"Un saut fédéral, mais quel saut fédéral ? "

Le récent débat autour du « traité fiscal » permet malheureusement d\'identifier ce qui fonderait cette « union budgétaire » défendue par de hauts responsables allemands. Elle reflète une vision des politiques économiques centrée uniquement sur les enjeux de compétitivité et négligeant toute capacité des autorités budgétaires ou monétaires à mener des politiques contra cycliques. Dans le prolongement de ce traité, « L\'Union budgétaire » se résumerait ainsi à un contrôle mutuel des budgets nationaux dans un contexte d\'austérité budgétaire. L\'idée sous-jacente est donc de renforcer les mécanismes de discipline budgétaire en interférant directement dans l\'adoption de budgets nationaux dont les parlements sont aujourd\'hui responsables. Cette vision est fondée sur l\'idée que les interventions discrétionnaires des Etats dans le domaine budgétaire créent finalement plus de déséquilibres qu\'ils ne permettent de sortir de situations de crise. Cette profonde méfiance vis-à-vis des interventions des pouvoirs publics dans la politique économique n\'est pas nouvelle. C\'est exactement la même logique qui avait prévalue lorsque les banques centrales sont devenues indépendantes. L\'idée était alors de sortir la politique monétaire du champ possible d\'intervention des pouvoirs politiques, seule manière selon ses promoteurs de réduire l\'inflation de manière crédible. Le « saut fédéral » aujourd\'hui mis sur la table consiste à réduire fortement la capacité des Etats à utiliser l\'outil budgétaire. Sans possibilité d\'utiliser l\'outil monétaire et budgétaire, la seule possibilité laissée aux Etats est d\'agir sur leur compétitivité, en abaissant le coût du travail. C\'est très précisément ce qui est demandé aux pays en crise aujourd\'hui, avec la baisse du salaire minimum ou l\'affaiblissement des mécanismes de négociation collective. Mais cette logique risque de s\'avérer destructrice dès lors qu\'elle est menée conjointement par l\'ensemble des pays européens. La rigueur salariale subie par les allemands depuis le début des années 2000 a certes permis de dégager des excédents extérieurs importants, mais dans un contexte où la demande intérieure des principaux partenaires commerciaux de l\'Allemagne, européens, était elle, extrêmement dynamique.Le saut fédéral est pourtant une nécessité absolue pour la zone euro. Comme le souligne Daniel Cohen (Libération du 19 Juin), « on ne peut partager une monnaie sans partager d\'autres instances pour la protéger ». Mais ce saut fédéral ne doit pas viser à empêcher toute politique budgétaire « fédéralisée ». Le réel saut fédéral ne peut donc consister uniquement à renforcer les mécanismes de contrôle mutuel des Etats sur leur propre budget. Les Etats européens doivent accepter de développer le budget communautaire européen. La discipline budgétaire imposée aux Etats n\'a de sens que si elle s\'accompagne d\'un renforcement de la capacité de l\'Union Européenne (ou de la zone euro tout du moins) à utiliser l\'outil budgétaire à la fois pour mener des politiques contra cycliques et pour faire face à des chocs affectant tels ou tels pays (ou région) de la zone euro. Or la plupart des pays se refuse aujourd\'hui à augmenter ce budget communautaire pourtant microscopique (environ 1% du PIB européen). Il y a un an, la Commission Européenne proposait de limiter le budget européen à 1.05% du PIB mais cela dépassait déjà « nettement le chiffre que le gouvernement fédéral [allemand] considérait comme encore acceptable » (Euractiv, 30 Juin 2011) ». Le Royaume-Uni et la France, jusqu\'à aujourd\'hui, partageaient cette position.Deux moyens peuvent être utilisés pour augmenter ce budget : développer les ressources propres de l\'Union Européenne (par la création d\'une taxe sur les transactions financières, mais également par une taxe carbone européenne ou par la création d\'un nouvel impôt sur les sociétés européen) et par le transfert de certaines dépenses d\'investissement aujourd\'hui nationales. L\'augmentation du budget communautaire pourrait ainsi être l\'occasion de définir ce que pourrait être une politique industrielle menée en commun, sur des objectifs de développement clair de la recherche et développement et de l\'innovation. Le « pacte de croissance pour l\'Europe » proposé par François Hollande à ses partenaires européens est un pas dans la bonne direction mais il s\'agit d\'aller plus loin en renforçant véritablement et directement le budget de l\'Union.Evidemment, le transfert de la politique budgétaire au niveau européen nécessité un contrôle démocratique fort et un renforcement des institutions communautaires. Mais le « saut fédéral » ne doit pas viser à empêcher toute politique budgétaire mais bien de laisser la possibilité à l\'Union Européenne de mener des politiques ne se résumant pas à l\'austérité.  * Maitre de conférences en économie à l\'Université d\'Orléans, membre du conseil scientifique de la Fondation Européenne d\'Etudes Progressistes (FEPS).
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