Comment les Sociaux-démocrates allemands ont vendu leurs convictions européennes pour un plat de lentilles

Par Romaric Godin  |   |  1580  mots
Angela Merkel, au premier plan, a imposé sa politique européenne à Sigmar Gabriel, le patron de la SPD (flouté au deuxième plan).
En Allemagne, on parle d'un "tournant à gauche" du gouvernement allemand. Mais dans les faits, et notamment, sur l'Europe, Angela Merkel peut savourer sa victoire.

Comme souvent, le rêve des Sociaux-démocrates français s'est brisé sur l'écueil de la réalité allemande. Que n'avait-on pourtant entendus comme espoirs sur cette entrée des Sociaux-démocrates dans le gouvernement allemand ? Ils devaient enfin permettre un rééquilibrage de l'économie européenne, ils devaient porter avec eux une vraie vision européenne, ils devaient enfin ouvrir la voie à une véritable solidarité intraeuropéenne. Bref, ils devaient infléchir réellement la politique allemande sur l'Europe.

L'austérité reste à l'ordre du jour

On aura en réalité tout l'inverse. L'Allemagne continuera à défendre la politique d'austérité dans les pays périphériques. La Grèce et le Portugal auront bien du mal à obtenir, le souhaiteraient-ils, une restructuration de leurs dettes. Wolfgang Schäuble, laissé en place aux Finances, n'en a jamais voulu entendre parler et cela ne changera pas. Grecs et Portugais devront donc encore pendant des années porter ce fardeau et dégager des excédents budgétaires primaires conséquents afin de rembourser les contribuables (entre autres) allemands. Ils devront donc demander une nouvelle aide dès l'été prochain, aide qui, comme le précise l'accord de coalition, sera soumise à une « très stricte conditionnalité. » Les Sociaux-démocrates allemands n'ont donc pas vu d'inconvénients à signer la poursuite de cette politique.

Le modèle chypriote renforcé

Mais il y a pire : la SPD a consenti à la rendre plus dure encore. Désormais, la coalition allemande fait de « la participation » des pays en crise à leur propre sauvetage un point de départ de sa politique européenne. Ceci signifie que pour que le Bundestag ne votera pas en faveur d'une aide du MES (vote nécessaire car l'Allemagne dispose d'un véto au sein du MES) s'il n'y a pas de financement préalable d'une partie de cette aide par l'Etat en question.

En clair, c'est la fameuse jurisprudence chypriote qui va s'appliquer. Comme l'avait lâché par mégarde le président de l'Eurogroupe, le travailliste néerlandais Jeroen Dijsselbloem, l'aide à Chypre, où les déposants avaient été mis à contribution pour sauver les banques, pourrait être un « modèle. » L'Irlande avait montré la voie en 2010 en vidant sa caisse de retraite.

L'ennui avec ce modèle, c'est que le seul vainqueur est le contribuable allemand. Les économies concernées, elles, paient cher ce manque de solidarité. A Chypre, ce "modèle" a plongé l'économie dans une crise structurelle dont l'issue est bien incertaine. En Irlande, il pose le problème futur du financement des retraites, problème qui, inévitablement, retombera sur les salariés irlandais… Mais les Sociaux-démocrates allemands n'en ont cure, pas plus que les Travaillistes néerlandais.

Un durcissement des traités en vue

Cette SPD qui devait favoriser la solidarité a abandonné son programme européen en pleine campagne. Le principe du refus de l'Union des transferts est répété par le traité de coalition;  les euro-obligations jetées aux oubliettes, le « fonds d'amortissement » de la dette européenne laissé aux orties. A la place, le gouvernement Merkel III proposera des « contrats » contraignants les pays à respecter des objectifs que l'on imagine plus durs que ceux prévus par le Traité de Maastricht et le pacte budgétaire. Peu importe que la SPD ait obtenu l'obligation d'une « sanction démocratique » de ces « contrats » : on a vu avec le vote du parlement chypriote en mars quel cas l'Europe faisait des décisions démocratiques. Peu importe également que des objectifs de justice sociale et d'emplois aient été intégrés dans ces « contrats » : on connaît le raisonnement allemand qui consiste à affirmer que ces deux éléments sont les conséquences inévitables d'un budget équilibré et d'une réduction de l'endettement.

L'Union bancaire vidée de sa substance

Dernier point et non des moindres, la SPD s'est alignée entièrement sur la logique d'Angela Merkel de faire intervenir le MES pour renflouer les banques qu'en dernier recours dans le cadre de l'union bancaire. Là encore donc, l'État concerné ou les déposants des banques devront être mis à contribution d'abord. C'est une confirmation de la jurisprudence chypriote et l'abandon de la première raison pour laquelle les Européens ont conçu cette Union bancaire : la fin du lien entre risque souverain et risque bancaire. Les Allemands refusant de payer, ce lien est en réalité confirmé et, en cas de crise bancaire, il faudra en passer par une cure sévère pour l'économie du pays concerné. Là encore, le spectre de Chypre menace le reste de l'Europe, à commencer par la Slovénie, en première ligne.

