Mardi 5 octobre. 17 heures. Palais de l'Élysée

Nicolas Sarkozy surprit un garde républicain en bondissant hors de son bureau comme un diable de sa boîte. Le chef de l'État essayait de ne pas courir dans les couloirs. Mais cet après-midi, c'était difficile. Il descendit d'une traite l'escalier Murat, s'engouffra dans le vestibule d'honneur puis dans le salon des Ambassadeurs. Il s'arrêta, soudain pensif, devant la statuette équestre de Marc Aurèle. Non pas qu'il fut saisi d'une réminiscence historique, mais parce que le bronze lui plaisait, tout simplement. Le soleil d'automne faisait courir des dorures sur les arbres du parc. Nicolas Sarkozy plissa les yeux pour apercevoir l'homme qui cheminait vers lui. Cet hôte tout particulier était arrivé par la grille du Coq. Henri Guaino aimait à rappeler que c'est par cette entrée, au fond des jardins, à l'abri des regards, que le général de Gaulle avait quitté l'Élysée après son référendum perdu en 1969. « Moi, je sortirai par la grande porte », répliquait de façon immuable Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui, le président n'en était plus si sûr. Alain Minc, puisque c'était lui l'invité mystère, s'inclina avec un sourire amusé devant le chef de l'État. Nicolas Sarkozy ne se lassait pas de son éternel optimisme. Quand beaucoup dans la majorité lui prédisaient le goudron et les plumes en 2012, le conseiller officieux plaisantait et taillait en pièces les adversaires éventuels du chef de l'État, à droite comme à gauche. Avec une prédilection pour les deux « zinzins », Dominique de Villepin et Ségolène Royal. Nicolas Sarkozy et Alain Minc s'installèrent à une table sur la terrasse. Un serveur, surgi de nulle part, fit son apparition avec un plateau, deux Perrier et une coupelle de cacahuètes. La veille, en fin de journée, la Bourse de Paris avait dévissé, victime de terribles rumeurs au sujet d'une dégradation de la note souveraine de la France. L'agence de notation Standard and Poor's s'apprêtait, disait-on, à sanctionner Paris pour une réforme des retraites insuffisamment libérale et des comptes publics désespérément dans le rouge. Le sacrifice aoûtien d'Éric Woerth n'avait servi à rien. Alain Minc prit la mesure de l'énervement présidentiel en voyant Nicolas Sarkozy, dont le visage s'était émacié en trois ans à l'Élysée, piocher à plusieurs reprises dans le bol d'arachides. « Je suis entre le marteau et l'enclume, diagnostiqua sombrement le chef de l'État. Entre les marchés et la rue. » Alain Minc hocha la tête : « Il vous faut reprendre l'initiative. Je vous avais dit qu'un remaniement ne suffirait pas. Vous avez un lien direct avec les Français. Tout ce qui passe à votre périphérie est... périphérique. Le fil n'est pas rompu. Les Français vous attendent. » L'épaule droite de Nicolas Sarkozy tressauta. « Au tournant, ils m'attendent, grinça le président. Eh bien, ils vont l'avoir le tournant du quinquennat. » « C'est-à-dire ? » s'enquit poliment Alain Minc. Le chef de l'État se prit la tête dans les mains. « Moi, le boulot je le voulais, et je l'ai eu ! J'avais cette boule, vous savez, au creux de l'estomac. Le jour où j'ai été élu, elle est partie [une poignée de cacahuètes]. Le reste, c'est du superflu. Je ne suis pas là pour être aimé, je suis là pour faire mon travail. La ?big picture?, comme ils disent les Américains. Je suis là pour moderniser la France. Elle en a besoin, la France [une autre poignée de cacahuètes]. Et, honnêtement, j'ai pas mal réussi déjà non ? Alors voilà, il faut parfois savoir tout remettre en jeu. Il faut savoir repartir de zéro. Demain, je démissionne. » Alain Minc crut voir une flamme jaillir au coeur d'une porte-fenêtre. Mais ce n'était que le soleil couchant...
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