La crise ? C'est la faute à Keynes, selon le Handelsblatt

L’Europe est en crise? Ne cherchez plus, le quotidien économique allemand Handelsblatt a trouvé le coupable: John Maynard Keynes. En affichant en Une le portrait de l’économiste britannique, le journal des chefs d’entreprise d’outre-Rhin titre: «les 7 erreurs de Keynes». Dans un dossier de neuf pages, le Handelsblatt explique qu’avec «sa théorie de plans de relance par les finances publiques, Keynes a attribué à des générations de politiques la légitimité pour endetter l’Etat.» Et le quotidien de conclure: «ceci est fatal.» Autrement dit, c’est la pensée de l’économiste britannique qui est à l’origine de la crise de la dette.Les «sept péchés» de KeynesLe Handelsblatt décrit ensuite ces «7 erreurs» qu’il croit avoir repérées dans la théorie keynésienne et qui serait à l’origine de la crise actuelle:- 1ère erreur : «L’Etat doit payer». Le quotidien allemand explique que les plans de relance de l’économie ont quasiment tous été sans effet sur la conjoncture. Rappelant que la crise des années 1970 n’a pas été vaincue par la relance, il rappelle qu’une étude de l’institut RWI évaluait l’effet net d’un deuxième plan de relance allemand à 500 millions d’euros pour une dépense publique de 17,5 milliards d’euros. Mais ces dépenses inutiles ont fait croître l’endettement public.- 2ème erreur : «les banques centrales doivent mettre à disposition de l’argent bon marché.» Citant ce mot de Keynes, «il y a aucune raison pour que l’argent soit rare», le quotidien allemand, le Handelsblatt égrène les conséquences néfastes d’une telle idée: l’inflation (qui ne joue aucun rôle dans la crise actuelle) et les bulles financières. John Maynard Keynes serait donc l’inspirateur de la politique d’Alan Greenspan et, partant, le responsable de la crise des subprimes, mère de la crise actuelle.- 3ème erreur : «Investir est plus important qu’épargner.» Pour le Handelsblatt, Keynes a «un goût fatal pour la dépense.» En favorisant l’investissement public lorsque la richesse des sociétés conduit les agents économiques à plus épargner, Keynes a encore alimenté la dette publique. Mais, précise le quotidien, il n’a pas saisi que «les sociétés peuvent trop consommer comme dans le cas de l’Espagne, de l’Espagne et du Portugal avant 2007.» Bref, Keynes aurait favorisé la bulle immobilière espagnole.- 4ème erreur : «Seule compte la demande.» La focalisation de Keynes sur la demande au détriment de l’offre, sa conviction que la demande créée l’offre et non l’inverse aurait conduit les Etats à dépenser des sommes colossales pour soutenir la croissance de la demande, sans se soucier de l’offre et de la compétitivité. «Keynes est borgne», conclut le journal. Une conclusion qui est cependant largement admise par les universitaires depuis plusieurs décennies.- 5ème erreur : «La croissance permanente est terminée.» Le Handelsblatt critique l’idée keynésienne que la «phase de croissance économique est un épisode de l’histoire humaine.» Pour le quotidien allemand, il n’en est rien et l’économiste britannique a «sous-estimé la capacité d’innovation» de l’humanité. Une sous-estimation qui a conduit à remplacer le soutien à l’offre par un soutien à la demande.- 6ème erreur : «Le libre-échange nuit au bien-être.» Pour le Handelsblatt, Keynes est un opposant au libre-échangisme international qui aurait défendu l’autarcie en 1933 dans un discours à Dublin. «Il est aujourd’hui évident que Keynes s’est trompé», estime le quotidien qui rappelle que depuis la Seconde Guerre Mondiale, le «bien-être a décuplé, alors que le commerce mondial a triplé.»- 7ème erreur : «Les plans de relance se financent eux-mêmes.» Le Handelsblatt critique l’idée keynésienne des «effets multiplicateurs»: la dépense publique accroît la consommation qui finance en retour, via la fiscalité, la dépense publique. Et inversement. Selon le Handelsblatt, cet effet est «surestimé» et conduit souvent à un alourdissement de la dette et de la fiscalité.Avec ce dossier, le Handelsblatt confirme sa volonté de devenir le porte-parole de la pensée ordolibérale classique en Allemagne. Ses critiques envers la politique européenne de la chancelière et ses attaques contre plusieurs pays «du sud» avaient précédemment donné le ton.Les effets multiplicateurs sous-estimés ?Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur ce dossier, par ailleurs solide. On pourrait remarquer qu’il n’y a pas eu de keynésianisme «pur» dans les années 2000 et que les erreurs des banques que les Etats ont dû soutenir ainsi que le poids de la faillite de Lehman Brothers ne sont guère inspirées par les théories keynésiennes. Concernant l’Europe, la situation catastrophique aujourd’hui du continent est certainement plus à relier avec la stratégie d’Angela Merkel, fort peu keynésienne dans sa politique européenne, qu’avec la générosité de l’Etat. Du reste, plusieurs organisations internationales comme le FMI ou S&P, ont avoué avoir sous-estimé les multiplicateurs fiscaux.Une erreur oubliée ? Malicieusement, on pourrait aussi rappeler que John Maynard Keynes s’est principalement fait connaître par la publication d’un livre «Les conséquences économiques de la paix» où il dénonçait le traité de Versailles et ses conséquences sur l’économie allemande. Ce texte a eu beaucoup d’influence aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il a permis à l’Allemagne, après-guerre, lors des accords de Londres de 1953, de régler très avantageusement ses dettes liées aux réparations de la Première Guerre Mondiale. Pourtant, certains économistes comme le libéral Etienne Mantoux dans son ouvrage La Paix Calomniée (1944) avait pourtant considéré que cette analyse de Keynes était erronée. Une erreur que, curieusement, le très libéral Handelsblatt ne retient pas dans sa liste… 
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