Crise de l'euro (2)   :

Au sortir de la Première Guerre mondiale, l'Europe est exténuée. À cause du conflit, la France avait dû rompre avec le « franc germinal » et son siècle de stabilité. L'Allemagne, éreintée par le Traité de Versailles, connaît une des plus spectaculaires hyperinflations de l'Histoire. Quant à l'Angleterre, elle est la première à se relever. Un jeune chancelier de l'Échiquier rétablit la convertibilité-or du Sterling, en 1925, sous l'influence de la City : Winston Churchill. C'est une erreur qui coûtera très cher politiquement au futur Premier ministre britannique, parce que la parité retenue, trop élevée - c'est celle de 1817 ! -, déclenche une sévère déflation au Royaume-Uni.La France rêve elle aussi à revenir au « monde d'avant », cette Europe confiante, libérale et relativement prospère d'avant 1914, si bien décrite par Stefan Zweig. Pour cela, il faut reconstruire l'union monétaire européenne autour de l'or, croit-on. Raymond Poincaré, appelé au ministère des Finances en 1926 alors que le pays lutte contre l'asphyxie financière, parviendra en juin 1928 à rétablir la convertibilité or du franc, au prix d'une dévaluation de 80 % par rapport à la valeur de 1913, accompagnée d'une sévère cure d'austérité : le « franc à quatre sous » va relancer la croissance, alors que la prospérité du pays émergent de l'époque, les États-Unis, se diffuse sur le Vieux Continent. Peu à peu, la Suisse, la Pologne, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas rejoignent l'union monétaire, qui est vue comme le socle de la prospérité et de la paix. Le libre-échange qui prévalait avant la guerre est partiellement rétabli.Au plan politique aussi, l'optimisme gagne. Union monétaire et rapprochement des nations marchent l'amble, comme dans nos années 1990. Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères, et son homologue allemand Gustav Stresemann, reçoivent le prix Nobel de la Paix pour leur réconciliation, en 1926. On ressuscite l'idée d'un Autrichien, Coudenhove-Calergi, qui voulait créer les « États-Unis d'Europe », avec un marché unique, une monnaie unique, et même une sidérurgie commune, préfigurant la CECA ! « On peut un moment croire qu'au prix d'immenses sacrifices humains, l'Europe réalise le rêve quarante-huitard », écrit Bertrand de Jouvenel. Aristide Briand défend le projet de fédération à la SDN, invitant les Européens à négocier, le 5 septembre 1929.Quelques semaines plus tard, c'est le krach à Wall Street. Les banques américaines, essorées par les pertes, rapatrient leurs capitaux d'Europe. En mai 1931, la faillite de la KreditAnstalt, à Vienne, éprouve tout le système bancaire du continent. La production s'effondre, le chômage s'envole. Le premier pays à dévaluer est le Royaume-Uni. Asphyxié par un taux de change intenable, Londres quitte le bloc-or en septembre 1931. Cette initiative va donner une nouvelle énergie à la crise, déclenchant des dévaluations sur toute la planète et des mesures protectionnistes. Briand meurt le 7 mars 1932, et avec lui le projet de fédération européenne.Au début des années 1930, les choses ne vont pas si mal en France. « En réalité, elle se trouve simplement attardée dans le grand drame », notera l'économiste Alfred Sauvy. Du coup, elle s'accroche au bloc-or, et restera parmi les derniers pays de l'union monétaire, avec la Belgique et la Suisse. Mais la crise détériore les finances publiques. Pierre Laval, président du Conseil en 1935, engage la France dans une politique de déflation violente, dans le but de préserver la parité-or : traitements des fonctionnaires amputés, économies drastiques... Exactement comme la Grèce et le Portugal d'aujourd'hui. Conséquence, la croissance s'effondre. Et en mai 1936, c'est le Front populaire, qui remporte les élections. Léon Blum entreprend une politique inverse à celle de son prédécesseur, qui va achever de ruiner le pays : dépenses publiques, explosion des coûts unitaires (+43 % sur 1936 et 1937) à cause des avancées sociales. Le 25 septembre 1936, il est contraint de rompre le pacte monétaire, à cause de la fuite massive des capitaux, et dévalue le franc. L'union monétaire a vécu.Trois leçons fort contemporaines se dégagent. Un, l'union monétaire, rêve européen, est mise à l'épreuve par les particularismes nationaux qui subsistent. Deux, le premier pays qui dévalue tire un bénéfice important, qui ne dure pas car il est rapidement imité par d'autres et contré par des mesures protectionnistes. Trois, dans une démocratie, l'austérité n'est pas tenable longtemps. À la lumière de ces trois leçons, l'accord de Bruxelles, annoncé le 25 mars dernier, ne met probablement pas un terme durable à la crise de l'euro. nMardi 6 avril, dernier volet : la dette publique, les subprimes de l'Europe.Point de vue François Lenglet Rédacteur en chef à « La Tribune »
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