Une stratégie industrielle européenne pour les énergies renouvelables ?

L’Union européenne est arrivée à un carrefour. Alors qu’elle s’embourbe dans une crise structurelle, des voix toujours plus criantes s’élèvent contre l’Europe, la rendant responsable des maux que les peuples subissent, au premier rang desquels un chômage persistant et croissant. Le « rêve » d’une Europe fédérale apparaît pourtant comme la seule porte de salut dans un monde multipolaire aux concurrences exacerbées. Elle seule pourra permettre aux nations européennes de peser face aux puissances établies et émergentes.Si le rêve fédéral était impossible au sortir de la Seconde Guerre mondiale tant les nationalismes étaient vifs, il paraît encore inenvisageable dans le contexte économique actuel. On ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif. Le saut fédéral ne peut être un pré requis à une plus forte intégration économique ; il doit en être le résultat. Historiquement, c’est d’ailleurs la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), créée en 1951, qui avait jeté les bases de l’Union européenne en régulant les échanges et les productions de charbon et d’acier à un niveau supranational. Aujourd’hui encore, le « saut européen » ne pourra advenir sans une coopération économique et industrielle pensée dans un esprit européen. C’est là le plus grand défi des vingt-sept et c’est précisément ce qui a fait défaut à l’industrie du solaire photovoltaïque (PV).La Chine a gagné la première mancheRésumons au préalable la situation. L’industrie solaire PV est née au Japon dans les années 80 avant que l’Allemagne ne lui donne un élan considérable avec la promulgation de la loi EEG en 2001 (1). A partir de 2004, la Chine, à l’affût des opportunités que représentaient les marchés européens, a entamé une mue qui a rebattu profondément les cartes de l’industrie PV mondiale. A coups d’investissements de plusieurs dizaines de milliards de dollars, la Chine est progressivement apparue comme le centre de gravité de l’industrie tout en contribuant à générer une offre mondiale fortement sur-capacitaire. En 2011, les capacités de production mondiales étaient ainsi estimées à 50 GW contre 27 GW de demande. Or cette demande était à 75 % « européenne » tandis que l’offre de cellules était, elle, dominée à 88 % par l’Asie et à 58 % par la Chine. La surcapacité est en outre à l’origine de la dépression des prix et de la guerre commerciale actuelle qui a déjà eu raison d’un certain nombre de sociétés européennes. La filière PV française a par exemple perdu plus de 10 000 emplois entre 2010 et 2012.Les Européens peuvent accabler les Chinois, souligner leur manque de transparence et se plaindre des subventions cachées qui permettent d’entretenir des entreprises en pure perte. Bruxelles vient d’ailleurs d’ouvrir des enquêtes anti-dumping et antisubventions. Mais l’UE ne se berce-t-elle pas dans l’illusion d’une sacro-sainte concurrence pure et parfaite ? N’a-t-elle pas ouvert bien grande ses portes aux entreprises étrangères, et notamment chinoises, tout en constatant que la réciprocité n’avait jamais été de mise ? Avec du recul, l’Europe a bel et bien décidé de subventionner indirectement la montée en puissance de l’industrie chinoise. Comment s’en plaindre aujourd’hui ?Les ambitions chinoises ont quant à elles été brillamment orchestrées pour créer une filière intégrée et puissante. En parallèle, qu’a fait l’UE pour créer son industrie PV ? Certes, elle s’est dotée d’ambitions « européennes » dans la lutte contre le réchauffement climatique, ancrées dans le « 3x20 » (2), mais elle n’a pas pensé la construction d’une filière PV européenne à un niveau supranational. Au contraire, elle a enfanté « des » industries européennes (allemande, italienne, française, etc.) multiples et hétérogènes. Et parce que la compétitivité de l’industrie PV dépend beaucoup d’effets d’échelle, la seule dimension envisageable pour contrer la concurrence asiatique et américaine est et sera européenne.Le grand saut européenEn France, le gouvernement en place depuis six mois a commencé à prendre conscience de cette situation concurrentielle préoccupante et a annoncé le 7 janvier des mesures d\'urgence pour relancer le PV français. Parmi les dispositifs présentés, l\'introduction d\'une bonification du tarif d’achat pour les installations « Made in Europe » annonce peut-être le début d\'une dimension européenne pour l\'industrie PV.C\'est au niveau européen que le soutien à l’industrie PV doit être revu. Mais l\'UE doit aussi et surtout éviter de répéter ses erreurs à l’encontre de l’industrie éolienne, en particulier pour la filière offshore, promise à un grand avenir. Tout d’abord, parce que son potentiel est absolument gigantesque : l’UE affiche 65000 km de côtes mais aussi le plus vaste domaine maritime mondial (la France arrivant déjà au troisième rang mondial). Enfin, parce que des innovations en cours de développement telles que les éoliennes flottantes permettront de déployer massivement une énergie jusqu’ici cantonnée aux mers peu profondes. L’éolien offshore apparaît bel et bien comme la « nouvelle frontière » des énergies. Mais pour transformer ce potentiel en succès industriel, l’UE devra penser et structurer, très tôt, une filière intégrée à l’échelon européen.Plus que jamais, l’Europe doit faire le grand saut industriel si elle souhaite continuer de peser sur la scène internationale, que ce soit économiquement, politiquement ou culturellement. Les réussites de Thalès et d’Airbus sont là pour nous rappeler à quel point l’Europe peut être offensive et visionnaire. Autant de qualités nécessaires pour être à l’avant-garde du combat industriel dans les énergies renouvelables.(1) La loi EEG (Erneuerbare-Energien-Gesetz) est la loi allemande destinée à promouvoir les énergies renouvelables via l’instauration de tarifs d’achat.(2) Les « 3x20 » résument le paquet climat-énergie de l’Europe d’ici 2020 : 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 20 % d’énergie renouvelables dans le mix d’énergie primaire, 20 % de gains en efficacité énergétique.
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