Ce qu'implique l'explosion des droits TV du foot anglais

Les droits télé du football britannique ont connu une inflation impressionnante. Avec quelles conséquences? Par Nicolas Scelles, maître de conferences en économie du sport à l'Université de Stirling en Ecosse. Publié en partenariat avec les JECO.
Un match Arsenal-Manchester United

Le 10 février, il a été annoncé que les droits TV nationaux de la Premier League anglaise de football allaient atteindre un record de 5,136 milliards de livres sterling (près de 7 milliards d'euros) pour les trois saisons de 2016-2017 à 2018-2019[1]. Cela signifie que ses droits TV globaux pourraient monter à environ 8,4 milliards de livres sterling (près de 11,4 milliards d'euros) pour ces trois saisons une fois la vente des droits internationaux complétée[2]. Ces 3,8 milliards d'euros annuels potentiels sont à comparer aux 2,35 pour la saison 2015-2016 ou encore avec les 748,5 millions d'euros annuels pour les droits TV du football professionnel français sur la période 2016-2020, droits qui ne reviennent pas intégralement aux clubs de Ligue 1[3]. Nous comprenons dès lors l'avantage des clubs anglais par rapport aux clubs français. Quelles sont les variables explicatives et les conséquences de l'explosion des droits TV de la Premier League anglaise ?

 Une incitation à dépenser pour les championnats domestiques

Nous partons du constat qu'il existe deux points clés aussi bien pour une chaîne TV nationale (côté demande) que pour une ligue (côté offre). Pour une chaîne TV nationale, il s'agit de proposer suffisamment d'argent non seulement pour obtenir les droits (battre la concurrence nationale) mais aussi pour permettre aux clubs nationaux de pouvoir attirer / retenir / payer les meilleurs joueurs mondiaux. Par conséquent, même sans concurrence nationale, une chaîne TV a une incitation à dépenser plus que les chaînes étrangères pour leurs championnats domestiques (concurrence indirecte entre chaînes étrangères). Pour une ligue, les deux points clés sont d'avoir un bon produit et de pouvoir le vendre à l'international. Reste à identifier quelles sont les variables explicatives d'un bon produit pouvant être vendu à l'international. Nous en avons relevé six :

  • Au moins un club fort économiquement et sportivement (locomotive).
  • Au moins un rival crédible sur le territoire national (incertitude pour le titre).
  • Compétitivité continentale (garante de la qualité du produit et facteur d'attractivité per se sans oublier que les chaines TV nationales cherchent aussi à acheter les droits TV des Coupes d'Europe).
  • Capacité, taux de remplissage et qualité des stades (potentiel télégénique).
  • Travailleurs internationaux (meilleurs joueurs dans le monde et marchés à l'international).
  • Capacité à attirer des investisseurs et générer des revenus au-delà des droits TV (chaînes TV pas seules à assurer la compétitivité économique et donc sportive).

 La Premier League est dans cette configuration

 Dans quelle mesure la Premier League anglaise respecte-t-elle ces six conditions ?

  • Depuis sa création en 1992, sa locomotive (souvent sportivement et toujours économiquement) a été Manchester United.
  • La lutte pour le titre est incertaine avec la concurrence d'Arsenal, Chelsea et Manchester City.
  • L'Angleterre est 2e au ranking UEFA des clubs après avoir été 1ère de 2008 à 2012.
  • Le potentiel télégénique de la Premier League anglaise est largement assuré par un taux de remplissage des stades supérieur à 90% (plus de 36 000 spectateurs par match en moyenne).
  • Elle compte entre 65 et 70% de joueurs étrangers et parvenait à 78% d'audiences cumulées hors Royaume-Uni en 2008-2009[4].
  • Elle génère des investissements et revenus au-delà des droits TV, particulièrement grâce à de riches investisseurs internationaux (propriétaires, sponsors).

A ces variables côté offre doit être ajoutée la concurrence entre Sky et BT côté demande nationale.

