Pétrole  : le yo-yo du prix démontre le changement de paradigme

ANALYSE. En matière énergétique, la place du pétrole dans nos économies reste solidement établie. Et grâce notamment aux progrès technologiques, son prix échappe de plus en plus à l'influence de l'influence de l'Opep pour répondre davantage à l'évolution de l'offre et de la demande. Par Samuel Furfari, professeur à l'Université Libre de Bruxelles et président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels.
(Crédits : Reuters)

Malgré la crise du Coronavirus Covid-19, le cours du pétrole reste au premier plan des préoccupations. Mal aimé, voire détesté, ils sont pourtant rares ceux qui ne s'y intéressent pas. Ce produit naturel joue un rôle important dans le développement économique du monde. Les produits pétroliers qui résultent de sa transformation dans des raffineries représentent dans l'Union européenne (UE) 94 % de l'énergie utilisée dans le secteur des transports. Les biocarburants, l'électricité, le GPL et le gaz naturel sont marginaux. Le pétrole est la matière première pour la production des plastiques, peintures, engrais, produits pharmaceutiques et les lubrifiants pour les moteurs et les machines. Sans produits pétroliers, la lutte contre le Covid-19 serait impossible que ce soit pour la fabrication des respirateurs, le tissu synthétique pour confectionner les masques, les sur-blouses du corps médical, les fioles des analyses médicales, tous les médicaments, etc. En d'autres termes, le pétrole est vital pour de nombreuses industries, et les économies modernes dépendent fortement des biens et services qui contiennent des produits pétroliers.

C'est pourquoi le pétrole, avec 35%, reste la principale source d'énergie primaire dans l'UE. Le roi pétrole possède deux caractéristiques physiques qui lui confèrent des avantages imbattables et que la politique ne pourra pas changer : il a une haute densité énergétique en poids et en volume, mais surtout il est liquide ce qui lui confère une grande facilité d'utilisation. Depuis la première crise pétrolière de 1974, les pouvoirs publics et le secteur privé ont tout tenté pour le détrôner mais, imperturbable, l'or noir poursuit sa course en tête des énergies primaires. Ce ne seront pas quelques véhicules électriques européens ou vols subsidiés pour utiliser des carburants verts qui vont lui damer le pion, puisque l'essentiel du développement mondial se fait déjà en dehors de l'UE où il n'y a guère d'intérêt pour l'idéologie verte.

Son prix était manipulé

Deviner quel sera le prix du pétrole après-demain est une activité très aléatoire. La Tribune du 7 avril 2011 annonçait que « des experts » et « Reuters » prévoyaient un cours du baril de pétrole à 130 dollars, voire à 150 dollars. Et le 2 décembre 2005 La Tribune évoquait même 300 dollars ! C'était l'époque où les écologistes envisageaient avec lyrisme l'effondrement du monde des énergies fossiles tant le prix du pétrole était élevé ; c'était l'occasion rêvée pour dire qu'il fallait financer copieusement les énergies renouvelables puisque le mal-aimé allait devenir impayable. Ils ignoraient que ces prix exagérés avaient été manipulés par les spéculateurs avec la complicité intéressée des traders, des producteurs et des pays de l'OPEP. Les seuls perdants étaient les consommateurs car même les Etats étaient gagnants grâce à leurs plantureux revenus sur les accises directement proportionnelles au prix de vente des produits pétroliers.

Revenu à un niveau raisonnable ces dernières années, le cours du brut s'est stabilisé autour de 50-60 dollars le baril. La demande étant toujours soutenue les, 3 grands producteurs - Etats-Unis, Arabie Saoudite et Russie ― ont continué à augmenter leur production de manière quasiment linéaire ces trois dernières années pour tourner autour de 12 millions de barils/jour (Mb/j). L'Irak et le Canada (!) sont les poursuivants mais à bonne distance avec une production de l'ordre de 5 Mb/j. L'Iran et le Venezuela, empêtrés dans leurs crises internes et externes, ont perdu toute relevance dans ce marché mondial. Tout allait donc bien pour les producteurs ― grands et petits ― même si la nouvelle suprématie des Etats-Unis grâce au pétrole de roche-mère en agaçait plus d'un.

