"L'Allemagne fait l'effort de stabiliser son budget de la défense"

LA TRIBUNE - Comment jugez-vous le projet de fusion EADS/BAE Systems ?Stéphane Beemelmans - Cela peut peut-être simplifier les choses, car nous aurions alors un interlocuteur de poids et multinational. Cependant, il peut parfois aussi être pratique d\'avoir plusieurs interlocuteurs...La France et l\'Allemagne ont entamé des discussions pour la réalisation d\'un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) commun sur lequel la Grande-Bretagne pourrait être associée. Comment va se traduire concrètement cette coopération ? Et comment travailler à trois pays sur un aussi petit programme ?Ça peut être un gros programme! Les anciens projets de drones étaient d\'un côté franco-britannique (Telemos conçu par Dassault/BAE, ndlr), de l\'autre -du moins à l\'origine- franco-germano-espagnol (le Talarion d\'EADS, ndlr). Nous voulons dépasser ce stade et ne produire qu\'un seul drone, européen cette fois-ci. Nous allons donc étudier les possibilités de réalisation d\'un drone commun sur la base de spécifications militaires communes. L\'idée est d\'avoir un drone disponible à l\'horizon 2020-2023. Deuxième nouveau volet, nous voulons étudier la création d\'une unité franco-allemande de drones qui couvrirait la période intermédiaire jusqu\'en 2022/2023, et qui mettrait en commun les travaux effectués sur les drones jusqu\'ici, et se poursuivrait probablement après l\'entrée en service d\'un nouveau drone commun. Cette collaboration, qui a pour toile de fond les accords de Lancaster House (accord de collaboration militaire franco-britannique passé en 2010) est expressément ouverte aux Britanniques ainsi qu\'à d\'autres pays européens.Quelle forme prendra concrètement cette collaboration ?Les équipes travaillent dans le but d\'avoir un accord politique l\'année prochaine. Nous analysons les besoins militaires communs, c\'est-à-dire ce que le drone devra être en mesure de faire. Une fois ce projet commun validé des deux côtés, nous le présenterons à nos gouvernements.Ce projet ne va-t-il pas fatalement se heurter à la compétition industrielle entre les différents groupes, qui ont chacun développé leur drone ?Ce n\'est plus un problème car nous ferons l\'inverse ce que nous avons fait jusqu\'à présent. Ne commençons pas par nous disputer pour choisir un drone BAE, Dassault, ou EADS. Je ne m\'entends pas avec la France pour acheter un Talarion ou un Telemos, mais sur un projet de drone commun. Notre approche est militaro-politique: nous mettons d\'abord sous papier ce que nous -gouvernements- voulons. Nous irons dans un deuxième temps voir les industriels.Dans le cadre de la réforme de la Bundeswehr, vous avez commencé à évaluer en novembre dernier une série de 800 contrats d\'armement déjà signés pour réduire les commandes. Où en êtes-vous aujourd\'hui ?Ces réévaluations des contrats se sont avérées plus difficiles que prévu et nous avons rencontré moins de succès qu\'attendu. Il a été bien sûr facile de réduire les commandes de matériels prévues mais non encore signées. Nous n\'avions ainsi commandé que 144 avions de chasse Eurofighter, nous n\'avons pas pris les autres appareils, pour lesquels nous n\'avions qu\'une option. Bien entendu nous adaptons les besoins prévus dans le passé à la structure future de la Bundeswehr, ce qui correspond très souvent à une réduction. Mais pour beaucoup de contrats, une grosse partie de ce que nous avions commandé était déjà arrivée, ou était déjà payée...il n\'y avait donc rien à faire. Il restait trois gros contrats où l\'on avait encore une marge de manœuvre: le véhicule de combat Puma et les hélicoptères Tigre (hélicoptère de combat, ndlr) et NH90 (hélicoptère de transport). Pour le Puma, un accord a été passé avec les entreprises en juillet: nous en avons commandé 55 en moins, et en contrepartie réinvesti une partie de l\'économie dans ces entreprises, en achetant par exemple des pièces de rechange supplémentaires. Nous avons économisé grosso-modo effectivement les deux tiers de la valeur des 55 Puma. Les discussions avec Eurocopter concernant les Tigre et NH90 se poursuivent, nous voulons réduire nos commandes de 40 Tigre et de 40 NH90. Ce n\'est pas si simple que ça.Votre marge de manœuvre est finalement réduite...Le problème, c\'est que ces projets d\'armement sont d\'une très longue durée, souvent nettement plus longue que celle prévue à l\'origine. Si vous voulez changer quoique ce soit à un contrat, vous vous retrouvez à avoir déjà payé les deux tiers ou les trois quarts, à avoir installé des structures... Economiquement, ça n\'a parfois pas de sens d\'en sortir.Quelles économies avez-vous réalisées jusqu\'ici ?Nous n\'avons pas de montant global. Pour les Tigre et NH90, l\'accord n\'est pas encore