Qui osera poursuivre Charles Aznavour ?

Par Eric Walther  |   |  510  mots
Charles Aznavour a ouvertement reconnu avoir payé des politiques pour régler une partie de ses problèmes fiscaux
En déclarant qu'il avait en quelque sorte acheté à des politiques la bienveillance du fisc, le chanteur reconnait plusieurs délits graves. Et pourtant personne ne semble vouloir réagir...

 A voir, lire ou entendre le peu de réactions aux propos inouïs de Charles Aznavour, on se demande si la sphère politico-médiatique n'a pas définitivement perdu la boule. Comme si le ras-le-bol fiscal, qui fige désormais toute initiative, pouvait trouver des ressorts dans n'importe quel marigot, aussi nauséabond soit-il.

Rappelons ce qu'a révélé le chanteur français le plus connu de la planète au micro de France Info à propos de ses démêlés avec le fisc qui l'ont conduit à jouer les pionniers, en quittant la France pour la Suisse dès le début des années 1970 :

"Il y a quelques gens de la politique qui pouvaient, paraît-il, arranger mon coup et moi, j'avançais un peu d'argent en liquide pour les votes qu'ils devaient avoir, notamment pour les affiches".(…) Ça m'a coûté très cher. De tous les bords, même dans le centre, un peu partout. On avait un go-between qui amenait l'argent en liquide quelque part (...).

On aurait pendu Depardieu en place Saint Germain des Prés pour moins que ça

On peut difficilement être plus clair. Aznavour dit qu'il a payé indirectement pour « arranger » ses affaires et qu'il en connaît les destinataires puisqu'il parle de « tous bords » (on se demande d'ailleurs au passage comment il a pu arroser la gauche puisque l'alternance à l'époque était encore très loin). Ces fait peuvent être qualifiés, en droit, de corruption de personnes dépositaires de l'autorité publique. Les mêmes personnes devraient elles être alors accusées de concussion.

C'est donc du lourd. On aurait pendu Depardieu en place Saint Germain des Prés et mis le feu à l'hôtel particulier voisin de Bernard Tapie pour beaucoup moins que ça. Alors pourquoi ? Pourquoi personne ne s'est saisi de ces déclarations pour demander des comptes, une enquête, des noms…?

Parce que l'on ne veut pas s'acharner sur une star qui file sur ses 90 ans, qu'elle n'aurait plus toute sa tête ? Mais ne nous dit-il pas à la moindre occasion qu'il est en pleine forme et ne pense qu'à travailler ?

Parce que les faits seraient prescrits, que les supposés coupables de ces délits ne seraient plus en charge ? Voire. On pourrait à tout le moins exiger des précisions sur un sujet fort grave d'autant que les ennuis fiscaux d'Aznavour ont continué pendant de longues années après son départ.

Parce que l'opinion est déjà suffisamment abreuvée en affaires et qu'une de plus ne changerait rien à…l'affaire ? Ce qui signifierait donc qu'il faudrait aujourd'hui monter toujours plus haut sur l'échelle des valeurs de la morale publique pour que l'on ose s'indigner, donc agir. Comme si l'affaire Cahuzac avait en quelque sorte tué le match.

Nous n'en voulons pas davantage à Charles Aznavour qu'à ceux qui quotidiennement se livrent à des pratiques fiscales délictueuses. Simplement, le silence gêné qui entoure ses aveux concourt encore au divorce entre un peuple qui se sent maltraité et des élites intouchables.