Quand la liberté altère la démocratie

Au moment même où le président américain tente, par différentes voies, de réformer l'Amérique en s'attaquant au mur de l'argent, la décision de la Cour suprême du 21 janvier de lever les limites aux dépenses politiques des entreprises qu'elle avait imposées en 1990 a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Une nouvelle défaite pour Barack Obama qui avait fait de la lutte contre l'influence des lobbies à Washington l'un de ses grands thèmes de campagne, et qui verra aux prochaines élections d'automne un Parti républicain requinqué par d'importants soutiens financiers. Même si, de l'aveu d'un des quatre juges dissidents, cet arrêt pourrait ne pas modifier radicalement le climat des campagnes électorales, puisque les contributions directes des « big corporations » aux candidats comme aux partis sont, en principe, et ce depuis 1976, toujours interdites et que les entreprises intervenaient déjà dans leur campagne via leur « comité d'action politique ».Si l'affaire fait tant de bruit, c'est aussi parce qu'elle touche des cordes sensibles aux États-Unis. Primo, c'est au nom de la sacro-sainte liberté d'expression inscrite dans le premier amendement de la Constitution américaine que cinq des neuf juges ont estimé que limiter le pouvoir d'intervention des entreprises dans le débat public revenait à « recourir à la censure pour contrôler la pensée ». La liberté demeure donc absolument sacrée, fût-elle contraire à l'intérêt de la majorité porté par l'administration issue des urnes. Ainsi, alors que la plupart des grandes démocraties occidentales ont, dans le sillage des États-Unis, plafonné les dépenses à finalité politique pour assainir leur démocratie, les États-Unis considèrent à nouveau qu'il y va de la liberté fondamentale de pouvoir dépenser autant d'argent que l'on veut pour diffuser un message de nature politique. Secundo, la Cour suprême considère qu'il n'y a pas de raison d'établir une distinction entre la liberté des individus et celle des entreprises, même si ces dernières ne sont que des entités abstraites au pouvoir financier pouvant être aussi considérable que peu transparent. Au moment où les États tentent de reprendre la main pour remettre de l'ordre dans un monde très affaibli par la puissance des intérêts particuliers, la Cour suprême de la première puissance mondiale vient affirmer, par un arrêt qui fera date, que la liberté doit être plus forte que la loi de la majorité. En un mot, plus forte que la démocratie. Un message qui, à n'en pas douter, sera entendu dans le reste du monde.
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