Livres : le voyage vers l'empire du ciel et de la terre... (dernière partie)

Les événements économiques et politiques de ces dernières années ont fait de l'Asie un nouvel objet de fascination pour les Occidentaux. Chaque jour, plus nombreux sont ceux qui partent à sa découverte, avides de comprendre cette vaste région qui sera peut-être à l'origine, demain, de l'essentiel de notre croissance économique.
Copyright Reuters

Plus que tout autre pays, c'est la Chine qui exerce sur nous une irrésistible attirance, ce en quoi nous ne sommes guère différents de nos ancêtres qui, depuis le haut Moyen Âge, ont vu dans cet empire du Ciel et de la Terre, comme le nommaient les empereurs chinois, le royaume des « merveilles », une terre d'exploration et de conquête. Nombreux sont les récits anciens de voyages et de découvertes qui ont été récemment réédités, encore plus nombreuses les études savantes sur les conditions dans lesquelles ces expéditions vers l'Orient étaient organisées entre le XVe et le XVIIIe siècle. Pour tous ceux qui s'intéressent à cette partie du monde ou qui y voyagent souvent, replonger aux sources de ce voyage est aussi une façon de comprendre un peu mieux la complexité des relations que l'Occident entretient depuis si longtemps avec l'Asie.

Les Ming et l'Europe

L'histoire des relations commerciales entre la Chine et l'Europe connaît un tournant décisif en 1498, l'année ou les navires de Vasco de Gama atteignent Calicut, sur la côte est de l'Inde. Les conséquences de cette intrusion de l'Europe dans l'océan Indien furent aussi importantes que celle des navires espagnols dans la Caraïbe, pratiquement au même moment. Cela ouvre une période de trois siècles de commerce intense, de concurrence et de guerre entre les pays européens, et marque l'entrée définitive de la Chine dans le référentiel économique et politique des grands royaumes d'Occident. Une histoire que résume fort bien un ouvrage collectif, publié récemment aux Cambridge University Press sous la direction de John Wills, professeur émérite d'histoire à l'université de Californie du Sud et spécialiste de l'histoire de la Chine.
En 1511, les Portugais s'emparent de Malacca, un royaume tributaire de l'empire des Ming. À cette époque régnait en Chine l'empereur Zhengde, personnage complexe mais plutôt bien disposé à l'égard des étrangers. Sous son règne, les navires de tous les royaumes tributaires de la Chine étaient autorisés à commercer librement, moyennant le paiement de taxes dont la collecte était assurée par une administration centrale dirigée par les eunuques. Un commerce florissant s'était installé entre Malacca, le Siam et la Chine du Sud, et c'est au sein de ces relations entre l'Empire et ses royaumes tributaires que les marchands portugais ont réussi à s'installer. À la mort de Zhengde, les choses se gâtent et les Portugais sont expulsés de Canton dans les années 1520, ce qui n'empêche pas la contrebande de s'organiser, jusqu'à ce qu'un autre empereur Ming finisse par autoriser le Portugal à faire de Macao une colonie à part entière en 1557, après qu'ils en eurent auparavant délogé par la force une bande de pirates. Le développement des relations commerciales entre l'Occident et la Chine, à partir de cette époque, n'a pas obéi à un processus linéaire, ni politiquement très organisé, de la part des Européens comme des Chinois. La corruption qui régnait alors à la cour des Ming donnait lieu à toutes sortes de négociations parallèles entre eunuques, administrateurs locaux et marchands portugais puis hollandais. La présence à Macao d'une puissante colonie portugaise, la construction d'une muraille autour de la ville, la présence de nombreux « immigrés », venus de toute l'Afrique orientale, a provoqué en Chine de violentes oppositions, au point que les jésuites installés sur le continent étaient obligés de prendre leurs distances vis-à-vis de la colonie afin de ne pas être associés à sa très mauvaise image à Pékin. La puissance montante du Japon dans l'activité économique de la mer de Chine a été souvent utilisée par les Portugais et les Hollandais pour faire pression sur le pouvoir chinois afin d'obtenir davantage de droits commerciaux et de créer d'autres ports, ailleurs que dans le détroit de la rivière des Perles, où s'est cependant concentré l'essentiel de l'activité économique chinoise à l'exportation jusqu'au début du XIXe siècle. En outre, le livre de John Mills et de ses coauteurs permet aussi de se rendre compte des difficultés que les puissances européennes éprouvaient dans leur dialogue diplomatique avec l'empereur et ses hauts fonctionnaires, difficultés dues pour l'essentiel à ce statut de royaumes tributaires que la cour de l'empereur voulait imposer aux royaumes européens et que ces derniers ne pouvaient naturellement pas accepter.
On retrouve des éléments de même nature dans les relations entre l'Occident et la Chine, notamment dans la volonté prêtée à cette dernière de vouloir se réinstaller dans le rôle de l'empire du Milieu, organisant les relations avec les royaumes tributaires afin d'en demeurer le centre névralgique. Cette vision n'est évidemment pas partagée par les pays européens ou les États-Unis, qui ne peuvent néanmoins pas échapper à la consolidation de relations politiques et économiques sereines avec un pays qui concentre autant de puissance économique et commerciale.µ


Extrait
:

« Entre 1590 et 1610, Macao était au sommet de la prospérité, servant de centre névralgique aux grandes routes commerciales européennes en pleine expansion et à l'activité économique surchauffée de la Chine des Ming, jouant notamment un rôle essentiel dans l'exportation de soie brute et de soieries vers le Japon et l'importation d'argent métal de ce même Japon. Mais en dépit des profits générés par ce commerce, il y avait quelque chose à propos de Macao qui dérangeait beaucoup les habitants de Canton. Les Chinois qui s'y rendaient croisaient dans les rues des personnages aux allures étranges, de toute race et toute couleur, Portugais d'origine, esclaves et métis venus de tout l'océan Indien. L'architecture, les processions religieuses, le son des cloches des églises, tout cela disait aux Chinois que ce n'était pas la Chine. Le fait que des esclaves africains s'échappent de Macao pour se réfugier à Canton était une autre source de problème. Aux alentours de 1600, les Cantonnais commençaient sérieusement à se dire que Macao n'appartenait plus à Canton. Les poètes commençaient à évoquer les dangers des "dragons dans les eaux", bien différents des dragons bienfaisants des plaines du Nord, qui apportaient la pluie. »

John E. Wills, China and Maritime Europe, 1500-1800

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.