Comment le GNL a permis au Qatar de devenir un acteur influent de la péninsule Arabique

OPINION. Malgré les nombreuses critiques dont il fait l'objet depuis des années, le Qatar est devenu incontournable sur la scène internationale. Une position acquise grâce au pari fait il y a quelques années sur le développement du gaz naturel liquéfié (GNL). Par Charaf Louhmadi, consultant, ingénieur financier et auteur de plusieurs ouvrages dont « Fragments d'histoire des crises financières » (éditions universitaires européennes).
(Crédits : Reuters)

Les réserves de pétrole trouvées, à l'échelle de la planète, s'élevaient à fin 2020, à plus de 1.732 milliards de barils. On note des inégalités de répartition du pétrole. Les 10 pays qui en contiennent le plus concentrent 86% des réserves mondiales. Il s'agit de la Russie, des Etats-Unis, de l'Arabie Saoudite, du Canada, de l'Irak, du Venezuela, du Qatar, des Emirats, du Koweït et de la Libye. La rivalité irano-saoudienne impacte fortement les marchés pétroliers internationaux. Par le Détroit d'Ormuz, séparant les deux « pétro-Etats », transite plus de 21% du trafic pétrolier mondial.

En ce qui concerne le gaz naturel, on trouve également de fortes concentrations : les 10 premiers pays producteurs emmagasinent plus de 81% des réserves mondiales connues à ce jour.

Les gisements de gaz naturel et de pétrole sont particulièrement concentrés au sein des pays du Moyen-Orient, dans le golfe Persique, en Arabie Saoudite, en Iran, au Qatar, aux Emirats et au Koweït. On y dénombre plus de 48% des réserves mondiales de pétrole ainsi que 40% des réserves de gaz naturel.

Par ailleurs, une disparité dans la production est constatée. En effet, les réserves sont mieux exploitées par certains pays ; les trois premiers producteurs mondiaux de pétrole (Etats-Unis, Arabie Saoudite et Russie) produisent plus de 40% de la production mondiale. En ce qui concerne le gaz naturel, le marché mondial est oligopolistique avec une prépondérance russe et américaine, les deux pays se partagent 40% du marché mondial.

Les Etats-Unis ont réussi en une décennie (2010-2020) à s'affranchir de la dépendance pétrolière vis-à-vis des pays du Golfe et ce, en doublant leur production. La première puissance mondiale a réussi également à doubler en dix ans sa production de gaz, lui permettant de couvrir sa consommation. Cela a été rendu possible grâce aux multiples découvertes des réserves en gaz de schiste dont les plus importantes se situent au Texas et au Nouveau-Mexique. Ces deux Etats contiennent également les plus importantes réserves de pétrole.

L'importation mondiale de pétrole est très importante en Asie-Pacifique, où la consommation avoisine 38% des parts mondiales dont 16% uniquement en Chine. En ce qui concerne le gaz naturel, plus de la moitié de la consommation mondiale est répartie entre l'Amérique du Nord (27%) et l'Asie pacifique (22,5%).

Pour le gaz liquéfié, le transport par bateau représente 40% des moyens d'acheminement à l'échelle mondiale. La liquéfaction du gaz revêt une certaine complexité. En effet, le gaz est d'abord refroidi à une température extrêmement basse avant d'être gazéifié à l'arrivée. Les ports à échéance doivent être équipés en vue de bien réceptionner et transformer ce gaz liquéfié. L'Europe accuse un retard technologique relatif à ces technologies, ce qui justifie la dépendance vis-à-vis du gaz russe essentiellement véhiculé en Europe via les réseaux de gazoducs.

Le Qatar accélère son développement économique grâce au GNL

L'Emirat dirigé par la dynastie Al Thani, Khalifa, grand père de l'émir actuel, a déclaré l'indépendance du pays post protectorat britannique. Hamad renverse son père Khalifa et prend le pouvoir en 1995. Il abdique en 2013 au profit de son fils Tamim, actuel Emir du Qatar.

Les Al Thani constituent une puissante dynastie, qui a pris le pouvoir à Doha au début du 19e siècle. A cette époque, l'Emirat était une province de l'Empire ottoman. A la fin de la première guerre mondiale, c'est le crépuscule ottoman et l'Emirat passe sous protectorat britannique. Avant la découverte des gisements pétroliers et gaziers, le Qatar était un pays attardé.  Les maisons y sont construites en terre battue.

Les Britanniques créèrent au milieu du 20e siècle, avec la famille royale, des entreprises d'extraction de pétrole. Les premiers gisements sont découverts à la moitié du 20e siècle. La première cargaison fut exportée en 1949. Les gisements pétroliers sont moins importants que ceux découverts dans les pays voisins.

 Hamad Al Thani permet à l'Emirat de devenir l'Etat le plus riche par habitant en misant sur l'exportation du gaz naturel liquéfié. Il s'endette lourdement auprès de banques occidentales et à hauteur de milliards d'euros, en vue de créer des méthaniers et de livrer par voie maritime du gaz liquéfié stocké à de très basses températures. Le Qatar devient très vite le premier exportateur mondial de gaz naturel et enregistre les taux de croissance les plus élevés au monde entre 2004 et 2012 avec un pic atteignant 26,2% en 2006. Des gratte-ciels commencent à pousser dans la capitale Doha. On retrouve également, dans la capitale de l'Emirat, des stations métropolitaines luxueuses, dont le budget de construction s'élève à 40 milliards d'euros. On y dénombre près de 3 millions d'habitants, essentiellement des travailleurs étrangers, les Qataris ne représentent qu'une minorité, environ 10% de la population.

