Le nucléaire français, grande inconnue dans la décarbonation du secteur énergétique européen

OPINION. Dans le cadre de sa stratégie nationale bas carbone (SNBC), la France compte en partie sur son électricité bas-carbone fournie par ses réacteurs nucléaires. Mais, le peut-elle vraiment ? Par Pierre-Emmanuel Guilhemsans-Vendé, Consultant R&D chez TNP Consultants. Avec la contribution de Grégory Lamotte, Président & Fondateur de Comwatt
(Crédits : DR)

En France, l'énergie nucléaire a connu son âge d'or dans les années 70-80. Depuis plusieurs années, un déclin de la filière est observé, en raison d'un non-renouvellement du parc nucléaire : aucune anticipation n'a été faite pour prendre le relais des centrales de 2e génération des années 70-80 une fois qu'elles atteindraient leur fin d'exploitation au bout de 40 ans.

Résultat : leur durée de vie a été prolongée, à 60 ans, avec l'autorisation de l'ASN, et ce, principalement pour faire en sorte de maintenir un niveau de production électrique suffisant : il y a un problème d'arbitrage entre le black-out et le risque nucléaire.

Une relance poussive

L'EPR de Flamanville, symbole de relance d'une filière en berne, apportant à l'origine la promesse d'un réacteur plus performant, plus sécurisé et plus puissant (1.650 MW au lieu de 900 MW), est en construction depuis 2007 et accumule depuis les retards et les surcoûts. Initialement, la centrale devait coûter 3 milliards d'euros et sa mise en service était prévue pour 2012. Maintenant, elle a déjà coûté 20 milliards d'euros et elle ne fonctionnera au plus tôt qu'au 2e trimestre 2023 [1], soit plus de 10 ans de retard ! Il y a eu une erreur de gigantisme : il a été pensé que plus la taille de la centrale augmenterait, plus le coût du kWh produit baisserait.

Or, des phénomènes de seuil ont fait exploser les coûts : il n'existait pas de grue assez grande pour mettre le couvercle de la centrale ou bien les limites physiques du béton étaient atteintes. Enfin, le dôme de la centrale a été conçu dans une usine sous-dimensionnée, ce qui a résulté en un problème d'homogénéité dans sa composition. Ainsi, Flamanville va être mis en service avec un dôme non-conforme, avec l'autorisation de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).

Une indépendance énergétique toute relative

L'énergie nucléaire est peu onéreuse à produire malgré une indépendance énergétique relative [2]. En effet, historiquement la France produisait tout ou partie de son combustible nucléaire. Depuis, la France l'importe principalement du Kazakhstan, de l'Australie, du Niger et de l'Ouzbékistan [3].

Or, le ministère de la transition énergétique estimait que l'indépendance énergétique de la France était de 55% en 2021 et de 47,4% et 45,3% respectivement au premier et au deuxième trimestres 2022. Mais ces chiffres sont fondés sur une convention statistique datant de l'époque où la France produisait encore son combustible nucléaire.

Ainsi, l'énergie primaire comptabilisée serait la chaleur émise par le réacteur et non le combustible utilisé pour provoquer la fission nucléaire et dégager cette chaleur. Si l'origine du combustible était prise en compte, le taux d'indépendance énergétique de la France ne serait que de 10 à 12% [4] ! Cette dépendance peut être néanmoins nuancée par le fait que la France dispose en avance d'un stock d'uranium naturel permettant de produire 2 ans d'électricité [5].

Les 3 principaux atouts du nucléaire

Le nucléaire est une énergie :

  • Compacte : son empreinte au sol, comparée à toutes les autres formes d'énergies, y compris les énergies fossiles est très faible : 0,1 m2/MWh contre 0,2 à 500 m2/MWh [6].
  • Bas-carbone : elle a un facteur d'émission inférieur à toutes les autres formes d'énergie, y compris les énergies renouvelables, et en particulier par rapport au solaire.
  • Avec un facteur de charge élevé comparé aux énergies fossiles et renouvelables (près de 70% contre 40% au maximum, à l'exception notable de l'éolien offshore (50%) et des bioénergies (68%))

Cependant, ce facteur de charge élevé a été mis à mal en 2022 par les problèmes de corrosion rencontrée sur 12 des 56 réacteurs nucléaires français. Ce problème a été prédit en 1979 par Marcel Boiteux, le PDG d'EDF de l'époque, qui avait dit qu'au vu des pressions et températures subies, les pièces ne pourraient subir que 12.000 cycles thermiques correspondant à 40 ans d'usage.

