Ne construisons pas la transition énergétique sur les ruines du logement

OPINION. La situation du logement en France est alarmante : pénurie dans les zones tendues, recul des crédits octroyés(1), coûts des matériaux en forte hausse(2)... À cela s'ajoute désormais l'obligation pour les bailleurs de rénover les logements les plus énergivores pour espérer les louer(3). Cumulés, ces phénomènes forment une véritable bombe à retardement. Par Yann Jéhanno, président du réseau Laforêt
(Crédits : Jacob)

Le logement dans une impasse

Le logement est le premier poste de dépenses des Français qui lui consacrent près de 20% de  leurs revenus(4). Pourtant, depuis 2017, aucun ministère de plein exercice ne lui est dédié. Il  faut dire que le logement est le principal poste d'économies budgétaires de l'État : réforme des APL, rabotage du PTZ... Un principe réitéré dans le projet de loi de finances 2023, qui réduit l'enveloppe à 20 milliards d'euros alors que les recettes fiscales constituent un véritable jackpot pour les caisses publiques, allant jusqu'à dépasser 80 milliards d'euros en 2021.

Par ailleurs, les différents plans de relance semblent incapables de faire émerger une offre immobilière, qui reste structurellement trop faible. Testé à plusieurs reprises sans succès (1914, 1982...), l'encadrement des loyers entraîne quant à lui le retrait des investisseurs du marché(5) sans résoudre la question de l'accès au logement.

Dans les faits, la demande immobilière, liée particulièrement à la démographie et à la  décohabitation, croît plus rapidement que l'offre. Ainsi, il faudrait construire 14.000 logements supplémentaires par an pour répondre aux besoins(6).

Le cas parlant de la transition énergétique

Alors même qu'en finir avec les passoires thermiques est souhaitable tant du point de vue de l'écoresponsabilité que de la lutte contre la précarité énergétique, le calendrier de rénovation  décrété manque de réalisme. Son dispositif majeur de financement, « Ma Prime Rénov' » laisse un reste à charge excessif pour inciter à des rénovations performantes. Il y a quelques mois, la Cour des comptes pointait du doigt le manque d'efficacité de cette aide, qui n'a permis l'an dernier de sortir du statut de « passoire thermique » que 2.500 logements pour  un objectif de 80.000.

Et, quand bien même les propriétaires seraient en mesure de financer cette réhabilitation, le  manque d'artisans labélisés RGE (une certification conditionnant les aides), qui représentent moins de 20% des entreprises du bâtiment, achève d'anéantir leur bonne volonté. À tel point  que le ministre de l'Économie affirme la nécessité de multiplier par 4 le nombre de ces professionnels d'ici à 2028.

Se concerter pour coconstruire une politique du logement pérenne

Pour générer de l'adhésion autour de cet immense défi, le gouvernement aurait intérêt à orchestrer un accompagnement calibré, tant dans le temps que dans les ambitions. Nos décideurs pourraient faire preuve de réalisme et organiser une meilleure coopération avec les acteurs de la profession pour penser une stratégie pérenne et pragmatique à tous les niveaux. En effet, la filière immobilière représente 2,3 millions d'emplois en France et 11% du PIB : il serait temps d'écouter ce qu'elle a à dire !

En tout premier lieu, sans reporter toutes les échéances, il est nécessaire de repenser le calendrier de la loi Climat & Résilience pour le rendre crédible, sachant que le dispositif d'aide Ma Prime Rénov' n'est pas efficient, que la filière de rénovation est sous-dimensionnée et que l'année 2023 s'annonce difficile économiquement.

D'autre part, il est souhaitable de lever les freins du financement pour massifier les  réhabilitations. Malgré des prêts avantageux, tels que l'éco-PTZ, le recours à l'emprunt reste un obstacle majeur. Préférer l'endettement des ménages à l'investissement public pour financer la transition verte n'est pas la solution miracle.

Pourtant, des outils existent pour viser le zéro reste à charge. Pourquoi réserver le Prêt Avance Rénovation aux foyers les plus modestes ? Ce prêt hypothécaire, garanti par l'État, dont le remboursement s'effectue in fine lors de la revente du bien ou de la succession, dispose  pourtant d'un potentiel considérable.

Il est temps d'engager le dialogue et de travailler aux aménagements qui permettront  d'accélérer l'éradication des passoires énergétiques.

________

(1) Le nombre de prêts accordés recule de 14% à fin novembre, en glissement annuel - Observatoire Crédit Logement/CSA - novembre 2022.

(2) Les entreprises du BTP sont confrontées à une hausse moyenne du prix des matériaux de 26% - Étude CAPEB - novembre  2022.

(3) Le gel des loyers des passoires thermiques s'applique depuis le 24 août 2022, tandis qu'à compter du 1er janvier 2023 les logements les plus énergivores seront progressivement interdits à la location, à commencer par les biens consommant plus de  450 kWh/m²/an).

(4) Étude Insee - 2017.

(5) L'investissement locatif a subi un sérieux revers au 3e trimestre 2022, ne représentant plus que 16% des transactions contre 20% habituellement - Bilan trimestriel Laforêt - septembre 2022.

(6) Étude économique Asterès - mai 2022.(7)

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