La Chine et le monde : "des murailles d'or et d'argent..."

La Chine est redevenue une puissance économique mondiale. Une sorte de renaissance de l'empire du Milieu, un siècle après la chute de la dernière dynastie chinoise, les Qing, le 12 février 1912. En cinq épisodes clés, La Tribune retrace quelques-unes des grandes pages qui illustrent la relation mouvementée entre la Chine et l'Occident, au moment où certains entrevoient déjà sa domination sur le reste du monde au cours des années qui viennent.
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Les premiers marchands étrangers qui ont parcouru la Chine sont des musulmans, vers l'an 800. Et ce sont des géographes et des auteurs arabes, qui, les premiers, sensibilisèrent les esprits aux "merveilles" de la Chine. Elle fut d'abord connue comme un lieu féerique, plein de créatures mystérieuses, gorgé des richesses les plus magnifiques. Toute une littérature de voyages, d'origine arabe, s'est développée entre le XIème et le XIVème siècle, dont les oeuvres les plus célèbres demeurent "Informations sur l'Inde et la Chine", datant de la fin du IXème siècle, ou "Voyages et Périples" d'Ibn Battuta (1304-1377), qui entame en 1325, un long voyage qui le conduira de la Palestine jusqu'en Chine, en passant par la Perse, Médine, le Yémen, avec un détour par la Russie méridionale. Il débarque à Zaytun (aujourd'hui Quanzhou), qui était alors le plus grand port du monde, le point de départ de la route de la soie maritime et un grand centre de fabrication de tissus damassés et de satin. "La Chine est un vaste pays où abondent les ressources, les fruits, les céréales, l'or, l'argent et aucune autre contrée ne l'égale sous ce rapport", écrit-il.

En Europe, après l'ambassade mongole auprès de Saint Louis, d'autres suivirent qui s'arrêtaient presque toutes en Mongolie. C'est là, dans la capitale du khan, à Karakorum, "pas aussi grande que le village de Saint-Denis", note Guillaume de Rubrouck (un moine franciscain flamand, qui fit le voyage de Mongolie en 1253 pour le compte de Saint Louis), que se forgent les merveilleuses légendes sur la Chine, toute proche, mais encore inatteignable. Ce sont les Mongols eux-mêmes qui en nourrissent leurs visiteurs étrangers. Les descendants de Gengis Khan sont fascinés par la Chine, son mode de vie, la munificence de ses palais. Au retour de leurs expéditions guerrières en Chine, ils rapportent objets, meubles, tapis qui viennent décorer leurs "ghers", ces grandes tentes rondes qui constituent l'essentiel de leurs possessions terrestres. Plan Carpin et Rubrouck entendent ces récits qui disent : "il y a des villes ceintes de murs en argent et de remparts en or", parlent de "merveilles infinies", de "richesses extraordinaires".

Entre l'Occident et la Chine, le voyage est pourtant périlleux et long. Les conditions climatiques peuvent se révéler extrêmes. Ibn Battuta raconte la façon dont il tente de lutter contre le froid : "je revêtais trois pelisses de laine et deux caleçons dont un double, aux pieds des bottines de laine, une autre paire de lin doublée et une troisième en cuir de cheval fourrée de peau de loup. Je ne pouvais monter à cheval seul à cause de ce grand nombre de vêtements." La grande voie terrestre, immortalisée sous le nom de "route de la soie" est très longue, traverse les terres inhospitalières du nord de la Chine, contourne le désert de Taklamakan, pénètre dans ce qui est aujourd'hui l'Ouzbékistan pour atteindre la mer Caspienne et l'Irak. La voie maritime, quant à elle, est jalonnée de nombreux ports : Oman, Bombay, Calicut, Ceylan, Canton, Zaytun, mais les vents sont souvent contraires et les tempêtes fréquentes. De Tana, sur la mer d'Azov, à l'embouchure du Don, jusqu'au centre de la Chine, il faut compter au moins 255 jours par la terre. Mais la Chine est bien organisée pour les voyageurs : tous les 50 ou 60 kilomètres, on trouve des relais de poste, dotés de plusieurs centaines de chevaux. Dans tout l'empire mongol et chinois, on compte alors pas moins de 10.000 caravansérails dotés de 200.000 chevaux.

