L'analyse d'Erik Izraelewicz : passer le témoin de la croissance

Si l'Allemagne doit être un peu plus française, la France doit être un peu plus allemande. Quelques jours après la polémique sur les modèles de croissance des deux principales économies de la zone euro, les derniers chiffres de conjoncture publiés de part et d'autre du Rhin confirment plus que jamais cette nécessité. En Allemagne, le " tout à l'export ", dénoncé par Christine Lagarde, risque de trouver rapidement ses limites. En France, son pendant, le " tout à la consommation " les a d'ores et déjà atteintes. La note de conjoncture que l'Insee a rendue publique jeudi l'indique clairement : la consommation des ménages a permis jusqu'à présent d'atténuer, en France, le choc de la crise. Elle s'essouffle. Il faut maintenant que le relais soit pris par les exportations et l'investissement. Dans une course-relais, le passage de témoin est toujours la phase la plus délicate. Nous y sommes.L'exception françaiseEn France, face à la crise, en 2009, la consommation a fait mieux que résister. Elle a continué à progresser à un rythme soutenu : c'est là l'une des formes de l'exception française. Quand la production globale baissait dans le pays de 2% environ, la consommation totale des Français a continué à augmenter de plus de 2%! Beau paradoxe. Paradoxe qui ne peut être éternel. On a parlé, pour expliquer cette résistance, des fameux " amortisseurs automatiques " - les prestations sociales en tout genre (allocations chômage, aides aux plus défavorisées, RSA, etc..) qui ont permis de limiter la casse. L'Etat y a ajouté un plan de soutien, massif, à la consommation. En 2009, il n'y a pas eu que la prime à la casse pour doper les achats des Français - il y a eu aussi des aides en faveur des plus modestes. Il y a eu surtout la suppression des deux derniers tiers de l'impôt sur le revenu pour les ménages les moins aisés. Près de cinq millions de foyers fiscaux en ont profité. Le pari du gouvernementNaturellement, ce moteur commence à se fatiguer. L'Insee parie pour le premier semestre sur une consommation des ménages " atone ". De fait, leur pouvoir d'achat n'augmente plus. Tout y contribue : le redémarrage même modeste de l'inflation (le prix du gaz augmente de 9,7% au 1er avril), la poursuite de la hausse du chômage et la stagnation des salaires. Il y a surtout la fin des politiques de soutien à la demande. C'est un véritable choc pour les Français. Ils avaient bénéficié d'une baisse des prélèvements obligatoires sur leurs revenus en 2009 ; ils vont subir une hausse de ces prélèvements en 2010. Avec un moral en baisse et des inquiétudes sur leur avenir en hausse, sur leur emploi et leur retraite notamment, ils vont, malgré un revenu stagnant, accroître leur effort d'épargne. Bref, tout indique que les Français vont déserter un peu davantage les magasins cette année. Pour soutenir la croissance, il faut que le relais soit pris par les exportations et l'investissement. C'est l'espoir du gouvernement. C'est le bon pari. Il ne serait pas sain de continuer à faire vivre sous perfusion l'économie française. Signes encourageants Le pari n'est pas gagné pour autant. Ce qui ressort en effet de la note de l'Insee, c'est que sur ces deux fronts - l'exportation et l'investissement, il y a aujourd'hui des signes encourageants mais encore très incertains. La reprise du commerce mondial conjuguée à la baisse de l'euro devraient à priori doper les exportations françaises. Problème : nos marchés sont surtout en Europe - or la conjoncture va y rester molle, les variations de l'euro n'y affectent pas nos ventes. Coté investissements : les marges des entreprises et les conditions de leurs financement ont tendance à s'améliorer. Problème: une entreprise investit quand elle a des perspectives de demande. Si elle ne les ressent ni sur le marché domestique, ni à l'international, elle n'investit pas. Et c'est encore le cas pour l'instant.Une dose de modèle allemandLe début de l'année s'annonce donc comme une phase de transition délicate pour l'économie française. Une chute brutale de la consommation avant que le relais de l'exportation et de l'investissement n'ait été pris pourrait être fatale à la croissance. C'est, à coup sûr, ce risque qui va animer le débat politique dans les semaines à venir. Déjà, comme on pouvait le lire dans l'interview de François Chérèque, le patron de la CFDT dans " La Tribune " du 23 mars, la revendication en faveur d'une reconduction des aides à la consommation, voire d'un nouveau plan de relance, commence à monter. Le ministère de la relance n'a d'ailleurs pas encore été fermé. Il faut éviter d'en arriver là. Un pays ne peut pas durablement consommer plus qu'il ne produit. L'économie française doit être davantage tirée par l'export, " à l'allemande ". Dans ce jeu, l'Allemagne doit aussi consommer plus. On comprend mieux pourquoi, finalement, en terme de calendrier, Christine Lagarde a tout d'un coup relancé, il y a quinze jours, ce débat sur le modèle allemand. C'est qu'il a une dimension très conjoncturelle. Il y va de la poursuite de la reprise dans la zone euro.
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