« Il n'y a pas d'avenir pour une France faible en Europe »

Partagez-vous l'inquiétude très répandue en ce moment à propos de l'avenir de l'Europe  ?Elle ne me surprend pas. De par mon histoire et mes activités, qui m'amènent à voyager beaucoup, je suis bien placé pour constater que l'Europe s'efface des radars. Elle est passée de 20 % à 15 % du PIB mondial ; de 28 % à 22 % des échanges commerciaux. Le basculement du monde, que j'ai évoqué dans mon livre « la Cité des hommes », peut être touché du doigt. Nos positions sont concurrencées en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine. Il y a une évolution extrêmement rapide qui ne se fait pas à l'avantage de l'Europe. C'est vrai sur le plan économique, c'est vrai aussi sur le plan politique et diplomatique. Notre continent est moins une référence que par le passé, y compris dans des domaines qui me tiennent à coeur, comme la culture.D'où pourrait venir le sursaut  ?Deux clés ont été trop méconnues. D'abord, l'impératif de l'indépendance. Tant que l'Europe ne s'émancipe pas, ne s'affirme pas en tant que telle sur le plan politique, économique, sur le plan de la sécurité, elle ne pourra défendre ses intérêts. Ensuite, la nécessité de la convergence de nos économies pour réaliser les promesses de la monnaie unique. La crise de l'euro est un avertissement, l'énième. Aujourd'hui, le vrai défi, c'est d'être capable d'avancer dans la voie d'une coordination budgétaire, fiscale, voire sociale. Une discipline renforcée suppose que l'on s'impose des règles volontaires pour un désendettement maîtrisé - en se donnant au minimum dix ans, car l'effort abrupt aujourd'hui exigé court le risque d'étouffer une croissance fragile -, crédible - comme l'ont fait les Allemands, en inscrivant l'équilibre budgétaire dans la Constitution, par exemple - et juste - c'est-à-dire réparti équitablement. Il y a d'autres idées, comme de prendre des mesures d'urgence au-delà d'un seuil d'endettement jugé dangereux. Je suis plus réticent sur l'idée de la Commission européenne d'un contrôle préalable des budgets nationaux. Je suis soucieux de la responsabilité des États-nations. La France ne doit pas lâcher la proie pour l'ombre.La relation franco-allemande vous paraît-elle menacée ?Ne nous leurrons pas : nos chemins se séparent de plus en plus, ce que ne sauraient cacher des tribunes communes. Faire le pari de l'Europe, pour nous, c'est d'abord retrouver l'équilibre franco-allemand. Actuellement, nous divergeons sur le fond et nos peuples se rendent compte que quelque chose ne va pas. Une Europe équilibrée et efficace doit s'appuyer sur la vitalité d'un moteur européen fidèle à l'intérêt général.Selon vous, les Allemands ont l'impression qu'on les éloigne de leurs intérêts  ?Oui, ils ont une réticence à garantir des pays qui n'ont pas accompli les mêmes efforts qu'eux. Je ne peux pas leur donner tort. L'Europe a perdu ses objectifs, ses horizons. Le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan devait avoir, selon le président, pour contrepartie une relance de l'Europe de la défense. Il n'en est rien. C'était prévisible, et c'est pour cela que je m'y suis opposé. Nous ne sommes pas plus visibles. La France ne peut pas s'en remettre à une Europe qui ne s'assume pas, ni puissante, ni indépendante.Croyez-vous au redémarrage possible de l'Europe  ?L'Europe reste un bel idéal et un formidable levier d'Archimède, comme disait le général de Gaulle, à condition de s'appuyer sur un pilier responsable, qui est le couple franco-allemand. Il n'y a pas d'avenir pour une France faible en Europe. La France doit être forte pour travailler, avec l'Allemagne, dans le cadre d'une relation respectueuse. Je dis oui à une gouvernance économique fondée sur la coopération et la discipline. Mais je dis non à la fuite en avant. Les Allemands ont fait des efforts. Regardons les choses en face : nous en avons aussi à faire pour remettre de l'ordre dans notre maison.Mais les générations passent... Peut-être est-ce l'intérêt pour l'Europe qui faiblit  ?Répondons aux préoccupations et aux aspirations de nos peuples. Il faut savoir ce qu'on veut construire ensemble. Nous voulons compter. Cela suppose d'être crédible. La France doit l'être, l'Europe doit l'être. Si les garanties de 750 milliards d'euros que nous avons mises en jeu pour arrêter la spéculation contre l'euro devaient être activées, la France pourrait avoir à mobiliser plus de 100 milliards et l'Allemagne pour près de 150 milliards. On joue gros ! L'engagement financier ne peut pas aller sans un engagement politique et collectif fort. nPropos recueillis par Sophie Gherardi Dominique de Villepin, ancien premier ministre, avocat
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