L'asphyxie orchestrée de la TNT payante

« Embrasse ton ennemi pour mieux l'étouffer » : ce fameux dicton trouve de très concrètes traductions dans le monde des affaires. Quand un groupe rachète une entreprise, on suppose souvent qu'il a pour but de la développer afin qu'elle crée plus de valeur. C'est sans doute souvent le cas, mais il existe également des situations où le rachat n'est qu'un moyen de servir des desseins plus contournés. Le marché de la télévision, et plus particulièrement celui de la TNT payante, illustre la théorie selon laquelle il n'y a rien de tel que de racheter un concurrent pour le supprimer !Comme le montre une étude récente réalisée par le cabinet NPA, depuis sa fusion avec TPS, Canal Plus dispose d'un monopole en matière de « chaînes Premium » (des chaînes proposant du sport et du cinéma en exclusivité). Ce monopole constitue déjà en lui-même une véritable barrière pour un éventuel nouvel entrant dans la mesure où l'on sait qu'une chaîne de type « Premium » est la condition d'une offre attractive. Mais le verrouillage stratégique est plus subtil encore.Quand en 2006, Canal Plus obtient l'accord du CSA pour racheter TPS Star, le groupe garantit en échange la quantité et la qualité des films et des rencontres sportives proposés. Quatre ans plus tard, le constat est sans appel : TPS Star n'a plus réellement le caractère d'une chaîne « Premium ». On observe depuis 2007 une baisse quantitative et qualitative des films. En 2009, aucun des 9 films à succès diffusés par TPS Star n'était même proposé en première exclusivité.En ce qui concerne le sport, le constat est similaire. Le volume de sport diffusé par TPS Star a baissé de 40 % entre 2006 et 2007. TPS Star ne dispose plus de compétitions exclusives (c'était le cas auparavant avec la Premier League) ; elle ne peut proposer que certaines rencontres en complémentarité avec celles proposées par Canal Plus. Cette façon de répartir les droits sportifs est habile, car elle fait perdre une bonne partie de l'attractivité de TPS Star en stand-alone (un téléspectateur ne peut pas avoir accès, avec cette chaîne, à l'intégralité des rencontres intéressantes d'une compétition donnée). Pour quelle raison Canal Plus aurait-il intérêt à étouffer une chaîne qui fait partie de son groupe ? Pour trois raisons assez évidentes.Pour comprendre la première de ces raisons, il faut se souvenir que le CSA avait imposé comme condition à la fusion Canal Plus-TPS de mettre TPS Star à disposition de tous les distributeurs ADSL et câble qui le souhaitent, afin que ces derniers puissent proposer, avec TPS Star, des bouquets attractifs et alternatifs aux offres de Canal Plus. Afin de vider cette obligation de son sens, Canal Plus préfère « suicider » sa chaîne et ne laisser qu'une enveloppe fantomatique. Pas de danger, ainsi, qu'un distributeur ADSL puisse s'en servir pour bâtir une offre permettant de pénétrer le marché des contenus. La seule véritable offre de contenu attractive sur le câble et l'ADSL passe par un abonnement à Canal Plus ou à CanalSat.La seconde raison tient au fait que, n'étant pas aussi économiquement profitable sur la TNT que sur le satellite, où il est en exclusivité, Canal Plus tente de limiter l'attractivité de l'offre payante sur le réseau TNT et pousse les consommateurs à s'abonner au satellite. Enfin, troisième raison, quel intérêt Canal Plus aurait-il de développer sur la TNT une offre alternative à son vaisseau amiral : Canal Plus le bouquet, aujourd'hui en quasi-monopole ? En conservant un TPS Star, même exsangue, Canal Plus « occupe le terrain » et empêche un acteur de profiter d'un canal concurrent sur la TNT payante.Si cette stratégie est gagnante pour Canal Plus, les consommateurs en font hélas les frais. La situation actuelle bloque le développement du marché de la TNT payante et favorise le maintien de tarifs élevés (de l'ordre de 30 euros). L'intérêt du consommateur, reconnaissons-le, serait aujourd'hui que les pouvoirs publics créent les conditions d'un véritable retour de la concurrence sur le marché de la télévision payante.Point de vue Olivier Babeau Professeur de stratégie à l'université Paris VIII et chercheur à Dauphine
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