Mondial : une crise bien française

Dans la longue histoire du coup de pied au derrière, c'est rarement le pied le plus coupable. Voilà bien le commentaire qui s'impose, à la vue du dernier match de l'équipe de France au Mondial. Et pourtant, si l'humiliant ratage des Bleus a un tel écho dans le pays, c'est aussi qu'il caricature les travers de la France et de ses élites?: une équipe de joueurs infantiles, surpayés, irrespectueux et mal managés, plongés dans la mondialisation et littéralement crucifiés par le monde émergent, en l'espèce l'Afrique du Sud et le Mexique. L'équipe de France, symbole d'un pays qui peine à se réformer, où les connivences ont tué le désir de gagner et abêti la stratégie, où le politique intervient à tout propos et hors de propos, où l'on ne parvient pas à formuler de projet collectif, où l'on s'empoigne pour des queues de cerises.Farces et attrapesDerrière la rancoeur qu'inspire la piètre performance des footballeurs, il y a bien sûr l'atmosphère politique de fin de règne. Un ministre empêtré dans d'inextricables conflits d'intérêts, Éric Woerth, qui exhorte les Français au sacrifice en alignant les zéros de la dette publique. Fadela Amara, ministre encore, qui prend son logement de fonction pour une pension de famille. Christine Boutin, ex-ministre reconvertie dans le rapport sans intérêt mais pas sans intérêts, financiers ceux-là. Tel autre qui fait partir en fumée - de cigares - les deniers de la République, tel autre encore, naguère rue de Grenelle, recasé ambassadeur pour la diffusion de la culture française et autres farces et attrapes... Et plus encore, un président qui ne parvient plus à formuler d'autre ambition que d'être réélu, alors qu'il n'est qu'à mi-mandat. Tragique raccourcissement du temps politique imposé par le quinquennat renouvelable, où triomphent les tempéraments de candidats éternels.Tout autant que la politique, c'est le marasme économique persistant qui alimente le ressentiment, ainsi qu'une conduite des affaires de l'équipe au pouvoir, ponctuée de revirements et de caprices. Symbole des errances en matière d'impôts, le fameux « bouclier fiscal », qui scandalise les pauvres sans rassurer les riches tout en divisant la majorité - carton plein. Ou la taxe carbone, annoncée, retoquée, amendée, oubliée. La troisième année de crise est longue comme un jour sans pain, d'autant que la seule perspective offerte à la nation est de rejoindre les critères de Maastricht. Pas plus qu'on ne faisait rêver la France avec un taux de croissance en 1968, on la fait s'enthousiasmer aujourd'hui avec un taux de déficit, surtout alors qu'elle entend les bruyantes saturnales des privilégiés. Et pendant ce temps-là, les Chinois marquent des buts - même ceux de l'équipe de réserve, qui ont battu les Bleus.Étrange défaite, eût dit l'historien Marc Bloch, chroniqueur de la débâcle de juin 1940. « Beaucoup d'erreurs diverses, dont les effets s'accumulèrent, ont mené nos armées au désastre. Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n'ont pas su penser cette guerre. En d'autres termes, le triomphe des Allemands fut avant tout une victoire intellectuelle, et c'est peut-être là ce qu'il y a eu en lui de plus grave », écrivait-il, avec ces mots qui pourraient s'appliquer au déclin d'aujourd'hui comme à la pantalonnade du Mondial. Voilà peut-être la raison de la De Gaulle-mania qu'a suscitée cette année l'anniversaire du 18-Juin. Lasse de ses élites, la France aime à se rappeler que, même dans les temps difficiles, elle peut aussi produire le meilleur.
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