Carrefour : ça se bouscule au rayon des sujets qui fâchent

L'homme est solide, a du répondant et son franc-parler. Il n'empêche. L'épreuve que va affronter ce lundi 18 juin, Georges Plassat, le nouveau directeur général du groupe Carrefour, s'annonce sportive. L'assemblée générale des actionnaires qui sera réunie à Paris au Carrousel du Louvre ne manquera pas de sujets de controverse vu la situation pour le moins détériorée, c'est un euphémisme, de l'enseigne. "Lars Olofsson, son prédécesseur, a préféré démissionner avant l'assemblée générale plutôt que d'avoir affronter les petits porteurs", observe un analyste financier. "Quel manque de courage !", regrette Hervé Defforey, actionnaire et héritier des fondateurs du groupe. Lars Olofsson devait initialement laisser son siège de PDG de Carrefour à l'issue de cette assemblée. Le 23 mai, trois ans et demi après sa nomination, il a quitté ses fonctions en faisant valoir ses droits à la retraite.Au siège, tous les cadres suivront l'AG en direct sur le webGeorges Plassat, nommé directeur général fin janvier et co-opté au sein du conseil d'administration, devrait être élu PDG. "Il lui faut cette double casquette", estime un actionnaire, héritier des Halley, fondateurs de Promodès, groupe fusionné avec Carrefour en 1999. L'ancien patron de Casino et de Vivarte a besoin d'avoir les coudées franches face à Groupe Arnault et Colony Capital, actionnaires de référence qui détiennent 20,1 % des droits de vote, juge-t-il. "Il pourra ainsi résister pour éviter un démantèlement", observe cet actionnaire vigilant.Rincés par un cours de Bourse matraqué, les petits actionnaires individuels du groupe Carrefour attendent aussi Georges Plassat au tournant. Les salariés eux s'alarment des contre-performances du groupe. En 2011, sa rentabilité opérationnelle courante s'est rétractée de 19,2 %. Ses ventes sont restées quasiment stables, à 81,2 milliards d'euros. Les 115.000 salariés Carrefour s'inquiètent d'un nouveau plan de réduction de coûts et de ses conséquences sociales. La CGT appelle à une manifestation devant le Carrousel du Louvre pour protester contre "la politique de démantèlement du groupe".Depuis six mois, rien ne se passe Au siège social de Boulogne-Billancourt, l'AG sera aussi suivie qu'une finale de Coupe du Monde de foot. Une bonne partie des cadres le feront sur Internet. "Vu la personnalité de Georges Plassat, cela promet d'être un grand moment !", juge un cadre, en faisant allusion au bagou façon Bernard Tapie de ce patron redouté. Les 250 salariés du siège attendent un show mais aussi des informations.Car, depuis son arrivée, le 2 avril, Georges Plassat n'a pas réuni ses cadres. Aucune annonce n'a été faite sur l'organisation qu'il compte adopter pour relancer "ce canard sans tête" qu'est Carrefour depuis fin 2011. "Cela fait six mois qu'il ne se passe rien", s'agace un cadre. Alors, Georges Plassat fera-t-il des annonces à l'AG ? "Ce n'est pas le bon forum", avance un actionnaire. L'homme devra d'abord rassurer, en livrant son diagnostic. Car, les sujets qui fâchent sont nombreux. La Tribune en a identifié dix.1. Le titre Carrefour est au plus basIl se négocie à peine 13,60 euros. L'action Carrefour a perdu plus de 22 % depuis le 1er janvier 2012. Et, en un an, sa valeur a été quasiment divisée par deux, par quatre depuis 2007, date d'entrée au capital du Groupe Arnault et de Colony Capital. En Bourse, le groupe ne vaut plus que 9,5 milliards d'euros. C'est moins que la valeur des 4 millions de mètres carré détenus par sa foncière en Europe.2. La retraite-chapeau de Lars Olofsson ne passe pasLe Suédois, qui sera resté en fonction trois ans, pourrait se voir accorder une retraite complémentaire comprise entre 350.000 et 500.000 euros par an. En sus, il devrait se voir attribuer 1,5 million d'euros bruts d'indemnités, s'il respecte pendant un an une clause de non-concurrence. Or, souligne la CFDT, Lars Olofsson ne devrait pas y faire entorse puisque précisément il a fait "valoir ses droits à la retraite". Au siège de Boulogne-Billancourt, l'affaire fait aussi grincer des dents. "D'autant que cette année, le conseil d'administration n'a attribué aucun stock-options aux cadres. Certains y voient une relation de cause à effet", observe un membre du siège.3. Le conseil d'administration est sous surveillanceProxinvest a recommandé à ses clients actionnaires de Carrefour de questionner le groupe sur les travaux du conseil d'administration lors de la définition de la rémunération de Lars Olofsson. "Qu'a-t-il fait ?", s'interroge le président-fondateur de ce cabinet de conseil et d'analyse, Pierre-Henri Leroy. En 2012, trois nouveaux membres siègeront aux côtés de Bernard Arnault. Les actionnaires de Carrefour doivent se prononcer sur le renouvellement des mandats d'administrateurs de Nicolas Bazire, directeur général de Groupe Arnault, et de Mathilde Lemoine, personnalité indépendante. Ils doivent aussi voter la nomination de Georges Ralli, 64 ans, ancien président de la banque Lazard, Bertrand de Montesquiou, ancien président de Guyenne & Gascogne, dont Carrefour vient de prendre le contrôle, et Diane Labruyère, 44 ans, présidente de l'Association caritative Robin des bois. Présidé par Georges Plassat, le conseil comptera alors 15 membres contre 12 auparavant.4. Le spectre d'un plan social rôdeGeorges Plassat s'inquiète du dérapage des coûts au sein du groupe de distribution. Il