Coupée du gaz russe, l’Allemagne renforce ses approvisionnements de GNL en provenance du Qatar

Le Qatar a annoncé, ce mardi, la signature de deux accords avec la compagnie américaine ConocoPhilips sur l'exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l'Allemagne pour une durée d'au moins quinze ans. Un partenariat qui illustre le rapprochement entre les deux pays, Berlin cherchant à combler le manque de l'approvisionnement russe et Doha à étendre son influence au-delà du continent asiatique. Malgré l'intérêt mutuel, des freins persistent néanmoins.
Le Ministre de l'Energie qatari Saad Sherida Al-Kaabi et le ministre de l'Economie et du Climat Robert Habeck en mai 2022 en Allemagne.
Le Ministre de l'Energie qatari Saad Sherida Al-Kaabi et le ministre de l'Economie et du Climat Robert Habeck en mai 2022 en Allemagne. (Crédits : Reuters)

L'Allemagne qui craignait de manquer de gaz cet hiver se voit rassurée. Elle, qui ne peut plus compter sur ses importations russes en raison de l'arrêt des livraisons vers l'Europe décidé par Moscou il y a plusieurs mois, dispose désormais d'un nouveau fournisseur qui entend bien répondre à ses attentes : le Qatar. Ce dernier a annoncé, ce mardi, avoir signé avec la compagnie américaine ConocoPhilips, deux accords sur l'exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l'Allemagne pour une durée d'au moins quinze ans.

Concrètement, le GNL sera vendu par la société publique Qatar Energy à ConocoPhillips, les deux étant partenaires, qui le livrera ensuite au terminal méthanier allemand de Brunsbüttel. En effet, si l'Etat allemand passe des contrats avec l'électricien RWE et le géant Uniper pour l'exploitation du terminal, ce sont eux, ensuite, qui concluent des partenariats avec des fournisseurs. « Ces entreprises (RWE et Uniper, ndlr) achètent sur le marché mondial, pas nous », a ainsi expliqué le ministre allemand de l'Economie et du Climat, Robert Habeck, cité par le média allemand Handelsblatt. Il s'était d'ailleurs rendu à Doha le 20 mars 2022. Mais « les pourparlers politiques au Qatar n'étaient que des pourparlers généraux. Après cela, les entreprises qui sont restées en négociations, concluent elles-mêmes leurs contrats », a-t-il indiqué ce mardi peu après l'annonce du Qatar.

Les responsables qataris n'ont pas abordé la question des prix, mais la durée et les délais relativement courts du contrat avec l'Allemagne devraient être associés à une surprime, estiment des spécialistes du marché.

Dans le détail, ce sont « jusqu'à 2 millions de tonnes de GNL par an » qui seront fournies à partir de 2026 au terminal gazier en cours de construction à Brunsbuntell, dans le nord de l'Allemagne, a précisé le ministre qatari de l'Energie, Saad Sherida Al-Kaabi, lors d'une conférence de presse.

Ce volume reste toutefois bien faible par rapport aux besoins de l'Allemagne, pointe le média allemand. Deux millions de tonnes de GNL correspondent, en effet, à environ 2,7 milliards de mètres cubes de GNL par an. Or, juste avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Russie livrait annuellement 55 milliards de mètres cubes via le gazoduc Nord Stream 1. En outre, le pays a consommé près de 90,5 milliards de mètres cubes en 2021.

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Premier partenariat à long terme

Cet accord n'en demeure pas moins le premier contrat de ce type prévoyant la livraison en Europe de gaz extrait du développement du champ qatari North Field. ConocoPhilips est, en effet, partenaire de Qatar Energy dans le développement de North Field. Ce champ gazier fait partie du plus important gisement de gaz naturel du monde, que le Qatar partage avec l'Iran, où il est appelé South Pars. Une précieuse manne pour le Qatar qui entend l'exploiter davantage. Le pays a, en effet, prévu de l'étendre jusqu'à augmenter ses capacités de 64% en passant de 77 millions de tonnes liquéfiées par an à 126 millions d'ici à 2027. Ce qui pourrait lui rapporter gros : Avec l'envolée des prix internationaux, les recettes provenant de ses exportations ont déjà quasiment doublé l'année dernière, selon les médias officiels.

