François et la diplomatie vaticane

Le pape est l'homme de l'année. Mais à quelle conditions peut-il agir, peser sur le cours du monde? Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

François est l'homme de l'année. Sa popularité mesurée par les sondages ne se dément pas (85% des Français selon le Parisien). Il fait la une des hebdomadaires. Ce phénomène devrait durer, du fait de sa personnalité, de ses initiatives et de l'absence de concurrents sérieux, l'image de la plupart des chefs d'état en exercice étant médiocre, à l'exception de la chancelière allemande.

Ceux-ci se précipitent à Rome. Plus de soixante se sont fait inviter par François, qui n'invite pas en premier. Obama et la reine Elizabeth sont attendus. Poutine, qui ne reprend pas la formule de Staline (« le pape, combien de divisions ?) a été reçu et a tenté de former un front de défense des chrétiens en Syrie, orthodoxes et catholiques, favorable à Assad.

Un rite immuable

Le rite est toujours le même, une audience de 35 minutes et des entretiens avec le Secrétaire d'Etat, qu'il s'agisse du président de la République française ou du président des Etats-Unis. Et il faut compter le temps pour la traduction : François Hollande -qui ne parle pas latin- a parlé dans sa langue et François -qui comprend le français - s'est exprimé en italien. Même si tous ces échanges ont été préparés, les résultats ne peuvent être que limités compte tenu de leur brièveté.

Au-delà de ces rencontres à caractère médiatique, François pourra-t-il s'imposer comme un acteur majeur de la vie internationale ? Il dispose d'un outil expérimenté, la diplomatie vaticane, avec ses nonces et la secrétairerie d'état conduite par un diplomate professionnel, le cardinal Pedro Parolin. Ces diplomates, formés depuis le XVIII è siècle par l'Académie Pontificale sont de qualité, en plus du latin, ils maîtrisent plusieurs langues. Mais ils sont peu nombreux: 300 dont une cinquantaine à Rome. Le même Irlandais traite à la fois de la France et …de l'Inde.

 Une diplomatie d'abord tournée vers les problèmes internes

Même s'il dispose d'un journal, d'une radio et d'une télé, il serait excessif de parler d'une «  internationale noire » ou d'une «  CIA papale » faute de moyens et d'une organisation adaptée. Cela dit, il existe des réseaux complémentaires, ceux des grands ordres religieux masculins ou féminins, qui font circuler des informations diversifiées, écrites ou orales, sur des réalités de terrain méconnues ou inconnues des médias.

Cette diplomatie est d'abord tournée vers les problèmes internes à l'Eglise Catholique. Les nonces s'occupent principalement de la surveillance des églises locales, des nominations d'évêques et des accords éventuels avec le Vatican (de nouveaux concordats sont en préparation…). La Secrétairerie d'État a pour priorité la sécurité des catholiques dans le monde, la défense de la liberté de culte, incluant l'enseignement et les œuvres sociales, s'étendant depuis Vatican II à toutes les religions. Il en résulte une prudence, voire de la pusillanimité, par exemple dans les pays musulmans et africains. Le silence relatif de Pie XII, qui fut nonce à Berlin, durant la seconde guerre mondiale peut s'expliquer par le souci de protéger les églises nationales, en Allemagne et dans les pays occupés.

A l'égard de la Chine, il s'agit non seulement de la protection des quelques millions de catholiques divisés entre deux églises mais des relations avec le pays le plus peuplé au monde devenu une grande puissance. Le Vietnam est un exemple de la souplesse du Vatican : coexistence de conflits parfois aigus, de relations régulières -un nonce non résident et visites à Rome de dirigeants communistes- et d'une intervention du pouvoir communiste dans la nomination des évêques. Rome entretient des relations avec 180 états mais l'absence de la Chine l'empêche d'être véritablement universel. Remédier à cette carence est une des grandes affaires du Vatican.

Un message pour le monde: paix et dénonciation du capitalisme

La diplomatie romaine est aussi ouverte sur l'extérieur. Elle a un message pour le monde. C'est un message de paix qui doit être compatible avec sa neutralité. Elle n'oublie pas qu'elle a été soupçonnée de partialité lors de la tentative de Benoit XV pour un cesser le feu lors de la première guerre mondiale. Elle est opposée à toutes les interventions armées (Irak, Lybie, Syrie…) ce qui peut la conduire à s'opposer à l'occident. Elle prône le désarmement, notamment nucléaire. Au nom de sa conception de l'homme, une créature de Dieu, et de la transcendance, elle défend les droits de l'homme ( sans oublier ses devoirs…) et a des positions fermes et précises s'agissant de la biologie (académie pontificale des sciences) et de la famille, qu'elle fait valoir en particulier dans les organisations internationales.

Ces positions suscitent l'hostilité d'ONG attachées exclusivement aux droits de l'individu, qui vont jusqu'à contester sa présence. L'environnement est entré explicitement dans le champ de ses préoccupations et une encyclique est en préparation sur ce sujet.