se dit étonné par le nombre de salariés Carrefour notamment dans sa centrale d'achat et au siège. Certains en ont déjà fait les frais. Georges Plassat s'est séparé de José Carlos Gonzalez-Hurtado, directeur du pôle commercial et marketing du groupe et de Patrick Rouvillois, directeur du marketing du groupe. "Dans les sièges de Boulogne-Billancourt, Massy, Evry et des Ulis, tout le monde s'attend maintenant à des plans sociaux", déplore un cadre. En France, la filiale qui a perdu 32,4 % de résultat opérationnel en 2011, ces rumeurs ont aussi gagné les magasins. Force Ouvrière estime que le groupe Carrefour pourrait supprimer de "3.000 à 5.000 emplois dans ses hypermarchés".5. Mois après mois, les hypers  perdent des parts de marché En France, son premier marché au monde, Carrefour ne parvient pas à relancer la machine. Son chiffre d'affaires a reculé de 1,2 % l'an dernier. Et les ventes continuent de s'éroder depuis le début 2012 : elles ont chuté de 3,4 %. Sa part de marché a enregistré un repli de 1,7 point, à 21 %, selon les chiffres KantarWorldpanel publiés mi-avril par LSA. Les enseignes de Leclerc (+ 5 % en 2011), Intermarché (+ 3,1 %) et Système U (+ 5,6 %) continuent, elles, d'en profiter. "Comment repositionner les rayons non-alimentaires des hypermarchés ? C'est le problème majeur. Lars Olofsson ne l'aura pas résolu, malgré son Carrefour Planet", observe un actionnaire, en faisant allusion au nouveau concept de magasin qu'il a initié, avant de le geler, faute de réussite en France. Georges Plassat vient lui d'annoncer vouloir fermer les bijouteries Carrefour et revoir les rayons de téléphonie mobile.6. Carrefour Drive est très en retardCarrefour vient d'inaugurer son 111ème drive en France, selon le panel du cabinet Le Site Marketing.com. Mais le groupe demeure très en retard par rapport à ses concurrents. La plupart des drives qu'il exploite sont des services dits de picking en magasin. A contrario de ses concurrents Leclerc et Auchan qui n'hésitent pas à ouvrir des dépôts dédiés en les installant à un jet de pierre des magasins Carrefour pour mieux les concurrencer. La méthode a permis à Leclerc de doper sa part de marché en 2011. Le groupement en ouvrira 106 cette année, en solo ou adossé à un magasin, pour porter son réseau à 250 fin 2012 et 400 en 2015. Système U, lui, en a équipé 468 de ses magasins.7. Des dépenses publicitaires trop élevéesAu Brésil, des rumeurs de presse évoquent des dissensions entre Carrefour et les filiales Publicis. L'agence de publicité présidée par Maurice Lévy a été choisie par Lars Olofsson en 2009 pour assurer toute la communication du distributeur dans le monde. Et sans appel d'offres. "Depuis, en France, l'enseigne a changé trois fois de slogan. Ca fait beaucoup", estime un expert en publicité. Georges Plassat s'interroge sur le retour sur investissement des campagnes de l'enseigne. Lors d'un comité d'entreprise, il a jugé le budget publicité du groupe trop coûteux avec 490 millions d'euros dépensés chaque année, a rapporté l'AFP.8. Dia, son ancienne enseigne, le gêne en EspagneLa conjoncture économique, notamment en Europe du Sud, fragilise le groupe. En Grèce, Carrefour vient d'annoncer ce vendredi avoir cédé sa participation dans la coentreprise Carrefour Marinopoulos à son partenaire, le groupe Marinopoulos, afin de permettre à la société de faire face aux "défis posés par le contexte économique grec". Il lui en coûtera environ 220 millions d'euros de provisions "au titre d'activités non poursuivies". La santé de l'Espagne, deuxième marché du groupe en Europe, derrière la France, plombe aussi le distributeur. Les supermarchés de Carrefour y sont à la peine. Pire : Dia, enseigne de hard discount dont Carrefour s'est séparée par spin-off en juillet 2011, les concurrencent. Les espagnols plébiscitent son positionnement de prix agressif. Et ça marche. L'enseigne y affiche une croissance de 6,8 % au premier trimestre. "Carrefour pourrait envisager des fermetures de magasins en Espagne", juge désormais un analyste financier.9. Les pays émergents n'ont plus de piloteL'Amérique latine et l'Asie sont les deux zones de croissance dont Carrefour doit tirer partie. Or, depuis la nomination de Thierry Garnier à la tête de Carrefour Chine, aucun patron opérationnel n'a été nommé pour diriger les filiales Carrefour dans les dits pays émergents. Pierre Bouchut, ancien directeur financier, assurait l'intérim depuis fin 2011. Il a démissionné fin janvier. Résultat : la vacance de ces postes dure donc depuis presque six mois. Georges Plassat vient de reprendre la main, en annonçant l'acquisition de l'argentin Eki en Argentine (129 magasins).10. Le "coup de main" de Walmart a fait long feuL'américain Walmart, numéro un mondial de la distribution américain, aurait abandonné sa chasse aux actifs de Carrefour au Brésil et en Colombie, rapporte l'agence Bloomberg. A l'été 2011, le groupe était partant pour reprendre la filiale brésilienne de Carrefour, deuxième contributrice au chiffre d'affaires du groupe, derrière la France. L'abandon de Walmart est une mauvaise nouvelle pour ceux qui espéraient une cession d'actifs pour relancer le titre Carrefour en Bourse. "Et la cession éventuelle d'actifs Carrefour en Pologne risque aussi de se compliquer. Désormais, le marché de la grande distribution y est très bataillé", ajoute un analyste financier.
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