Jean Cocteau, l'homme blessé

D'abord, il y a son visage. Tout en pointe, comme tracé au crayon. Sa broussaille de cheveux bouclés et parsemés. Sa voix, précieuse, jusqu'à rendre les mots et les phrases parfois maniérés. Son élégance doublée d'une fantaisie provocatrice avec ses chemises aux manches trop courtes, ses jeans retroussés à la corsaire. Qu'il parle où qu'il passe, on reconnaît Cocteau au premier regard, à la première intonation. Empreinte qu'il laisse au-delà du temps.Il fut doué. Trop peut-être pour tout réussir. Le génie s'est présenté dans son adolescence, mais le talent l'a vite remplacé. Il se voulait poète, l'égal d'Apollinaire. S'il fut désigné comme « Prince », il n'en fut pas pour autant reconnu comme tel, souvent méprisé par la chapelle littéraire. On alla jusqu'à le traiter de « bouffon triste de la modernit頻. Mépris ! C'est oublier qu'il fut moderne.À 18 ans, il lisait ses poèmes dans les salons ou dans les théâtres, jusqu'à rendre les autres obsolètes. Il est soutenu par Sarah Bernhardt. Premiers succès, premiers émois avec un jockey. Madame Mère ferme les yeux. Elle tient salon, reçoit les Daudet et la princesse Murat. Et voit en son fils le petit génie du siècle.Cocteau devient mondain et va rencontrer tout ce que le début du XXe siècle compte d'artistes et d'intellectuels. De Diaghilev à Picasso, en passant par Proust, Sacha Guitry ou Erik Satie. Il conçoit des livrets de ballets pour Nijinski, commence à publier, collabore avec Stravinski. Son roman « Thomas l'imposteur » vient de paraître. Cocteau touche à tout : poésie, littérature, danse, musique, peinture et bientôt théâtre et cinéma. C'est bien ce qu'on lui reprochera tout au long de son oeuvre. Donc, Cocteau est moderne. Il s'adonne à l'opium. Il publie « les Enfants terribles » ; Berthe Bovy crée sa pièce « la Voix humaine », tandis qu'on monte « la Machine infernale ». Suivront « les Parents terribles » et « les Monstres sacrés ». Cocteau vient de rencontrer Jean Marais. Il se lance dans le cinéma. Là il invente, se sert de la magie de l'image, crée des univers surréalistes tout en étant ancré dans la mythologie. En témoigne « la Belle et la Bête » ou « le Testament d'Orphée ». Truffaut et Godard défendent son cinéma. à juste titre.Mais Cocteau n'est plus à la mode. On veut l'oublier. Il en souffre. Il meurt en 1963 à 74 ans, on pourrait dire « par coquetterie ». Prévoyant un énième lifting, il arrête un anticoagulant. Cela lui sera fatal. Sur sa tombe, il voulut qu'on inscrive « Je reste avec vous ». Il est toujours là.Jean-Louis Pinte
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