trouvé. Sur les Puma, nous avons économisé environ 300 millions d\'euros. Cette économie concerne les derniers appareils commandés qui étaient prévus en 2019/2020. C\'est donc une bouffée d\'oxygène pour le futur, mais cela ne change rien pour notre budget actuel. Nous réduisons aussi le matériel en service existant, 5.000 camions l\'année dernière, ou encore nos chars Leopard, dont le nombre passe de 350 à 225, ce qui fait non seulement une économie de frais d\'entretien, mais rapporte de l\'argent à la vente, si on arrive à les placer dans d\'autres pays. Ce qui est bien heureusement le cas. Les Leopard se vendent par exemple très bien!Comment jugez-vous le basculement de la stratégie américaine vers l\'Asie au détriment de l\'Europe ?Il est tout à fait logique que les Etats-Unis s\'intéressent à cette région qui est nettement plus proche d\'eux que l\'Europe. L\'Europe est un continent stable et la guerre froide est terminée. Il est normal que l\'Europe nécessite un moindre effort de la part des Etats-Unis. Cette stratégie reflète aussi la diminution des efforts que font les Européens, si vous regardez l\'évolution des armées européennes. Cela correspond à l\'évaluation des risques que nous avons pour le moment en Europe.Et les risques extérieurs ?Nous formons nos armées de façon à ce qu\'elles soient capables de réagir à ces risques extérieurs, qu\'il s\'agisse de pays ou d\'individus. Nous n\'avons plus besoin de milliers de chars, il s\'agit d\'un tout nouveau profil de menaces.Comment cela se traduit-il sur votre équipement ?On renonce à l\'équipement complet des unités, comme il y a 25 ans, à l\'époque des deux grands blocs, lorsque chaque unité avait son plein de matériels. Selon le concept du \"Level of Ambition\", il s\'agit pour nous d\'avoir le matériel nécessaire pour le nombre de soldats que nous devons être capables de déployer en mission extérieure. Nous avons assez de matériel pour former nos troupes et armer les 10.000 hommes que nous voulons envoyer en même temps sur une ou plusieurs missions. Ceci change complètement la donne pour nos commandes qui sont nettement plus restreintes.Qu\'en est-il du budget alloué à l\'armée en 2013 ?Le nouveau budget pour 2013 a augmenté de 1,3 milliard d\'euros, mais ceci est lié au système de location de nos bâtiments. Ils appartiennent à l\'Etat et sont loués aux ministères. Pour une plus grande transparence des coûts, nous devons dorénavant payer un loyer et c\'est pourquoi nous recevons de l\'argent supplémentaire. C\'est un système de vases communicants: notre budget augmente de façon nominale, mais l\'argent supplémentaire va directement au ministère des Finances. Hors loyer, notre budget est stable et correspond à ce que le gouvernement nous avait promis dans l\'ancienne loi de programmation qui va jusqu\'en 2015: il avait été décidé que la réforme de la Bundeswehr ne pouvait fonctionner sans ce financement constant. Alors que le budget global du gouvernement est réduit par rapport à 2012, le nôtre reste constant à 31,9 milliards d\'euros.La réforme de la Bundeswehr prévoit parallèlement à la professionnalisation de l\'armée et une réduction du contingent, le recrutement de volontaires pour des contrats courts. Etes-vous satisfait du nombre de volontaires recrutés ?Pour le moment, on n\'a pas de réel problème de recrutement. On a atteint cette année 85% de notre objectif, avec presque 12.000 volontaires pour ces contrats de moins de 2 ans, et l\'année n\'est pas finie. Nous avons en tout cas les 5.000 volontaires dont l\'armée a besoin. Nous voulons en recruter jusqu\'à 15.000 car il est dans notre intérêt d\'en avoir le plus possible: c\'est avec ces volontaires qu\'on génère des soldats d\'active.Reconnaissez-vous un problème de recrutement dans l\'armée ?Il s\'agit d\'un grand défi. Nous sommes en effet confrontés à deux écueils: d\'abord, la démographie baisse en Allemagne, donc le potentiel de jeunes soldats est en diminution. Nous comptons actuellement 660.000 jeunes hommes et jeunes femmes de 18 ans, il y a 20 ans, ils étaient 600.000 jeunes hommes. Ensuite, nous avons en Allemagne un marché du travail en expansion, ce qui est un problème pour nous, comme il le serait pour toutes les armées du monde! L\'armée de métier se retrouve en concurrence avec toutes les entreprises qui embauchent. Et à partir du moment où il n\'y a plus de service militaire obligatoire, le jeune homme ou la jeune femme n\'a aucune raison d\'avoir un contact avec l\'armée. A nous d\'y remédier, ce que nous faisons en développant notre marketing, en collaborant avec l\'Agence Nationale pour l\'Emploi, les entreprises, le patronat et en faisant une multitude d\'actions d\'information, pour ne citer que quelques exemples.
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