Priorité de politiques intérieures pour la SPD

La vérité, c'est que la SPD s'est rallié sans vergogne pour six portefeuilles ministériels et quelques bribes de son programme intérieur à la logique à la logique européenne d'Angela Merkel qui consiste à protéger d'abord les intérêts supposés des contribuables allemands. La CDU, effrayée par la montée en puissance du parti anti-euro n'a rien voulu lâcher sur ce terrain. La SPD n'a pas insisté, tant il est vrai que l'Europe n'est guère porteur sur le plan électoral outre-Rhin - et encore moins lorsque l'on en défend une version plus solidaire.

Vers un rééquilibrage ?

Reste évidemment la question du « rééquilibrage. » On pourrait espérer que le programme de la grande coalition vienne favoriser la demande intérieure, réduire l'excédent courant et donner un coup de fouet aux importations en provenance des autres pays de la zone euro. Ce qui est frappant, c'est que les soutiens d'Angela Merkel défendent cette idée, que les Sociaux-démocrates n'osent pratiquement plus avancer, en présentant l'accord de coalition comme une victoire de la SPD. Un journaliste du très conservateur groupe Axel Springer pouvait ainsi « twitter » ce mercredi matin : « chers Grecs, Espagnols et italiens : ainsi nous partirons plus tôt en retraite et nous allons relever les salaires et augmenter la dette. »

 

Die Zeit, de son côté, parle d'un « glissement à gauche. » Le patron des patrons, Ulrich Grillo, parle d'une « chance perdue » pour la coalition et d'un « mauvais départ. » Ce message semble évidemment exagéré, mais il vise à rassurer les militants SPD pour qu'ils donnent leur blanc-seing à ce programme.

Un salaire minimum réduit… a minima

Le salaire minimum ne pourra pas à lui seul relever la demande intérieure. Les études ont montré que son effet sur la demande intérieure, comme sur la perte de compétitivité des entreprises, sera faible. Elle le sera d'autant plus que 43 % de ceux qui sont payés sous les 8,50 euros, les stagiaires et apprentis, en seront exclus et que les autres, dans la plupart des branches pourront encore être payés sous ce niveau jusqu'en 2017.

Une réforme des retraites sans impact sur la compétitivité

Concernant les retraites, le trait est également forci. La SPD n'a pas réclamé d'abandonner le (lent) processus vers l'âge de départ à la retraite à 67 ans (prévu en 2030), mais a obtenu un départ à 63 ans pour ceux qui ont cotisé 45 ans, soit 10 ans de plus que la normale. Le coût de cette mesure sera porté par les salariés et les employeurs dans une proportion assez soutenable puisqu'il s'agira de maintenir le niveau de la cotisation (18,9 % du salaire brut) à son niveau actuel et non de le baisser comme prévu à 18,3 %. Il n'y aura donc pas d'effet sur la compétitivité.

Des dépenses supplémentaires à un niveau faible

Enfin, les dépenses supplémentaires prévues pour le programme de « grande coalition » s'élèveront en tout à 23 milliards d'euros d'ici, soit en moyenne 5,8 milliards d'euros par an. Ce n'est pas négligeable, d'autant que 5 milliards sur quatre ans iront dans les infrastructures. Mais on est loin d'un vrai « plan de relance. » En 2008 et 2009, par exemple, l'Allemagne avait dépensé plus de 80 milliards d'euros en deux ans pour contrer la récession. L'effet sur la demande intérieure sera donc faible.

Un effet modeste sur la dette

Au cours de la précédente législature, les dépenses publiques globales ont augmenté de plus de 50 milliards d'euros. Autrement dit, l'effet est très gérable pour le budget allemand. Ces dépenses supplémentaires représentent plus d'un point de PIB sur 4 ans. En théorie, la croissance allemande devrait l'absorber aisément, d'autant que les rentrées fiscales sont traditionnellement plus fortes que cette croissance. Le gonflement de la dette n'est donc pas certain. Du reste, la Constitution oblige à maintenir le déficit structurel de l'Etat fédéral à 0,35 % du PIB en 2017. Wolfgang Schäuble, qui reste aux Finances, saura sans doute réduire les dépenses où il le faut pour parvenir à cet objectif qui est quasiment déjà atteint.

En résumé, les mesures « germano-allemandes » qu'a obtenues la SPD ne vont sans doute que très peu favoriser la demande intérieure. On ne voit là rien à la hauteur d'un excédent courant frisant les 7 % du PIB. En revanche, très concrètement, les Sociaux-démocrates se sont rangés sur la politique européenne derrière Angela Merkel. La logique allemande qui préside aux destinées de l'Europe aujourd'hui, a encore de beaux jours devant elle.