Du mur de Berlin au mur de Trump

Que s'est-il donc passé en cette année 2016 pour que des démocraties choisissent le repli sur soi, après trente ans de libéralisation de la circulation des hommes, des marchandises et des capitaux ?
Philippe Mabille
Construire un mur à la frontière sud des Etats-Unis pour stopper l'immigration illégale des Mexicains, une promesse phare de la campagne de Donald J. Trump.

Cinquante-cinq ans après l'édification du mur de Berlin, le 13 août 1961, 27 ans après sa chute, le 9 novembre 1989, le monde assiste, incrédule à l'édification de nouveaux murs, en Europe de l'Est face aux migrants, mais aussi aux États-Unis, où le candidat élu Donald J. Trump va devenir le 45e président des États-Unis en promettant de construire un mur à la frontière avec le Mexique. Que s'est-il donc passé en cette année 2016 pour que des démocraties choisissent le repli sur soi après trente ans de libéralisation de la circulation des hommes, des marchandises et des capitaux ? En juin, une majorité de Britanniques a fait le choix du Brexit pour refaire de la Manche une frontière avec l'Union européenne.

Quand se ferment les portes

La négociation qui va débuter au début de 2017 s'annonce dure, a prévenu le nouveau Premier ministre Theresa May, qui est en train de bouleverser la stratégie économique de son pays : moins de City et plus d'industrie, voilà son nouveau credo, comme si le vote des campagnes anglaises déshéritées était aussi un vote contre Londres, l'opulente métropole capitale de la finance. De même, Trump s'est fait le champion de l'Amérique profonde déclassée par la mondialisation et ne se contente pas de vouloir ériger un mur physique, mais aussi commercial entre les États-Unis et ses partenaires : il veut dénoncer tous les accords commerciaux, celui avec le Canada et le Mexique comme celui en cours de négociation avec l'Europe (Tafta) et avec les pays du Pacifique. Il envisage même de sortir de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, et de remettre en cause les alliances militaires au sein de l'OTAN pour les pays ne dépensant pas les 2% du PIB réglementaires pour leur sécurité extérieure.

Dans ce monde de Trump, qui fait penser à celui des années 1930, l'isolationnisme et le mercantilisme deviennent la règle. On sait, par expérience, qu'il ne faut rien attendre de bon lorsque le monde se referme. Bien sûr, il s'agit sans aucun doute d'un retour de bâton après une période de trop grande et de trop rapide ouverture. La démondialisation à l'oeuvre n'est que la conséquence d'un excès de mondialisation dont les effets positifs ne sont plus perçus que par ceux qui en sortent gagnants. Principalement les habitants des grandes métropoles cosmopolites, celles qui n'ont pas voté pour le Brexit et Trump, et ce que l'on appelle la classe créative mondiale, qui va de la Silicon Valley californienne aux grandes places financières dont Londres est l'archétype et Paris, Francfort ou Genève les grands concurrents en Europe continentale.

Quand s'étiolent les classes moyennes

Mais, pour l'immense majorité des classes moyennes des pays développés, celles qui assurent normalement la stabilité politique d'un pays, la mondialisation a été ressentie comme un appauvrissement. Le « graphique de l'éléphant », élaboré par l'économiste serboaméricain Branko Milanovic, ancien directeur de la recherche de la Banque Mondiale, montre que les tendances populistes que nous dénonçons aujourd'hui étaient en germe depuis plusieurs années.

Elephant des inégalités, Branko Milanovic, édito Mabille, Hebdo 189,

L'écrasement, pour ne pas dire l'effondrement sur les années récentes, du revenu réel des classes moyennes montre à quel point le creusement des inégalités a changé la donne politique, dans toutes nos démocraties. Trump n'est que l'extériorisation, parfois jusqu'au vulgaire et au grotesque, de ce phénomène qui a produit Boris Johnson en Grande-Bretagne, Viktor Orban en Hongrie, les frères Kaczynski en Pologne, voire d'un certain point de vue, même si c'est un peu différent, Vladimir Poutine en Russie.

Quand se dressent les aventuriers de la politique

Après le Brexit, après Trump, la question vient donc naturellement : à qui le tour ? La montée du populisme en Europe continentale, y compris dans les démocraties scandinaves et en Allemagne depuis l'entrée massive de migrants, fait craindre un troisième choc, qui bouclerait la boucle. Les élections présidentielles en France, au printemps 2017, seront le prochain test alors que Marine Le Pen place le Front national dans le droit fil du « trumpisme ». D'autres, comme Jean-Luc Mélenchon ou dans un autre style Emmanuel Macron, désormais candidat, veulent surfer sur la vague de révolte contre le système et pensent pouvoir créer la surprise. La victoire de Trump donne des ailes à tous les aventuriers de la politique.

Dans ce climat de fracture sociale et politique de nos sociétés, l'élection de Trump sonne comme un wake-up call, un de plus. Le fait que le nouveau président a confirmé un grand plan de relance des infrastructures aux États-Unis avec des accents rooseveltiens est plutôt une bonne nouvelle, dont l'Europe serait bien inspirée de s'inspirer, même s'il est déjà minuit moins une. Pour vaincre le populisme, il ne suffira pas de pousser des cris d'horreur ; il faudra surtout s'attaquer aux causes qui y conduisent : la croissance faible et le sous-emploi. Voir l'élection de Trump s'accompagner d'un retour des anticipations d'inflation et d'une hausse des taux est finalement le symbole que nous sommes, peut-être, en train de vivre un vrai tournant économique : la « Trumpflation ».

Par Philippe Mabille,
directeur de la rédaction

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