La tentative de maintenir un prix élevé

Toutefois, afin de maintenir un prix élevé, l'Arabie Saoudite a voulu réduire la production mondiale. Par la même occasion, Riyad aurait accru son avantage sur l'Iran vu le peu de pétrole qu'il parvient de vendre au marché noir. En se basant sur l'accord appelé OPEP+ entre l'OPEP et la Russie, Ryad espérait logiquement convaincre Moscou de mieux ajuster leurs extractions à la demande mondiale et continuer à vendre, car, après tout, les revenus ne dépendent pas du prix du baril mais de celui-ci multiplié par le volume vendu.

Beaucoup pensent que le mobile de cette volonté d'augmenter le prix est le besoin de financement les budgets de ces Etats. Il est vrai que les revenus pétroliers représentent souvent entre 75% et 90% de leur budget. C'est un penchant bien humain que de vouloir calculer ce que les autres ont en poche ou plutôt en compte en banque. Un rapport de la Banque centrale européenne écrivait qu'en 2008 et 2009 le budget de la Russie était basé respectivement sur un brut à 74 et 41 dollars le baril (on observera l'énorme différence !) ; ce même rapport expliquait que l'Arabie Saoudite, qui n'avait pourtant pas fourni de données, avait besoin pour ces deux années d'un prix de 50 et 45 dollars/b. Lorsque vers 2008 le prix du brut WTI était de 100 dollars/b, ce qui risquait de mettre à mal l'économie mondiale, l'Arabie saoudite déclarait qu'un prix raisonnable serait autour de 70 dollars/b. Le 3 décembre 2015, CNBC annonçait doctement que « l'Arabie saoudite [...] a besoin de pétrole à 106 dollars/b pour atteindre le seuil de rentabilité après les coûts de ses généreux programmes d'aide sociale et de subventions à l'énergie ». Reuters annonce ce 9 mars que « le seuil de rentabilité budgétaire saoudien - le prix du pétrole auquel il équilibrerait son budget - est d'environ 80 dollars/b, soit le double de celui de la Russie ». Il convient aussi de rappeler que la Russie n'a pas de dette extérieure. On voit bien que tout cela n'a pas beaucoup de cohérence et donc de signification. Ces annonces journalistiques peu transparentes ne sont pas de nature à impacter des décisions qui sont plutôt de nature géopolitique.

À mon estime, le Kremlin a refusé non pas pour des raisons budgétaires mais plutôt afin de lancer un signal codé aux Etats-Unis dont l'industrie pétrolière a besoin d'un cours plus soutenu pour poursuivre le développement du pétrole de roche-mère. Son Administration de l'énergie vient d'annoncer que les Etats-Unis ne seront plus exportateurs net de pétrole jusqu'à la mi-2021. Est-ce que ce dessein russe n'était pas plutôt une monnaie d'échange pour qui sait quelle décision géopolitique ou pour pousser à la levée des sanctions ? Après tout, le Président Trump n'est pas le Président Obama qui les avait instaurées.

Toute cette stratégie a volé en éclat à cause de la chute vertigineuse de la demande en produits pétroliers, conséquence de la récession économique en cours et prévisible. Ni Moscou ni Riyad ne pouvaient imaginer que les avions de tant de pays allaient rester sur le tarmac et que le tourisme allait être arrêté net à cause du Covid-19. Ils s'en mordent les doigts.

Le prix du pétrole s'est mis à faire du yo-yo bien plus à cause de la chute drastique de la demande que du manque d'accord de l'OPEP+. Le yo-yo s'est arrêté bien bas. Afin de comprendre les détails, on tirera profit par exemple de l'excellent article de Gérard Vespierre dans La Tribune du 12 avril 2020. L'OPEP, la Russie et les Etats-Unis ont fini par trouver un compromis et ont décidé de couper la production de 10 Mb/j à partir du mois de mai. C'est la première fois dans l'histoire que des pays aussi différents sur le plan géopolitique s'accordent sur le pétrole et que la réduction est d'une telle ampleur. Il est vrai que c'est la première fois que l'économie mondiale est paralysée de la sorte.