Total Energies signe le contrat du siècle avec l'Emirat

Le géant pétro-gazier français a été choisi par le Qatar pour l'exploitation du plus grand gisement de gaz naturel à l'échelle de la planète. Le projet North Field représente à lui seul environ 10 % des réserves mondiales de gaz naturel connues à ce jour. Le ministre qatari de l'Energie a officialisé le 12 juin dernier le partenariat avec le groupe français. Ce contrat devrait durer jusqu'en 2054.

Total Energie, désigné premier partenaire étranger du Qatar sur ce projet (North Field East), devrait participer à hauteur de 6,25% et permettre une hausse de 60% à l'horizon 2027 de la production du gaz naturel liquéfié qatari. Ce partenariat revêt une utilité pour la France et l'Europe dans le sens où il permettra au Vieux Continent de s'affranchir du gaz russe. Par ailleurs, Patrick Pouyanné, PDG de Total Energie, a annoncé que ce projet permettra de compenser le retrait du groupe de la Russie.

Total Energie n'est pas le seul partenaire étranger du leader qatari des hydrocarbures QatarEnergy, d'autres entreprises comme Shell, ConocoPhilips et Exxon Mobil feront partie du projet. Cependant, d'après le ministère de l'Energie qatari, aucune d'entre elles ne détiendra une participation supérieure à celle du groupe français. La participation globale des entreprises étrangères avoisine les 25%. En outre, QatarEnergy annonce que la production commencerait en 2026. Le coût global du projet est valorisé à hauteur de 28 milliards de dollars.

Le très récent engouement européen pour le GNL qatari résulte principalement de la guerre en Ukraine. L'Union européenne s'étant auparavant opposée à la durée jugée trop longue des contrats gaziers proposés par Doha. Rappelons de surcroit que les clients historiques de l'Emirat, pionnier dans la production du GNL aux côtés des Etats-Unis et de l'Australie, sont principalement la Chine, le Japon et la Corée du Sud.

Le Qatar au cœur de la crise du golfe: l'accalmie après la tempête

La péninsule Arabique a connu de vives tensions géopolitiques au cours des dernières années. Le Qatar a signé un accord de paix avec l'Arabie saoudite et les autres pays du golfe Persique, après une rupture ayant duré plus de trois années. La réconciliation entre Doha et Ryad est médiatisée, à travers l'accueil de l'émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Par conséquent, la réouverture des frontières entre les deux pays est actée après les tentatives d'isolement du Qatar. Le pays sort renforcé de cette crise régionale et le Cheikh Tamim est soutenu massivement par la population locale.

La crise du golfe est essentiellement due aux fortes divergences politiques et idéologiques entre les régimes saoudiens et qataris : au cœur de ces différends, l'Iran, dont les intérêts financiers convergent avec le Qatar, les deux pays partagent des frontières maritimes extrêmement riches en gaz naturel. Autre point de discorde, la ligne éditoriale de la très influente chaîne Al Jazeera, notamment sur les dossiers égyptiens et russo-syriens, les locaux de la chaîne ont été fermés et l'accréditation supprimée en Arabie saoudite.

Evacuation de la population afghane : le bon coup de Doha et les honneurs à Washington

L'année 2021 est marquée par le retrait des troupes américaines d'Afghanistan et la prise de contrôle des talibans sur le palais présidentiel à Kaboul. Par conséquent, une vague de réfugiés quitte le pays et Doha participe activement à l'accueil de ces derniers, essentiellement par voie aérienne. Des logements neufs, initialement construits pour la Coupe du monde, sont mis à disposition des quelques 60.000 Afghans.

Washington a salué cette aide, qui a contribué à l'amélioration de l'image internationale de l'Emirat. Le prince Tamim est reçu par Joe Biden à la Maison Blanche et le Qatar se voit décerner le titre d'allié majeur des Etats-Unis en dehors de l'Otan, ce qui lui donne accès aux armes américaines les plus pointues. Si les relations diplomatiques entre Doha et Washington étaient extrêmement tendues sous l'administration de Donald Trump, elles semblent complètement apaisées avec l'actuel locataire démocrate de la Maison Blanche.

Coupe du monde au Qatar : les feux des projecteurs et la polémique

La polémique a entouré cet évènement sportif depuis son attribution au Qatar. L'Emirat qui a reçu plus d'1,5 million de demandes de visas pour le Mondial, s'est attiré les foudres des ONG internationales pointant du doigt les conditions précaires des travailleurs étrangers sur les chantiers. Depuis 2010, le gouvernement qatari et les ONG se livrent à une guerre des chiffres à ce sujet. Le Qatar réagit aux accusations en supprimant en 2020 le régime de la « Kafala » : la tutelle obligatoire pour les travailleurs étrangers. De surcroit, Doha introduit la mise en place d'un salaire minimum de 250 euros, ouvre un bureau de l'Organisation internationale du travail, et va même jusqu'à afficher symboliquement les portraits des travailleurs devant les stades bâtis pour la coupe du monde. En France, de nombreuses villes n'ont pas diffusé les matchs du Mondial sur grand écran, à l'image de Paris, Strasbourg ou encore Rennes en avançant leurs désaccords pour les conditions de l'organisation du tournoi. La visite du président de la République, en vue d'assister à la demi-finale opposant la France au Maroc (1ère nation africaine se qualifiant à une demi-finale d'un Mondial de football) a également l'objet de critiques par une partie de la classe politique française.

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