La sous-traitance, un problème majeur

Un problème majeur du secteur nucléaire est la sous-traitance. Aujourd'hui 80% du personnel est constitué de sous-traitants, soit environ 160.000 personnes réparties entre 2.500 entreprises, alors qu'il y a 34 ans, la sous-traitance ne constituait au maximum que 30% des emplois. De plus, malgré un décret datant du 28 juin 2016 interdisant l'externalisation de certaines activités et limitant la sous-traitance à 3 niveaux [7], il existerait encore parfois jusqu'à 8 niveaux de sous-traitance [8] ! Or, d'après un rapport de 2018 mené par Barbara Pompili :

« La perte de compétences des exploitants est une grande source de danger et ne pourrait qu'aggraver les conséquences en cas d'accident nucléaire [...] la sous-traitance a été identifiée comme l'un des éléments responsables de l'accident de Fukushima ».

L'énergie nucléaire encore nécessaire pour la décarbonation

L'énergie nucléaire a toute sa place, ou au pire, c'est un mal nécessaire, dans le mix énergétique et dans la stratégie de décarbonation française. En effet, si l'on se penche sur les scénarios de RTE, de l'ADEME et de Négawatt de projections du mix énergétique français en 2050, tous les scénarios imaginés par les trois organismes s'accordent sur un point : la fission nucléaire ne sera pas abandonnée avant au moins 2045.

Ainsi, même Négawatt, fervent adepte de la sortie du nucléaire, admet que, pour atteindre les objectifs de décarbonation de l'économie française d'ici 2050, le maintien du nucléaire est nécessaire pendant encore 23 ans. De plus, l'ADEME comme Négawatt arrivent à la même conclusion : la sortie du nucléaire ne se ferait qu'à condition de suivre un scénario extrêmement sobre.

RTE a également imaginé la sortie du nucléaire d'ici 2050, mais il faudrait installer toutes les formes d'énergies renouvelables à un rythme beaucoup plus soutenu que les meilleures performances européennes. A contrario, si du nouveau nucléaire est développé, RTE montre qu'il ne sera pas possible d'atteindre les rythmes d'implémentation des centrales nucléaires des années 70-80.

Développement de nouveau nucléaire ou Maintien de l'existant ?

Des incertitudes subsistent sur la capacité de la France à pouvoir implémenter du nucléaire au rythme imaginé par les scénarios de RTE. En effet, avec Flamanville, la filière du nucléaire revient du gigantisme et va privilégier des centrales plus petites de 900 MW à 1 GW maximum. Or, cela nécessite au moins 15 ans d'études pour construire un nouveau modèle.

Actuellement, seulement 10% des plans ont été faits ce qui signifie qu'un nouveau nucléaire ne sera pas disponible avant 20 ans. De plus, chaque génération de centrale nucléaire a démontré jusque là qu'elle était plus chère que la précédente : pour l'instant, le nouveau nucléaire est estimé à 150 euros/MWh sachant que le coût du démantèlement est sous-estimé dans le TCO. En effet, la France fait des estimations de coûts de démantèlement 3 à 5 fois plus basses que d'autres pays qui ont déjà démantelé.

En parallèle, les énergies renouvelables ne cessent de battre des records de prix, avec un récent record européen de solaire au Portugal à 15 euros/MWh ! D'ici 20 ans, le prix ne pourrait être plus que de 5 euros/MWh, soit 30 fois moins que le nouveau nucléaire ! La question se pose donc : faut-il seulement maintenir le nucléaire existant le temps de la transition et investir massivement dans les énergies renouvelables ou bien développer à la fois du nouveau nucléaire et des énergies renouvelables ? RTE soutient que les scénarios de mix sans nucléaire seront plus onéreux, mais cela ne semble pas si évident au regard d'une étude de l'Université de Stanford qui démontre que le solaire couplé au stockage par batterie vaudrait 30 à 40 euros/MWh dès aujourd'hui...