Elle milite pour une meilleure répartition des richesses, dénonce l'oubli des pauvres, la « mondialisation de l'indifférence » et un système économique fondé exclusivement sur l'argent. A ce titre, elle peut être considérée comme anti- capitaliste, même si son propos reste très général. 

 Le pouvoir du verbe                                                           

 Et les moyens ? Les sceptiques diront que Rome ne dispose que du pouvoir du verbe et que ses encycliques restent le plus souvent des lettres pieuses, même pour les catholiques. Les optimistes soutiendront que la Parole peut déclencher des mouvements de toute nature, dans les esprits, dans la rue et dans les urnes, lorsqu'on sait être patient. C'est le cas d'une Eglise qui a plus de vingt siècles derrière elle et qui se fixe comme limite la fin des temps. N'être plus une puissance temporelle et le caractère durablement minoritaire des catholiques dans de nombreux pays développés est de nature à rassurer les dirigeants des grandes puissances et se retourne en élément de force.

Elle peut s'enorgueillir d'avoir contribué à la chute du communisme en Europe Centrale avec Jean Paul II. Dans un certain nombre de pays, la combinaison de l'action des catholiques, appuyée par une diplomatie vaticane active peut changer le cours des choses. Le levier est fortement renforcé si les croyants des différentes religions interviennent dans le même sens. Cela explique l'importance attachée par Rome au dialogue inter religieux et au centre inter religieux, financé par l'Arabie Saoudite…, qui vient d'être inauguré à Vienne en présence du Cardinal Taurin, un Français chargé du dialogue inter religieux.

Des marges d'action plus fortes dans les pays du sud

C'est probablement dans les Pays du Sud, où se trouve une réserve de catholiques, que les marges d'action sont les plus fortes. En l'absence d'États forts et de sociétés civiles structurées, Rome peut contribuer à la paix civile et promouvoir des structures de substitution, avec l'aide des catholiques et du clergé local, même s'il se méfie de l'intervention directe des prêtres et évêques dans les vies politiques nationales.

 Ce qui peut être fait à l'échelle d'un pays ou d'une zone géographique est- il transposable à l'échelle mondiale ? Rome est favorable à la globalisation à condition qu'elle respecte la particularité de chaque peuple et qu'elle ne soit pas aveugle. Ce monde multipolaire, balloté de crises en crises, en manque de règles et de leaders est à la recherche de boussole et de sens. François peut- il être cette boussole et tracer une voie ? Comme jésuite, il est un citoyen du monde éclairé sur les réalités de ce temps et un pédagogue. Comme pape, il a l'autorité morale pour proposer et se faire écouter.

Être capable, d'abord, de transformer sa grande maison

Cela dit, il ne suffit pas d'énoncer des généralités sur l'égoïsme des hommes et le caractère aveugle des mécanismes économiques pour faire progresser le monde. Il faut un supplément d'expertise, du réalisme et des suggestions concrètes. L'expertise, il peut la trouver facilement et des organismes proches comme San Egidio peuvent lancer des premières propositions. Le réalisme, associé à la volonté et à l'optimisme, François n'en manque pas. Et les suggestions concrètes sont pour une part affaire d'opportunité.

Peut être que pour convaincre que le monde peut s'améliorer par une inflexion acceptée des règles et des comportements et une solidarité plus grande, il lui faudra d'abord être reconnu comme un homme d'action qui a su transformer sa propre maison. S'il parvient à mettre en œuvre une décentralisation effective dans l'église, à organiser une diversité respectueuse de l'essentiel et des situations particulières et des mécanismes de résolution transparente des conflits, alors il pourrait apparaître comme un homme d'action réaliste et inspiré, dont il les messages seraient entendus.

A 76 ans, il ne dispose que de quelques années car il lui faudra démissionner comme son prédécesseur, pour que les catholiques admettent que le Vatican, comme institution humaine, est soumise aux mêmes règles que les autres.

Quelques années pour une telle mission, c'est peu. Il faut ce supplément d'optimisme et de volonté qui ne manque pas à François, pour y croire.

 

Pierre-Yves Cossé

Mars 2014

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Commentaires 3
à écrit le 15/03/2014 à 22:05
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C'est sûr, à la lecture de cet article, je mets mes enfants au latin

à écrit le 14/03/2014 à 23:57
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Cher monsieur Cossé Comment pouvez-vous écrire autant de bêtises et d’approximations! -d'abord, un effort sur les noms montrerait que vous maitrisez un peu plus le sujet: Pietro Parolin (et non Pedro) et Jean-Louis Tauran (et non Taurin! Et pourt...

le 15/03/2014 à 21:42
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@ Lennob : je crois que vous n'avez pas compris ce que vous appelez le pompon. Formulé autrement : "Pour que les Catholiques considèrent le Vatican comme une institution humaine (etc...), il faudrait que François démissionne..." C'est plus clair...

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