De nombreux commentateurs ont les yeux fixés sur les mouvements du yo-yo et perdent de vue le panorama qui a conduit à cette chute des prix.

La démonstration du changement de paradigme

Nous sommes dans une nouvelle ère de l'histoire pétrolière. Depuis la première production de pétrole en 1859 jusqu'en 1974, le marché pétrolier était contrôlé par les compagnies pétrolières américaines et européennes. Ensuite, de 1974 à 2014, sachant qu'il ne pouvait y avoir de croissance économique sans produits pétroliers, l'OPEP (et principalement ses membres arabo-musulmans) a tenté de dominer la géopolitique du monde. De sorte que pendant des années les pays non-OPEP étaient préoccupés par la sécurité d'approvisionnement. En 2000, la Commission européenne avait même publié un livre vert dédié à la sécurité d'approvisionnement énergétique.

Mais entre-temps, les pays non-OPEP se sont organisés et sont parvenus à se libérer de cette contrainte. Les principales raisons sont le développement technologique extraordinaire qu'il y a eu dans les domaines de la prospection, du forage et de l'exploitation des gisements. L'extraordinaire progrès que nous voyons sous nos yeux dans le domaine digital n'est pas plus impressionnant que celui qui est intervenu dans cette industrie de pointe. En même temps, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ouvre des nouveaux espaces à des pays côtiers. Ainsi alors que les réserves de pétrole étaient de 357 milliards de barils en 1965, 684 milliards de barils en 1980, elles sont de 1.730 milliards de barils en 2018. Toutes les peurs de la fin du pétrole ont été balayées par les innovations technologiques.

À présent, c'est l'OPEP qui est préoccupée par la sécurité de la demande. N'ayant rien d'autres à commercer, ces pays ont absolument besoin de sécuriser leur vente de pétrole. Ils ne peuvent donc plus l'utiliser comme un moyen diplomatique. Cette sécurité de la demande est compliquée par l'arrivée sur le marché de nouveaux producteurs (pas seulement les Etats-Unis), mais aussi parce que grâce aux progrès de l'efficacité énergétique la demande en pétrole ne va pas continuer à croître continuellement. Nous sommes donc entrés dans une nouvelle ère où la loi de l'offre et la demande commence à s'imposer. Il aura fallu 40 ans ― la quarantaine comme je l'avais nommée et annoncée dans « Vive les énergies fossiles » ― pour se libérer de ce contrôle de la politique internationale par l'OPEP.

Par ailleurs, le pétrole est à présent soumis à une nouvelle contrainte, encore peu perceptible, mais bien réelle. Tout ce qu'on fait avec des produits pétroliers peut-être produit avec du gaz naturel. Certes, comme nous l'avons dit au début les produits pétroliers liquides ont un grand avantage mais comme on parvient à présent à commercialiser facilement du gaz naturel sous forme liquide, il est probable - même souhaitable - que le gaz naturel va pénétrer le secteur des transports. Cela mettra une nouvelle pression baissière sur le cours du baril.

Les conséquences

Les conséquences géopolitiques sont déjà bien visibles avec notamment un redimensionnement très fort de l'Iran et une faillite virtuelle du Venezuela, pays qui possède pourtant les plus grandes réserves de pétrole au monde. On observera aussi que pour les mêmes raisons le marché du gaz naturel devient lui aussi fluide et dynamique de sorte que les prix de gros du gaz et donc aussi de l'électricité générée par ce gaz vont avoir une tendance baissière. Vouloir poursuivre le développement des énergies renouvelables intermittentes va exiger toujours plus de subsides.