De quoi également satisfaire l'Europe qui cherche à combler les quelque 150 milliards de mètres cubes que lui fournissait jusqu'ici la Russie chaque année. L'accord conclu entre Qatar Energy et la compagnie américaine contribuera « aux efforts visant à soutenir la sécurité énergétique en Allemagne et en Europe », s'est d'ailleurs félicité le ministre de l'Energie Qatari. « Il y a des discussions très intenses avec les acheteurs européens, et avec les acheteurs asiatiques », a-t-il ajouté, soulignant la «rareté du gaz à venir dans les prochaines années ».

Le Vieux continent se retrouve, en effet, en concurrence avec celui asiatique, dont la Chine, le Japon et la Corée du Sud, qui représentent le principal marché pour le gaz du Qatar. D'autant qu'un point bloque du côté des Européens : certains pays se montrent réticents à l'idée de signer des accords à long terme identiques à ceux qui lient le Qatar à ses clients asiatiques. Bien que l'accord annoncé ce jour porte sur au moins quinze ans, cela reste bien inférieur à celui conclu entre le Qatar et la Chine la semaine dernière qui portait sur 27 ans, une durée record dans l'industrie. Un accord qui montre que « les acheteurs asiatiques ressentent la pression pour conclure des accords à long terme », a estimé Saad Sherida Al-Kaabi.

Si le Qatar privilégie les contrats longs, c'est que la capacité du pays à stimuler ses exportations de GNL à court terme est limitée. Ses trains de liquéfaction (qui condensent le gaz afin de l'envoyer par bateau) fonctionnent à 99% en moyenne, selon les estimations du cabinet Wood Mackenzie, et les contrats à long terme captent déjà cette production. Il reste donc, au final, peu de volume pour la vente sur le marché au comptant.

Engagements écologiques et craintes des entreprises allemandes

Mais les engagements écologiques pris par l'Europe au profit d'énergies renouvelables coincent avec des partenariats sur le long terme avec le Qatar ou d'autres exportateurs. À commencer par ceux pris par l'Allemagne qui vise la neutralité carbone d'ici à 2045 selon la loi modifiée par Robert Habeck sur la protection du climat adoptée en 2021. En outre, dès 2030, le niveau des émissions de gaz à effet de serre en Allemagne devra avoir reculé de 65 % par rapport à 1990. Si le ministre a souligné que les entreprises agissaient de manière indépendante sur le marché mondial, il a rappelé qu'il est « clair que la consommation de gaz devra baisser dans un avenir prévisible », cite encore le handelsblatt. Il a pourtant ajouté : « 15 ans, c'est bien. Mais je n'aurais rien non plus contre des durées plus longues ».

Cette ambivalence de l'exécutif allemand se retrouve aussi du côté des entreprises du pays qui se montrent prudentes à l'idée de conclure des contrats à long terme. Elles prennent, en effet, le risque de s'engager sur de trop grandes quantités par rapport à une demande allemande en baisse, quitte à se retrouver avec du gaz qatari sur les bras qu'elles devront ensuite revendre. En revanche, elle se protégerait, grâce à un accord, de la volatilité très importante des prix du gaz depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a mené à des sommets, jusqu'à 300 euros le mégawattheure en août dernier pour le contrat à terme du TTF néerlandais, référence du marché européen du gaz naturel. Un argument qui pourrait bien peser dans la balance tant les factures d'énergie pèsent sur les ménages l'industrie allemande. D'autant que Saad Sherida Al-Kaabi a affirmé, ce mardi, que Qatar Energy était en négociations avec des entreprises allemandes pour augmenter les « volumes » fournis par son pays.

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(Avec agences)

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