à Chicago, le ghetto d'Obama a toujours le blues

« Nous sommes oubliés. Nous avons tout perdu : notre lycée de quartier, notre bibliothèque, nos services sociaux, notre épicerie, il ne reste plus que ce magasin qui vend de l'alcool? » Dans le local décrépi devant lequel s'enivrent et s'injurient une bande de jeunes, invectivant les quelques passants qui pressent le pas, Valerie Johnson enrage. Avec sa s?ur Cheryl, elle dirige l'association People for Community Recovery (PCR), qui tente, à l'aide de donations asséchées par la crise, d'améliorer le sort des 3.400 habitants de l'un des quartiers HLM les plus isolés des États-Unis, pourtant connu à travers le pays : Altgeld Gardens, dans le Far South Side de Chicago, où Barack Obama fut travailleur social au milieu des années 1980. Le taux de chômage y est estimé à 40 %, et 62 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté.Pendant la campagne présidentielle de 2008, les médias américains ont souvent évoqué Altgeld Gardens où Barack Obama affirme avoir « reçu le meilleur enseignement de sa vie ». Mais le 24 septembre dernier, la fierté des habitants d'Altgeld a laissé place à un sentiment de stigmatisation. Ce jour-là, deux adolescents du quartier ont été incarcérés pour avoir participé au tabassage à mort d'un étudiant de 16 ans, Derrion Albert, à la sortie de la Fenger High School, le lycée qu'ils fréquentaient à sept kilomètres de chez eux. L'Amérique s'est émue de ce crime, filmé par un témoin, puis diffusé à la télévision. Obama, qui défendait alors la candidature malheureuse de Chicago pour les Jeux olympiques de 2016, n'a pas commenté l'assassinat. Son silence a été vivement critiqué et il a dépêché sur place son ministre de l'Éducation, Arne Duncan, qui a attribué 500.000 dollars pour réformer Fenger High.« Nos enfants sont en danger lorsqu'ils se rendent au lycée », fulmine Cassandra White-Robinson, une habitante d'Altgeld Gardens, dont deux fils sont scolarisés à Fenger High. Cette mère de 43 ans estime que la fermeture en 2006 du lycée d'Altgeld Gardens, transformé en académie militaire très sélective que n'ont intégrée qu'une poignée de jeunes du quartier, est responsable de la mort de Derrion Albert. Les résidents d'Altgeld racontent que leurs enfants sont pourchassés lorsqu'ils sortent de Fenger High et que Derrion Albert a été la victime collatérale d'une bagarre qui a mal tourné alors qu'ils tentaient, une fois de plus, de se défendre. En 2009, une cinquantaine d'adolescents ont été assassinés à Chicago. Dans une ville comptant 100.000 membres de gangs, « la fermeture d'écoles peut représenter un danger de mort pour des jeunes exposés aux bandes d'autres quartiers », résume Scott Chesebro, directeur exécutif du Chicago Center for Urban Life, un établissement scolaire.« Un décret présidentiel suffirait pour rouvrir notre lycée et notre bibliothèque, qu'Obama avait d'ailleurs fait agrandir lorsqu'il travaillait ici, mais qui a fermé après l'explosion d'une conduite de vapeur en mars », s'emporte Cheryl Johnson. Adolescente, elle a côtoyé le futur président lors de ses années passées à Altgeld Gardens, où il est crédité d'avoir initié le désamiantage des habitations. Même si elle concède qu'Obama « doit gérer deux guerres, une récession et la réforme de la sant頻, la militante associative déplore que le quartier profite si peu de son plan de relance. « Nous ne sommes pas prioritaires, pourtant, les conditions de vie se sont constamment détériorées ces dernières années », regrette-t-elle.Depuis 2005, les bâtiments du quartier, bordé de quelques arbres pour justifier son nom, sont en rénovation. Ce programme de 500 millions de dollars a été renforcé à hauteur de 35 millions de dollars par le plan de relance d'Obama. « Cet argent profite surtout aux entreprises de bâtiment qui n'emploient presque personne d'Altgeld, et les autorités, corrompues, n'investissent toujours pas dans les transports et l'assainissement de notre environnement », affirme Cheryl Johnson. Altgeld Gardens, dont 97 % des habitants sont noirs, est cerné par 53 anciens sites industriels toxiques. Le quartier, construit pour accueillir des vétérans de la Seconde Guerre mondiale, est de plus très excentré. Composé de tristes rangées de baraquements de deux étages, il se situe à une quarantaine de minutes en voiture du centre de Chicago. Mais la plupart des habitants d'Altgeld Gardens ne sont pas motorisés et une heure de bus est nécessaire pour atteindre la station de métro la plus proche. Le premier supermarché se trouve à trois kilomètres, toute visite chez le médecin tient du périple?« Je n'aime pas le quartier pour ce qu'il impose aux enfants, mais j'ai un toit sur la tête, ce qui n'est pas le cas de tout le monde en ce moment », se console Cassandra White-Robinson. Avec la crise, les services sociaux de Chicago, « qui s'occupent des sans-abri et de l'aide alimentaire, sont débordés », constate Amy Terpstra, directrice du centre de recherche Social Impact. Selon les statistiques fédérales, 39,8 millions d'Américains, soit 13,2 % de la population, vivaient sous le seuil de pauvreté à la fin 2008. « En dépit du maintien d'aides sociales qu'a permis le plan de relance, la situation s'est dégradée » depuis qu'Obama a prêté serment, prévient Melissa Young, économiste à la Heartland Alliance.Dans le centre d'affaires de Chicago, le Club Commercial de ville animé par des chefs d'entreprises tente de « développer sa vitalité sociale ». « Réformer le système scolaire local constitue le point de départ pour réduire les disparités », explique Eden Martin, président du Club, dont les membres donnent des millions de dollars pour cofinancer des « renaissance schools », des écoles subventionnées mais indépendantes du système scolaire public, dont les résultats sont généralement meilleurs. Parmi ces donateurs figure Miles White, PDG du géant de l'industrie pharmaceutique Abbott, l'un des plus importants employeurs de la ville. « Chicago n'est pas aussi déprimé que d'autres villes des États-Unis, mais l'État de l'Illinois a de très importants problèmes budgétaires », regrette le responsable. Pour 2010, son déficit est attendu entre 14 et 15 milliards de dollars, ce qui pèsera sur sa capacité à investir dans son système scolaire. À Altgeld Gardens, les s?urs Johnson promettent toutefois de lutter pour la réouverture de leur lycée. « Nous continuerons à nous battre, avec le sourire, assure Valerie. Nous le devons aux enfants du quartier qui n'ont plus rien et dont la réputation a été ternie. »Éric Chalmet, envoyé spécial à Altgeld GardensLire également pages 6 et 7 : L'Amérique demande des comptes à Obamaà Altgeld Gardens, à Chicago, Barack Obama fut travailleur social au milieu des années 1980. Miné par la violence, un an après l'investiture du premier président noir des États-Unis, ce quartier défavorisé s'estime délaissé par la Maison-Blanche.
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