Bahreïn, l'anti-Dubaï

REPORTAGE. Au 52e étage de la tour ouest du Bahreïn Financial Harbor, le bureau d'angle de Jean-Christophe Durand, directeur régional pour le Golfe de BNP Paribas, offre une vue spectaculaire sur les eaux du golfe Persique. Lorsque le temps est clair, les côtes saoudiennes se dessinent au nord-ouest. Le royaume de Bahreïn, une petite île grande comme sept fois Paris, coincée entre le Qatar et l'Arabie saoudite, a plutôt bien traversé la crise. Alors que Dubaï, qui vient d'inaugurer le Burj Dubaï-Burj Khalifa, la plus haute tour du monde (828 mètres, 160 étages), se débat avec une montagne de dettes, Bahreïn sort quasiment indemne de la crise. La plus haute tour ne dépasse pas les 60 étages. Un pont pour relier le Qatar« Certains projets ont bien été affectés par le tarissement des financements mais il n'y a pas eu de coup d'arrêt comme à Dubaï, explique Jean-Christophe Durand, installé à Bahreïn depuis une vingtaine d'années. Les projets dans le domaine des infrastructures se poursuivent. » Déjà relié à l'Arabie saoudite par le plus long pont au monde, Bahreïn travaille à la construction d'un pont (auto et train) permettant de rallier le richissime émirat du Qatar. Un projet de plus de 6 milliards de dollars. L'économie de Bahreïn a cru d'un peu plus de 1 % l'an dernier, mais d'autres émirats de la région ont connu une contraction de leur activité de 6 % à 8 %. Une île artificielle en forme d'escargot est en construction au pied de l'immeuble de verre de Jean-Christophe Durand. Un projet destiné à offrir des logements. Un peu plus loin, des ouvriers s'affairent à la construction de trois tours en spirale. Pas de problème de surcapacité à Bahreïn. Le déficit de logements continue de faire flamber les loyers malgré la crise. Monarchie constitutionnelle« La crise de Dubaï est quelque chose que tout le monde voyait venir. Ce n'est pas une surprise, poursuit Jean-Christophe Durand. Bahreïn a beaucoup changé mais ce fut une évolution beaucoup plus ordonnée que dans les pays limitrophes. La modernisation ne se résume pas à l'immobilier, mais aussi aux progrès de la législation, des institutions. Le pays est devenu une monarchie constitutionnelle en 2002, dirigée par le roi Hamad ben Issa el-Khalifa. C'est avec le Koweït le seul pays de la région à disposer d'un parlement qui discute chaque année le budget. » Bahreïn veut se positionner comme la principale porte d'entrée dans le Golfe pour les investisseurs étrangers. « Le Golfe est une région importante du monde. Son PIB atteint 1.000 milliards de dollars et devrait doubler d'ici à 2020 », explique Kamal Amed, directeur du Conseil de développement économique de Bahreïn dans les tout nouveaux bureaux de cet organisme semi-public créé en 2000 pour élaborer, avec le secteur privé, une stratégie de développement de l'économie Bahreïnie. Alcool en vente libreSitué en face de l'Arabie saoudite, Bahreïn n'en partage pas les excès. Les femmes voilées sont bien souvent au bras d'un saoudien, le couple étant venu passer le week-end à Bahreïn. La population est également très mélangée. Les expatriés se retrouvent fréquemment avec des Bahreïnis de souche dans les nombreux bars et restaurants de Manama, la capitale, où l'alcool est en vente libre. « Bahreïn est l'économie la plus ouverte et la plus libérale de la région, les investisseurs étrangers n'ont pas besoin d'un agent ou d'un équivalent pour créer leur entreprise », poursuit Kamal Amed. La diversification de l'économie est une priorité. Le royaume fut l'un des tout premiers pays où fut découvert du pétrole. L'or noir représente toujours 80 % des recettes budgétaires, mais les réserves s'épuisent vite. Le pays ne produit en propre que 45.000 barils par jour. Il reçoit toutefois l'équivalent de 150.000 barils par jour d'un champ de pétrole offshore (Abu Saafa) appartenant pour moitié à Bahreïn et à l'Arabie saoudite. Le pétrole est commercialisé par l'Aramco, la société pétrolière saoudienne, qui reverse son dû à son voisin. Un fonds public d'investissementPour accélérer la transformation de l'économie, le gouvernement a créé le fonds Muntalakat, détenu par le ministère de l'Économie, qui accueille les participations d'État dans trente-cinq entreprises -dont quinze majoritaires - du pays. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un fonds souverain destiné à investir une manne pétrolière qui s'épuise rapidement. Le modèle revendiqué est celui de Temasek, le fonds singapourien. « Il s'agit de transformer des investissements stratégiques de l'État en investissement commercialement viable », explique le patron de Muntalakat, Talal al-Zain, un ancien banquier. Passé par la Citibank, puis la Chase Manhattan et enfin le groupe Invest Corp, Talal al-Zain a pris la tête de Muntalakat en juin 2006. Son rôle ? Gérer ce fonds comme un fonds d'investissement classique. Certaines participations ont vocation à être vendues. Mais le fonds ne s'interdit pas d'investir à l'étranger. Talal al-Zain raconte ainsi avec une pointe d'amusement qu'il se trouvait à New York le jour où Lehman Brothers a fait faillite. Il devait alors prendre une participation dans une entreprise américaine - qu'il n'a pas souhaité nommer - mais a reculé compte tenu des événements. 410 banquesBahreïn est également le premier centre financier du Golfe. Le pays figurait même sur la liste grise de l'OCDE des territoires jugés non coopératifs. Mais la place a rapidement signé les douze conventions d'échanges d'informations pour passer dans la liste blanche. Abdul Rahman al-Baker est le directeur du département chargé de la supervision des institutions financières de la banque centrale de Bahreïn. Le pays compte 410 banques et institutions financières. Le secteur financier emploie 14.000 personnes, dont les trois quarts sont des Bahreïnis. « Une expertise qui s'est développée au cours des quarante dernières années. La vraie richesse de Bahreïn, ce sont ses gens », explique-t-il. Alors que le krach de l'immobilier a mis de nombreuses banques en difficulté à Dubaï, « aucune banque n'a fait faillite à Bahreïn », explique Abdul Rahman al-Baker. « Nous étions conscients qu'il y avait de la surchauffe dans l'immobilier, du coup nous avons interdit aux banques de détenir plus de 40 % de prêts immobiliers dans leurs bilans. »
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