Ce furent des marchands vénitiens. Niccolo et Maffeo Polo qui effectuèrent la percée décisive et ouvrirent véritablement la Chine au commerce avec l'Occident. A dire vrai, ils découvrirent l'empire du Milieu par hasard. Ils ne pensent même pas à rejoindre cette destination lointaine lorsqu'en 1252 ils s'embarquent à Venise pour Constantinople où ils se fixent au sein de l'opulente communauté vénitienne de la ville. En 1260, ils quittent les rives du Bosphore pour s'établir en Crimée à Soldaia, puis continuent leur voyage vers Saraï sur la Volga pour rendre visite à Berké, un autre petit-fils de Gengis Khan, chef de la Horde d'Or, le royaume mongol de la Russie du Sud. Ils poussent jusqu'à Boukhara, ancienne capitale de la dynastie persane des Samanides, conquise par Gengis Khan en 1220. Coincés par des guerres de clans fréquentes chez les Mongols, ils restent à Boukhara pendant trois ans, et sont invités à se joindre à une ambassade mongole qui rend visite à Kubilay, grand khan des Mongols, installé en Chine du Nord, dont il deviendra l'empereur en 1271.

Finalement, Niccolo et Maffeo atteignent Pékin en 1266, et attirent suffisamment l'attention de l'empereur, qui n'avait jamais vu de "Latins", pour qu'il leur confie en retour, une mission d'ambassade vers la chrétienté et l'ordre de revenir en Chine avec cent missionnaires et savants. Les deux frères Polo sont de retour à Venise en 1269 puis repartent en sens inverse, cette fois accompagnés du fils de Niccolo, Marco, alors âgé de quinze ans. Ils reparaissent devant Kubilay en 1274. Ce dernier appréciait tellement leur compagnie qu'il ne les autorise à quitter la Chine que quinze ans plus tard, en 1291. Marco Polo rentre à Venise en 1295, avec une fortune en pierres précieuses et connaîtra un immense succès avec la publication, en 1298, de son livre "le Devisement du monde" ou "le Livre des merveilles", écrit dans un français mêlé de pisan, et non en latin, ce qui explique son succès populaire. Philippe Le Bel, roi de France, confia à son propre frère Charles de Valois le soin de superviser sa traduction en français.

Dès lors, les missions de moines et de marchands furent plus nombreuses à partir pour la Chine, dont le célèbre Jean de Montecorvino, diplômé de philosophie et de théologie, qui y arrive en 1293 et fut fait, en 1308 archevêque de Pékin où il mourut, vingt ans plus tard. A partir de 1350, on croise des Européens à peu près partout en Asie. Dans la capitale de Kubilay Khan, on compte plus de 30.000 chrétiens de rite grec, descendants des captifs ramenés du Caucase par les troupes mongoles. Gênes et Venise, les deux cités ennemies, fournissent des négociants, à l'image de Pietro de Lucalongo, compagnon de voyage de Montecorvino, L'une des caractéristiques du règne de Kubilay est son ouverture vers l'extérieur, à la fois sur le terrain religieux (les Mongols sont assez indifférents à la religion) et dans le domaine commercial. Les villes chinoises accueillent des colonies de marchands musulmanes, chrétiennes, juives. Les marchands italiens rayonnent dans toute l'Asie centrale, à partir de leurs bases en mer Noire, à Tabriz, à Bagdad. Epices et soieries constituent la base des échanges, et participent à la prospérité des colonies génoises du Yangzi, du Fujian et du port de Zaytun.

De son côté, le commerce chinois se développe en Asie centrale, en Perse, le long des côtes asiatiques, en Indonésie, en Malaisie, en Inde du Sud. Mais la fin de la dynastie des Yuan, en 1368, sous les coups de boutoir d'un ancien paysan, instruit par des prêtres bouddhistes, Zhu Yuanzhang, créateur de la dynastie des Ming (1368-1644), va changer la donne. Une nouvelle ère s'ouvre, qui va consacrer encore un peu plus le rôle de la Chine dans le système de référence occidental.

 

Repères

Les faits, chiffres et extraits de relations de voyages, cités dans les épisodes 1 et 2 de cette série sont extraits de : "Les explorateurs au Moyen-Age" par Jean-Paul Roux (Seuil, 1961), "Histoire de la Chine" par John Fairbank et Merle Goldman (Tallandier, 2010), "Le grand désenclavement du monde" par Jean-Michel Sallmann (Payot, 2011), "Voyageurs arabes", (La Pléiade, 2010).

 

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