« Le bilan finalement banal d'un incendie industriel »

Bloc-notesCertains des héros de Fukushima vont mourir. Mais peut-on ce matin, en respectant leur sacrifice, en prenant la mesure de leur courage, peut-on rapprocher ce sacrifice de celui des pompiers qui ont affronté les grands incendies industriels de l'histoire ? Peut-on mettre en parallèle l'explosion d'une plate-forme de forage ? Une opération de sauvetage menée pour libérer des otages dans une zone d'exploration pétrolière ou gazière soumise aux aléas d'une guerre civile ? On parle alors des « risques du métier », pourquoi ces risques deviennent-ils « insupportables » quand on évoque le nucléaire ? Parce que l'eau de Tokyo pourrait être contaminée ? Et alors ? Pourquoi cette perspective devrait-elle clore toute discussion ? Combien de temps le sera-t-elle ? Quels sont les risques réels ? Ces questions-là n'auraient aucun sens ? Je ne veux provoquer personne, mais juste rappeler que l'eau du robinet est régulièrement impropre à la consommation en Normandie. Les procédures sont rodées. Plus personne ne s'en alarme. L'eau de mer contaminée ? Combien de temps le sera-t-elle ? Pourquoi poser la question relèverait-il du blasphème ?Pour dire les choses clairement, pourquoi ne veut-on pas regarder avec objectivité, réalisme, le combat formidable, héroïque, passionnant, innovant que mènent en ce moment les ingénieurs japonais. On ne met jamais d'eau de mer dans un réacteur, on l'a pourtant fait. Le confinement est sacré, on a pourtant décidé de percer l'une des enceintes pour en préserver l'essentiel. À chaque fois, il s'agit de donner toute sa force à l'adage populaire : de deux maux, choisir le moindre. Et de décider en quelques heures. Il s'est trouvé un commissaire européen pour juger que ces méthodes étaient « peu professionnelles ». Cet homme s'appelle Günther Oettinger. Lisez ça si vous ne l'avez déjà fait : « les moyens du bord avec lesquels les Japonais travaillent, conduisent à corriger la haute opinion que j'avais jusque-là de la compétence des ingénieurs japonais. Il faut redouter que la situation ne soit entre les mains de Dieu ». Je vous assure qu'il l'a dit dans ces termes. Je suis étonné qu'aucune loi ne permette de poursuivre en justice de tels propos. Je tiens à dire que le salaire d'un commissaire européen est d'environ 20.000 euros nets par mois. Je me demande si les Japonais pensent que ce pitre nous représente.La vérité, c'est qu'on a expérimenté au Japon ce qui sera, dans l'avenir, le seul traitement possible des situations de crise : l'improvisation. Parce que les crises seront à l'avenir systématiquement hors-cadre. Aucun des plans d'action prévus ne leur résistera plus. Allez voir ce qu'écrit là-dessus Patrick Lagadec, sur le site internet qui porte son nom : « Il ne suffit plus de savoir installer des salles de crise, se coordonner ou communiquer. L'ignorance, la discontinuité, la montée aux extrêmes, l'inconcevable, sont au nombre des dimensions à traiter ». Et c'est pour ça qu'un bras articulé de 70 mètres censé couler le béton, devient l'arme ultime pour refroidir les réacteurs. Il faut donc admettre qu'Anne Lauvergeon a tort de dire que jamais le réacteur EPR ne relâchera de radiations massives quelles que soient les circonstances. Elle ne peut pas envisager toutes les circonstances. Et plus personne ne le peut.Évidemment, à chaque fois, cette gestion implique de réexaminer les bases du pacte qui fonde la croissance industrielle. Mais d'où sort, si ce n'est de l'irrationnel, qu'il faille en faire un « débat sur le nucléaire » ? Si ce n'est de cette volonté permanente de toujours vouloir affaiblir ce qui fait notre force. Oui, nous sommes une réelle puissance nucléaire. Oui, nous disposons d'une énergie constante validée par 40 ans de retour d'expérience. Oui, cette électricité est aujourd'hui la moins chère d'Europe. Oui, elle nous donne une marge d'indépendance. Oui, les risques sont réels, mais historiquement limités. Non, tout n'est pas prévisible, mais demandons-nous sincèrement ce que nous pourrions construire, s'il fallait à chaque fois le soumettre à l'épreuve de la fin du monde.
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