Macron va-t-il nous faire préférer le train ?

Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction  |   |  973  mots
Si Emmanuel Macron parvient à réformer le système ferroviaire français en évitant le blocage du pays, il aura gagné ses galons de grand réformateur. (Crédits : Reuters)
[ÉDITO] Ouverture à la concurrence, changement de statut de la SNCF et des cheminots, fermeture de lignes non rentables, le grand chantier de l'avenir de la SNCF est lancé. Le rapport Spinetta a provoqué l'émoi la semaine dernière chez les syndicats de cheminots. L'exécutif consulte et concerte. Mais pourra-t-il s'attaquer à ce tabou français sans éviter un blocage du pays ?

Le 22 mars prochain, ce sera donc, à l'aube du printemps 2018, la date de la première grande grève de l'ère Macron. Une journée de manifestations et de grève à la SNCF qui n'est sans doute pas, pas encore, le début de la grève générale à laquelle rêvent certains nostalgiques de l'automne 1995, ou du 22 mars 1968, date symbolique du cinquantenaire des « événements » de cette année mythique ! Mais, au vu de la nature et du calendrier des réformes à venir, une date à suivre, à coup sûr, et un test pour la méthode du gouvernement comme pour la capacité de résistance des syndicats.

Deux sujets majeurs seront à l'ordre du jour de ce printemps : l'avenir de la SNCF, désormais posé sans tabou depuis la remise du rapport de Jean-Cyril Spinetta sur le ferroviaire ; et celui de la fonction publique, lui aussi mis en chantier par le gouvernement sans prendre trop de gants puisque tout, y compris la possibilité de plans de départs volontaires, est sur la table des négociations. Après une demi-année 2017 consacrée à la mise en oeuvre de son programme pour le secteur privé, avec les ordonnances assouplissant le marché du travail et les grandes réformes fiscales, 2018 sera pour Emmanuel Macron l'année de la transformation du secteur public.

Concerter plus, pour réformer mieux

Sur la fonction publique, l'objectif est connu : 120.000 fonctionnaires de moins d'ici à 2022. Fillon parlait, lui, de 500.000 postes. À la manœuvre, le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, transfuge de la droite, attend le rapport de la mission CAP 22 qui lui sera remis en avril. Tout dépendra ensuite de la méthode : les agents publics savent bien qu'un certain nombre de leurs métiers vont disparaître avec le numérique. Le deal sera de proposer aux fonctionnaires un plan de formation pour les préparer à ces transformations inéluctables.

Pour cela, le gouvernement veut s'attaquer aux rigidités qui freinent la mobilité, et pour cela assouplir le statut de la fonction publique, tabou ultime, augmenter le recours aux contractuels notamment dans l'encadrement supérieur, et mettre en place la rémunération au mérite, en fonction de critères de satisfaction des usagers-clients. Bref, adopter dans le public des modes de management plus inspirés du privé. Si cela se fait dans la concertation, en respectant les fonctions régaliennes et en revalorisant les métiers, cela peut passer. L'État n'a de toute façon pas trop le choix : la course-poursuite est désormais lancée entre la hausse des taux et les charges d'intérêt de la dette. La situation de la SNCF est tout aussi urgente. Certes, l'entreprise nationale a dégagé 1 milliard d'euros de bénéfices l'an dernier mais ce résultat est largement fictif, puisqu'il ne tient pas compte de la dette galopante du ferroviaire. Le grand mérite du rapport Spinetta est de dire aux Français la vérité des chiffres : « Les concours de l'État et des collectivités locales à la SNCF sont de 10,5 milliards d'euros par an et, malgré tout, la dette augmente de 3 milliards par an. Dès lors, il faut se demander si chaque euro dépensé crée de la valeur ».

Spinetta ose le dire : il faut changer le statut de la SNCF

À ce rythme, la dette de la SNCF, qui est de 46 milliards fin 2017, frôlera les 60 milliards au terme du mandat du chef de l'État. Une situation insoutenable, alors que l'entreprise doit se préparer à affronter la concurrence à partir de 2019 sur les TGV, puis en 2023 sur les TER et les Intercités. Le deal proposé implicitement par Emmanuel Macron l'été dernier est simple : l'État reprend cette dette qui n'est pas imputable qu'à la seule SNCF, mais aux errements de la politique du tout TGV, et, en échange, il muscle l'entreprise ferroviaire. Spinetta ose le dire : il faut changer le statut de la SNCF pour en faire une société anonyme - 100 % publique bien sûr - et non plus un Epic bénéficiant de la garantie implicite de l'État ; il faut faire évoluer le statut des cheminots pour les nouveaux embauchés, comme cela a été le cas pour France Télécom et La Poste ce qui permettra à l'entreprise d'augmenter sa productivité et de normaliser son régime de retraite. Et, alors que de nouvelles formes de mobilités ("cars Macron", covoiturage) se développent, il faut fermer les lignes les moins fréquentées qui coûtent une fortune en entretien.

En contrepartie, comme cela est prévu dans le rapport Duron sur les infrastructures, l'État pourra ainsi réorienter les investissements dans les transports du quotidien, afin d'améliorer la qualité de services pour les millions de salariés otages du train pour leurs trajets domicile-travail, particulièrement en Île-de-France. La SNCF doit consacrer 46 milliards d'euros sur les dix prochaines années à des travaux de rénovation des réseaux (ce qui n'est pas sans lien avec les quelques pannes spectaculaires récentes, comme celles de la gare Montparnasse). Enfin, la SNCF devra rendre une partie de ces gains de productivité à ses clients en développant des tarifs plus compétitifs comme la gamme low cost Ouigo.

Emmanuel Macron est au pied du mur. Son défi est de convaincre que les réformes en cours n'ont pas pour objectif de « privatiser » les services publics, mais au contraire de les renforcer en améliorant leur rapport coût-efficacité. Sa chance est de lancer ces chantiers dans un moment de reprise économique, ce qui permettra de rechercher des compromis gagnant-gagnant, et son habileté sera de les mener à bien rapidement. S'il y parvient en évitant le blocage du pays, il aura gagné ses galons de grand réformateur.