Les investissements chinois en Europe s’orientent de plus en plus vers la R&D et la production

OPINION. Une étude souligne que les entreprises chinoises considèrent de moins en moins le continent européen comme un simple marché. Dans ce contexte, l’Allemagne fait figure de destination privilégiée. Par Louise Curran, TBS Business School
(Crédits : Reuters)

Ces dernières années, les entreprises chinoises ont considérablement augmenté leurs investissements dans l'Union européenne. Des vignobles du Bordelais aux fabricants de robots en Allemagne, en passant par les constructeurs d'engins de construction en Italie, ces entreprises se sont lancées dans une frénésie d'achats sans précédent.

Au sein de l'UE, cette croissance rapide a alimenté les craintes quant à l'impact de ces investissements sur l'emploi, la technologie et la capacité industrielle européenne à long terme, suscitant des appels à une plus grande surveillance. Dans ce contexte, certains considèrent d'ailleurs que le mécanisme de filtrage des investissements que l'UE a mis en place en 2019 vise d'abord les entreprises chinoises.

Pendant la pandémie, la Commission européenne a publié des lignes directrices à l'intention de ses États membres pour tenter d'apaiser ces inquiétudes concernant une éventuelle prise de contrôle étrangère sur les technologies et les savoir-faire européens. Pour clarifier la situation, l'UE a ainsi négocié un accord avec la Chine, l'accord global sur l'investissement, pour remplacer les 26 accords individuels qui existent actuellement entre tous les États membres (sauf l'Irlande).

L'accord est actuellement bloqué pour des raisons politiques, à la suite des sanctions prises à l'encontre de la Chine en raison des préoccupations de l'UE concernant les violations des droits de l'homme à l'encontre de la minorité ouïghoure dans la province du Xinjiang.

De plus en plus d'investissements en R&D

La question des investissements chinois en Europe va cependant bien au-delà du contexte politique. C'est pourquoi, dans un article récent, mes collègues et moi-même avons entrepris une analyse approfondie pour décrypter ces investissements en utilisant des données chinoises détaillées. Nous nous sommes appuyés sur une base de données couvrant près de 800 investissements chinois dans des secteurs industriels en Europe entre 2006 et 2015.

Il en ressort d'abord que l'Allemagne constitue le premier choix des entreprises chinoises qui investissent en Europe, suivie du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l'Italie. En outre, notre travail met en évidence une grande variété de ces investissements en termes de types d'industries, d'entreprises concernées ou encore de motivations à investir.

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Carte des investissements directs à l'étranger de la Chine dans les pays de l'UE (2006-2015). Fourni par l'auteur

Les entreprises chinoises doivent déclarer leurs investissements à l'étranger au gouvernement. Ces déclarations fournissent des informations sur les lieux où elles investissent, mais aussi sur les raisons de ces investissements : soutien de leurs ventes en Europe, production locale des produits, ou encore activités de recherche et développement (R&D).

Au fil du temps, nous avons constaté que les investissements destinés aux ventes sont passés de 70 % à moins de la moitié du volume total, tandis que la recherche et le développement et la fabrication ont gagné en importance. Cela montre que l'idée selon laquelle les entreprises chinoises considèrent l'Europe uniquement comme un marché, plutôt que comme une base pour la production et la recherche, est clairement dépassée. De nombreuses entreprises chinoises investissent désormais en Europe pour y produire et y développer leur activité.

Ces types d'investissements apparaissent particulièrement importants pour les secteurs chinois qui ont déjà des niveaux d'investissement élevés dans leur pays. Les entreprises qui investissent beaucoup dans la production en Chine ont tendance à faire de même en Europe, ce qui garantit potentiellement des milliers d'emplois européens.

Le rôle moteur de l'État

Compte tenu des préoccupations relatives au rôle du gouvernement chinois dans l'économie et les affaires, nous avons également cherché à savoir si nous pouvions observer des différences dans le comportement d'investissement dans les secteurs où l'État joue un rôle plus important.

Nous avons constaté que les secteurs où les entreprises d'État sont plus prédominantes ont tendance à investir dans la fabrication et la recherche. De leur côté, les secteurs identifiés comme industries « encouragées » par le gouvernement (un groupe varié qui comprend le textile et les satellites civils) restent plus susceptibles d'investir dans la vente. La politique gouvernementale nationale semble donc avoir un impact sur les types d'investissements réalisés par les entreprises chinoises en Europe.

Nous avons également examiné en détail comment diverses caractéristiques des industries chinoises et européennes affectaient les types d'investissements réalisés.

Ainsi, dans les industries européennes établies plus traditionnelles et celles qui ont des taux de croissance élevés, comme les véhicules automobiles au Royaume-Uni, la robotique en Allemagne ou encore les produits chimiques en Hongrie et aux Pays-Bas, les investisseurs chinois sont plus motivés par la R&D que par le marché. Les investissements des secteurs chinois de haute technologie étaient quant à eux plus axés à la fois sur la recherche et le développement et sur la fabrication.

Il reste donc difficile de tirer des conclusions générales sur les raisons des investissements chinois en Europe. Le riche particulier qui achète un vignoble en France aura des motivations très différentes de celles de l'entreprise qui rachète un producteur allemand de robots industriels.

En outre, au sein des secteurs, il existe de grandes disparités dans le succès de ces investissements. Mes travaux antérieurs sur le secteur vitivinicole français ont par exemple montré que, dans certains cas, l'investissement chinois a permis aux vignobles d'atteindre de nouveaux niveaux de croissance et d'internationalisation, alors que dans d'autres, il y a eu d'importants chocs culturels et des difficultés de gestion.

On peut donc pas porter un jugement global sur les investissements chinois actuels et sur les problèmes qui pourraient se poser à l'avenir. Ce qui est clair, c'est que plus nous en savons sur ces investissements et sur d'autres investissements étrangers en Europe, mieux nous serons armés pour décider s'il faut les réglementer et comment.

The Conversation _______

 Par Louise Curran, Professor of International Business, TBS Business School

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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Commentaire 1
à écrit le 22/12/2021 à 9:29
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Elle est sympa cette carte sur laquelle on constate que le point noir en UE c'est comme d'habitude l'Allemagne.

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