La mémoire dans la peau

Les nouvelles technologies envahissent l'esprit et le corps. L'objectif est de parvenir à créer un « humain augmenté ». Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation, Foncière des régions.
Philippe Boyer

La carte de transport, c'était avant. Le trousseau de clés, le badge pour pénétrer dans un bâtiment ou pour accéder à son club de sport, aussi. Désormais, délesté de tous ces objets, il suffira de tendre la main ou le bras. Telle est l'une des dernières avancées de la révolution numérique qui permet d'implanter des puces sous-cutanées. En Suède, 450 volontaires viennent ainsi d'accepter de recevoir une puce électronique logée sous l'épiderme et positionnée entre le pouce et l'index. Si jusqu'alors il fallait l'intermédiation d'un objet (carte, ticket....) pour, par exemple, valider son trajet dans le métro, il suffit désormais de « présenter » sa main pour le faire.

Aujourd'hui expérimentée pour voyager, demain, cette même puce pourra tout à fait devenir le vecteur unique contenant l'ensemble de nos informations personnelles, financières mais aussi de santé, ou d'identité... bref, à la fois nous simplifier la vie tout en nous enfermant dans un univers de possibles contrôles permanents. Comme toujours, sur ces sujets numériques, le paradis a pour voisin immédiat l'enfer.

Prêt pour connecter votre cerveau ?

Il est vrai que, depuis quelques années, le rêve de l'Homme augmenté attire de multiples convoitises, tant celles du géants du Net que de scientifiques démiurges. Les promesses de l'intelligence artificielle capable de se connecter à l'intelligence humaine au point de ne faire plus qu'une ne sont plus seulement réservées aux réalisateurs des films de science-fiction.

A chaque fois, les intentions sont louables : tenter d'améliorer les performances humaines pour parfaire ses qualités physiques et mentales. Avec ces avancées technologiques, nous assistons au grand retour des mythes fondateurs et de leurs rêves d'immortalité. Sauf que, cette fois, la technologie accompagnée de ses thuriféraires les plus fortunés, adeptes du transhumanisme, pourraient bien réussir à concrétiser ce rêve fou consistant à faire de l'Homme un « être augmenté ». Plusieurs avancées méritent d'être rappelées.

D'abord, celles de chercheurs japonais qui, en 2013, ont été capables de mettre au point une solution d'intelligence artificielle créant des contenus correspondant aux images rêvées par des patients. A cela s'ajoute la multiplication de dispositifs qui proposent de nouvelles interfaces d'interaction cerveau-machine.

Neuralink est un de ceux-là. Financée par Elon Musk, cette startup d'un genre particulier entend connecter les neurones à la machine, et ceci, d'ici à 2022. Quelles que soient les avancées effrayantes et enthousiasmantes de tels développements technologiques, se dessinent d'innombrables questions éthiques et  philosophiques qui gravitent autour de ces projets de connexions entre le cerveau et la machine.

Le retour de l'Homme sauvage

Une chose est sûre, l'esprit et le corps risquent bien de devenir les prochains champs d'expérimentation des nouvelles technologies. Lorsque l'Homme connecté pourra se passer d'objets extérieurs pour agir, lorsqu'il aura ainsi « ubérisé » les outils qui lui ont permis de s'émanciper du fait que ces derniers seront intégrés à son corps devenu son nouvel outil, alors nous serons revenus à l'état d'homme sauvage tel que décrit par Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l'origine des inégalités :

« Le corps de l'homme sauvage étant le seul instrument qu'il connaisse, il l'emploie à divers usages... c'est notre industrie qui nous ôte la force et l'agilité que la nécessité l'oblige d'acquérir. S'il avait eu une hache, son poignet romprait-il de si fortes branches ? S'il avait eu une fronde, lancerait-il de la main une  pierre avec tant de raideur? S'il avait eu un cheval, serait-il si vite à la course?»

Ce n'est pas le moindre des paradoxes que de penser que la technologie, censée nous donner une plus grande autonomie, pourrait bien finalement contribuer à limiter notre indépendance et notre liberté. Bref, en ce début du 21e siècle, nous faire revenir à cet état « d'Homme sauvage » décrit par un philosophe du 18e siècle.

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Philippe Boyer

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