Transsibérien des écrivains Sous le charme d'Irkoutsk

Le printemps explose en Sibérie orientale. Dans la taïga, les jarkis, une variété de renoncule orange vif, côtoient les boutons d'or, les iris sauvages (courts sur tige, ils poussent en touffe) et les clochettes violines des fialka violas ; c'est un festival de couleurs qui se déploie sous nos yeux depuis les fenêtres du Transsibérien. À l'intérieur du train, devenu notre « chez nous », les allers et retours au wagon restaurant sont une aventure. Il faut traverser chaotiquement, en file indienne, en s'aidant de ses mains pour rester en position verticale, jusqu'à sept voitures pour y accéder. En 3e classe, on slalome entre les pieds des conscrits qui pendent des couchettes supérieures, on sourit aux mines patibulaires, on évite quelques mains baladeuses, mais aussi on rit avec les passagers enthousiastes qui, apprenant que les écrivains français sont à bord, n'ont qu'une envie, parler français, les rencontrer. Les menus des repas du Transsibérien sont constants : potage en entrée (les traumatisés du « mange ta soupe » en sont pour leur compte), deux tranches de tomate et de concombre crus, du steak ou, plus communément, du poulet pané à la crème. Nous n'apprendrons qu'au retour que ces cuisses de poulet importées des États-Unis par milliers de tonnes, appelées « cuisses Bush », sont désormais interdites à l'importation - trop de chlore, disent les autorités. Vladimir Poutine veut que les Russes élèvent eux-mêmes leurs volailles ; il est vrai qu'en 9.288 km, nous n'avons quasiment vu aucun poulailler.On approche du Baïkal. Irkoutsk est située à l'ouest du lac sacré, au confluent des rivières Irkout et Angara. À partir de 1826, c'est ici, à 5.000 km de Moscou, sur la terre des loups et des zibelines, que le tsar a fait déporter ceux que l'on nomme les décembristes - des nobles révolutionnaires qui avaient tenté un coup d'État contre Alexandre 1er. Ils n'ont jamais revu la capitale. Leurs femmes, abandonnant derrière elles leurs enfants pour suivre leur mari (elles en ont eu d'autres), font salon et recréent autour de la famille des Volkonski, une vie culturelle où l'on échange en français. Dans leur demeure, que l'on peut visiter, leurs portraits en médaillon trônent au côté de leurs travaux pour dames, la porcelaine est rangée avec soin, le piano à queue sonne juste. Mais, il ne reste rien de la bibliothèque, tous les livres sont partis en fumée.En 2008, un violent séisme d'une magnitude de 9 sur l'échelle de Richter (qui en compte 12) a profondément ébranlé les demeures en bois des anciens négociants ; elles se sont pour certaines enfoncées dans le sol d'un mètre ou, depuis, penchent à la manière de la tour de Pise. Drôle de vision, mais il n'y a pas que cela qui va de travers. À Irkoutsk, nous sommes au croisement des mondes, la ligne de chemin de fer se sépare en deux tronçons : d'un côté, le Transmongolien prend la voie du sud, vers Beijing, alors que le Transsibérien poursuit à l'est vers Vladivostok. Nous sommes à cheval sur deux fuseaux horaires. Tous les quarts d'heure, le Blackberry envoie une alerte : + 8 heures ou + 9 heures de décalage horaire ? Dans la nuit, il adresse un SMS « Welcome in China ». Il est temps de lâcher prise. ? Demain : le lac Baïkal
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