Plutôt Aristote qu'Adam Smith pour une théorie des prix

Paul Jorion, économiste reconnu pour ses ouvrages sur la crise financière, est anthropologue de formation. Un bagage qui lui fut bien utile pour décrypter toute la séquence de l'effondrement des subprimes aux États-Unis. Et c'est un livre d'anthropologue qu'il nous propose aujourd'hui, avec « le Prix », fruit de multiples observations recueillies pendant trente-six ans sur la formation des prix, aux quatre bouts du monde, des plages bretonnes aux marchés africains, en passant par les salles de marché des banques de Wall Street. C'est également un livre érudit où l'on croise Aristote, Adam Smith et Marx. L'ambition de Paul Jorion, qui se plaît à répéter qu'il n'est « pas un économiste », est de porter la contradiction sur le terrain de prédilection des économistes, la théorie des prix. Pourtant, dans les livres, tout est simple. Le prix est le point de rencontre entre l'offre et la demande. Le problème, note Paul Jorion, c'est que la réalité est bien différente. Il faut donc bâtir une nouvelle théorie des prix et, pour cela, en comprendre la fonction véritable dans nos sociétés. L'auteur s'appuie notamment sur les travaux d'Aristote, qui semble d'ailleurs bénéficier d'un regain d'intérêt chez les économistes. Pour le grand philosophe grec, le prix doit résulter d'un marchandage « équitable » entre deux parties, le sacrifice consenti devant être le même pour chacun. En pratique, le prix relève davantage d'un rapport de force que de la rencontre entre une quantité demandée et une quantité offerte. Et ces rapports de force ne sont pas forcément cantonnés à deux individus, mais à des groupes d'individus, qui sont de conditions inégales. De fait, une nouvelle théorie du prix devrait pouvoir réconcilier Adam Smith et Aristote. Et selon l'auteur, pour qui « l'économique s'efface devant le sociologique », le prix est surtout l'expression d'un système politique, non un résultat scientifique. Une fois de plus, Paul Jorion jette une pierre dans le jardin d'une science économique en pleine introspection. Un livre de réflexion passionnant. E. B. « Le prix », de Paul Jorion. Éditions du Croquant (360 pages, 23 euros).
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