Les dangers de l'unilatéralisme allemand

La réaction brutale des marchés immédiatement après les mesures annoncées par le gouvernement Merkel ne doit pas surprendre. L'interdiction de ventes à découvert des obligations des États de l'Union européenne, des titres émis par huit des plus importantes institutions financières allemandes ainsi que de « credit default swaps » (CDS) sur ces mêmes titres, comportent une dimension politique et une dimension technique.Sur le plan politique, on note une prise de décision unilatérale, sans consultation préalable des autres pays membres. C'est un nouvel exemple de la fragilité de la solidarité entre les 27 États de l'Union européenne. Cela constitue un précédent dangereux qui ouvre la voie à une surenchère à caractère protectionniste qui ne peut que contribuer au marasme économique ambiant et dont il faut se rappeler qu'une démarche similaire a causé l'aggravation de la dépression des années 1930 et la montée des nationalismes.Plus fondamentalement, la chancelière semble avoir remis en cause le compromis historique du Conseil européen de Strasbourg de 1989 lors duquel, en échange du soutien de l'Union européenne à la réunification allemande, le président Mitterrand avait obtenu l'engagement du chancelier Kohl que « l'Allemagne serait européenne et non l'Europe, allemande ». Cet engagement s'était concrétisé par l'abandon du deutsche mark et l'intégration de la Bundesbank dans le système européen de banques centrales. Madame Merkel semble changer brutalement de cap sous la pression de son opinion publique et du désaveu subi lors des élections en Rhénanie-Westphalie. Cette constatation ne peut manquer de faire ressurgir la défiance entre Européens et les peurs qui lui sont associées et que la construction européenne avait - seulement en apparence ? - réussi à effacer. L'exigence supplémentaire de l'Allemagne de subordonner son aide à la stabilisation de l'euro à l'instauration de mesures de rigueur budgétaire dans les pays qui feraient appel au mécanisme de soutien est à la fois arrogante et contre-productive. Arrogante parce que Angela Merkel oublie un peu vite que l'Allemagne a été la première à demander l'assouplissement de l'application du pacte de croissance et de stabilité lorsqu'elle était elle-même en difficulté de s'y soumettre. Contre-productive parce qu'elle préconise un retour aux politiques totalement discréditées du « consensus de Washington » inspirées par les théories néolibérales de Milton Friedman. L'application de ce remède est un exemple type de politique « procyclique », dénoncée par la Commission, où des mesures restrictives sévères se superposeraient à une économie encore dans les premières phases de convalescence, augmentant considérablement le risque d'une dépression.Sur le plan technique, il est en outre loin d'être certain que ces mesures soient efficaces. Si elles restent limitées à l'Allemagne, elles seront aisément contournables. De surcroît, il y aura des effets induits négatifs : les courtiers qui distribuent les fonds d'État et qui animent leur marché secondaire, ne pourront plus, lors des enchères périodiques, gérer leurs risques en vendant à découvert des titres avec des caractéristiques semblables ou encore se porter contrepartie dans des conditions optimales aux opérations légitimes de leur clientèle. Cela aura pour effet d'augmenter la volatilité des marchés, de réduire la liquidité, de renchérir les coûts de transaction et d'augmenter la charge de la dette publique, ce qui est l'inverse du but poursuivi.La crise doit être l'aiguillon du renforcement de la gouvernance économique de l'Eurozone et de l'Union européenne. Malheureusement, les derniers développements semblent indiquer que l'on prend le chemin opposé. nPoint de vue Paul N. Goldschmidt Ancien directeur à la Commission européenne, membre du comité d'orientation de l'Institut Thomas More
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