Dans tous les cas, que l'on choisisse de sortir du nucléaire en 2050 ou non, il y aura une nécessité d'accélérer le déploiement de toutes les formes d'énergie renouvelable au moins par un facteur 2 et les investissements nécessaires seront colossaux (59 à 77 milliards d'euros/an, contre 45 milliards d'euros/an actuellement). Si la France finit par choisir de prolonger le nucléaire, il va falloir que sa filière nucléaire regagne vite en crédibilité, surtout depuis que Westinghouse a gagné en Pologne face à EDF.

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Sources :

[1] S. Joussellin, « EPR de Flamanville : où en est le chantier pharaonique de la centrale nucléaire ? », www.rtl.fr.
[2] P. Breteau, « L'indépendance énergétique de la France grâce au nucléaire : un tour de passe-passe statistique », Le Monde.fr, 24 janvier 2022.
[3] « D'où vient l'uranium naturel importé en France ? », Connaissances des énergies, 9 août 2017.
[4] Ministère de la Transition Ecologique et Commissariat général au développement durable, « Bilan énergétique de la France pour 2019 ». Datalab, janvier 2021.
[5] Rarnol, « En France, les ressources en uranium sont-elles suffisantes pour assurer notre indépendance énergétique ? », Sfen.org, 7 octobre 2020.
[6] U. Fritsche et al., Energy and Land Use - Global land outlook working paper. 2017. doi: 10.13140/RG.2.2.24905.44648.
[7] L. Radisson, « Le Gouvernement limite la sous-traitance à trois niveaux dans le domaine nucléaire », Actu-Environnement, 5 juillet 2016.
[8] F. Ruffin et C. Pocréaux, « Balade nucléaire : Promenade avec Gilles, sous-traitant dans le nucléaire depuis 30 ans. L'autre face de l'atome », Fakir, no 99, août 2021.

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Commentaires 8
à écrit le 02/12/2022 à 19:35
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En grande partie d'accord avec les précédents commentaires, article dont les fondements techniques sont pour le moins douteux et biaisés. Nous l'avons vu le pendant de l'intermittent vent et soleil c'est au mieux le gaz....les Alllemands persisten...

le 05/12/2022 à 15:28
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Vous semblez considérer que mon article est à charge contre le nucléaire : ce n'est pas le cas mais j'admets que vu que j'ai dû le raccourcir, cet article a un ton plus tranché et moins nuancé que je ne l'aurais voulu. Une version plus longue sera bi...

à écrit le 01/12/2022 à 10:54
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Il y a plusieurs inexactitudes dans l'article ce qui le disqualifie dans sa crédibilité. De quels cycles thermiques est -il question quant à la limitation des 40 ans ? En fonctionnement les variations de température du circuit primaire sont de l'ordr...

le 06/12/2022 à 16:47
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Merci pour votre retour. En effet, mea culpa, je me suis trompé sur la pièce incriminée : il s'agit bien du couvercle de la cuve de la centrale et non du dôme. Si cela est possible, je ferai parvenir un erratum à ce sujet. Pour les cycles thermiques,...

à écrit le 30/11/2022 à 18:39
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Le gigantisme n'est pas la bonne solution. De même, la taille des pots de déchets vitrifiés qui est excessive, s'oppose à un traitement par bombardement neutronique qui peut se faire dans un surgénérateur (ou réacteurs à neutrons rapides) Réduisant...

à écrit le 30/11/2022 à 18:16
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Beaucoup d'inexactitudes voire d'erreurs manifestes dans cet article. L'ASN autorise la prolongation de durée de vie des réacteurs existants à l'occasion des réexamens décennaux de sûreté, et pour une période de 10 ans seulement, donc à ce jour aucun...

le 05/12/2022 à 15:51
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Je vous remercie pour votre commentaire et j'admets mon erreur pour la prolongation à 60 ans. J'ai effectivement fait un raccourci regrettable en me basant seulement sur les visions de RTE et d'EDF qui prévoient de maintenir des centrales jusqu'à 60 ...

le 06/12/2022 à 16:55
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Merci pour votre retour. En effet, vous avez raison concernant l'ASN : j'ai fait un raccourci regrettable entre la volonté d'EDF, depuis 2009, de prolonger les centrales jusqu'à 60 ans et les validations de prolongation de certaines centrales par l'A...

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