les rejets en carbone de son pays, et encore moins des autres.Dans sa feuille de route pour Copenhague, l'économiste Jean Tirole recommande de déployer rapidement de tels satellites « capables de mesurer précisément le niveau des émissions dans chaque pays », un déploiement dont, en toute rigueur, il faudrait aussi déterminer la nuisance en carbone ! On peut toutefois deviner à l'avance que celle-ci apparaîtra comme « vraiment négligeable » dans la mesure où l'estimation sera réalisée par les lanceurs et gestionnaires des satellites eux-mêmes? Ainsi, si, par coïncidence, les experts en carbone se trouvent être aussi les pays lanceurs de satellites, il faut espérer qu'ils sauront résister à la tentation de manipuler l'information qu'ils recueilleront sur leur propre compte. En attendant, un nouveau club est en train de se former dont le pouvoir de négociation pèsera lourd dans les accords internationaux à venir sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre : celui des pays suffisamment industrialisés pour lancer des satellites. Un club restreint pour l'instant, en mesure de contrôler par les observations qu'il recueille la parole des experts sur la part de pollution en carbone attribuable à chaque pays. En face, la plupart des gouvernements sont dépourvus des moyens de financer leurs propres satellites. Ils se retrouveront donc à la table de négociation, tributaires de l'information traitée par le club. Il serait donc prudent de constituer une agence internationale d'expertise fiable, où tous les pays seraient représentés, pour gérer l'information sur les émissions de gaz à effet de serre et estimer le plus objectivement possible la responsabilité de chacun dans le dommage planétaire résultant du réchauffement climatique. La qualité de l'information à ce sujet est un bien public au même titre que la qualité de l'environnement. S'en remettre aux seules initiatives spontanées n'est pas une garantie d'efficacité. npoint de vue Philippe Mahenc Université de Perpignan et École d'économie de Toulouse.
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