 Les conséquences

Quelles sont les conséquences ? Le tableau ci-dessous retrace l'évolution récente et à venir des droits TV / recettes distribuées aux clubs (en millions d'euros) en Premier League anglaise, Ligue des champions de l'UEFA (Union Européenne de Football Association) et Ligue 1 française. Il montre que la Premier League est non seulement loin devant la Ligue 1 mais également la Ligue des champions. Dès lors, la perspective d'une Premier League s'ouvrant aux meilleurs clubs européens non anglais (FC Barcelone, Real Madrid, Bayern Munich, Juventus Turin, Paris-Saint-Germain) - évoquée par le coordinateur de la session « L'économie du sport - mondialisation et football » Jean-Pascal Gayant lors d'échanges préalables aux JECO 2015 - pourrait recevoir un écho favorable auprès des principaux intéressés.

tablo foot

Il existe néanmoins une interrogation quant à la capacité de Sky - principal diffuseur national de la Premier League - à assumer le très lourd investissement consenti lors du dernier appel d'offres (4,176 milliards de livres sterling, soit plus de 5,6 milliards d'euros). Cet investissement doit peut-être être appréhendé du point de vue de la stratégie globale du groupe Sky plc et pas seulement Sky au Royaume-Uni. Dans cette optique, il est intéressant de constater l'internationalisation de Sky plc qui détient depuis 2014 Sky Italia et depuis 2015 Sky Deutschland, diffuseurs respectifs des championnats italien et allemand.

A la lumière de ces éléments, une option autre qu'une Premier League plus seulement anglaise peut être envisagée à terme : Sky plc à l'initiative d'une Super Ligue européenne en convainquant les meilleurs clubs continentaux de se partager entre eux l'argent qu'il distribue aux championnats anglais, italien et allemand mais aussi espagnol (Sky est le diffuseur de la Liga espagnole au Royaume-Uni). Dans les deux cas, cela lui donnerait un fort degré de contrôle sur le football européen alors qu'il n'est plus le diffuseur de la Ligue des champions au Royaume-Uni depuis cette saison, BT ayant remporté l'exclusivité des droits 2015-2018 fin 2013 auprès de l'UEFA[5]. Avec la possibilité de dicter les règles du jeu pour les années à venir et ainsi « prendre sa revanche » sur BT et l'UEFA ?

Nicolas Scelles est Maître de conferences en économie du sport à l'Université de Stirling en Ecosse.

 Organisées par la Fondation pour l'Université de Lyon, les Journées de l'Economie (Jéco) proposent, à travers une cinquantaine de conférences, des clés pour appréhender les mécanismes économiques et ainsi mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Les 13, 14 et 15 octobre à Lyon, plus de 200 personnalités seront ainsi réunies pour échanger et partager leurs analyses autour du thème : « qu'attendons-nous... pour agir ? ».

https://www.journeeseconomie.org/

Le blog des Jéco

[1] BBC (2015, 10 février). Premier League TV rights: Sky and BT pay £5.1bn for live games. https://www.bbc.co.uk/sport/0/football/31357409

[2] ESPN (2015, 11 février). Global deals set to take EPL TV rights over $13 billion, attract investors. https://www.espnfc.co.uk/barclays-premier-league/story/2294089/global-deals-set-to-take-epl-tv-rights-over-$13-billion-and-attract-more-investors

[3] https://www.leparisien.fr/ligue-1-2010-2011-football/droits-tv-du-foot-la-ligue-espere-decrocher-le-gros-lot-04-04-2014-3740193.php

[4] Gratton, C., Liu, D., Ramchandani, G., & Wilson, D. (2012). The global economics of sport. Abingdon, Royaume-Uni : Routledge.

[5] BBC (2013, 9 novembre). Champions League: BT Sport wins £897m football rights deal. https://www.bbc.co.uk/sport/0/football/24879138

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Commentaires 3
à écrit le 15/10/2015 à 8:58
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En tout cas, ça ne donne pas une bonne équipe d'Angleterre, un peu comme en rugby avec le Top 14 et la très moyenne équipe de France

à écrit le 15/10/2015 à 7:14
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le football est un sport tres simple qui se joue avec un ballon rond sur un terrain gazonne et 11 joueurs de chaque cote.les millions et les milliards d euros evoques dans cet article me paraissent incongrus.....

le 15/10/2015 à 7:43
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"le football est un sport très simple qui se joue avec un ballon rond sur un terrain gazonné et 11 joueurs de chaque côté." Et c'est l'Allemagne qui gagne à la fin.

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