En effet, une autre conséquence du prix du pétrole bas est que les mesures proposées pour « verdir » l'économie européenne vont être plus chères. La crise du Coronavirus a été un malheur pour des milliers de familles qui ont perdu un être cher, pour des millions de chômeurs, et pour l'économie mondiale dans son ensemble. Elle a toutefois mis encore plus en évidence le changement de paradigme mondial : les énergies fossiles ne sont pas prêtes d'être abandonnées et le plan vert de l'UE est bien plus impayable que lorsqu'il avait été annoncé.

Certains lecteurs vont s'interroger, voire s'offusquer, sur les conséquences environnementales de cette croissance de la demande en énergies fossiles. Il n'y a aucune raison de douter que le progrès technologique qui a été si puissant pour créer une nouvelle situation géopolitique et révolutionner les marchés des hydrocarbures ne puisse pas limiter au maximum les impacts environnementaux. De toutes les façons, la plupart des pays en dehors de l'UE ne sont préoccupés que par leur croissance économique et non pas par une idéologie verte. Le nouveau paradigme est pour eux une aubaine. Puissions-nous nous aussi en profiter.

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Commentaires 11
à écrit le 21/04/2020 à 23:42
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"les énergies fossiles ne sont pas prêtes d'être abandonnées"... Aïe, ça pique les yeux ! Il eût fallu écrire "... ne sont pas près de…". "Prêt à" et "près de" ont des sens bien différents ! Et ce n'est pas la seule faute repérée dans cet article...

à écrit le 21/04/2020 à 19:12
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Abondance d'énergies fossiles soit. Mais quid de la décarbonisation, car il faut absolument y arriver, et le plus tôt sera le mieux. La production des GES et autres polluants n'est pas une question "virtuelle", il suffit de regarder les changements...

à écrit le 21/04/2020 à 13:59
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Vu comme ça, on comprend mieux : https://www.ecosia.org/search?q=Samuel+Furfari&addon=firefox&addonversion=4.0.4

à écrit le 21/04/2020 à 12:57
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>Il convient aussi de rappeler que la Russie n'a pas de dette extérieure. Mais une dette non négligeable des compagnies publiques et semi-publiques – vers 30% du PIB. Cependant, l’élément clé est que le coût de la production est considérablement ...

à écrit le 21/04/2020 à 12:50
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Samuel Furfari n'a apparemment aucune expertise sérieuse sur les questions climatiques et du coup il ne comprends pas quel impact elles vont avoir. C'est dommage cette analyse a autant de valeur que celle de mon neveu de 5ans...

le 21/04/2020 à 14:11
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En fait Samuel Furfari se targue de dénoncer l' "hystérie climatique" qui le contrarie dans sa relation fusionnelle avec le pétrole. Etonnant que cet article ait été classé dans la catégorie "analyse" et pas "opinion".. Pas sûr en tout cas que votre...

le 21/04/2020 à 16:17
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J'ai la fibre écolo. Mais ce n'est pas parce qu'un constat est contrariant, voir désolant, qu'il est faux. Ce n'est pas en se voilant les yeux pour ne pas voir une réalité, que cette réalité disparait. Plus le cours du pétrole baisse, plus les solu...

à écrit le 21/04/2020 à 4:46
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Quelle plaisanterie. Dans quelques mois, les mauvaises habitudes reprendront de plus belle, changement de paradigme, n'importe quoi.

à écrit le 20/04/2020 à 21:47
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Et le réchauffement climatique c’est de l’idéologie verte ? Cher Monsieur, pour le moment la « technologie » ne permet pas d’éviter les émissions de CO2 liées à la consommation de pétrole ... Et si de façon plus prudente (et plus heureuse aussi peut-...

le 20/04/2020 à 23:17
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1. Le coût est de 94000 milliards de dollars sur 10 ans... 2. L'Europe représente un maigre 9% du co2. Votre frugalité n'aura qu'un impact marginal sur le CO2 et total sur notre mode de vie. 3. Le reste du monde est bien plus modéré. Il n'est c...

à écrit le 20/04/2020 à 20:28
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Hé YO ! WTI intraday -98% ....0.15 Usd.....même avec un vaccin contre le covid 19.20 et même 22 le crash boursier de septembre est inévitable....vite...vendez !!!!!

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