Réindustrialiser la France ? Chiche !

OPINION. Aujourd'hui capable d'offrir une alternative crédible et responsable aux matières plastiques conventionnelles - qui sont une catastrophe pour la planète entière lorsqu'elles sont dispersées dans la nature -, la filière des nouvelles matières plastiques biosourcées, biodégradables et compostables, que l'on appelle bioplastiques, est non seulement entravée dans son développement mais désormais menacée par les textes récemment adoptés aux niveaux national et européen, notamment l'interdiction sans discernement des produits à usage unique. Par Christophe Doukhi-de Boissoudy, président du Club Bio-plastiques (*).
Christophe Doukhi-de Boissoudy, DG de Novamont France, président du Club Bio-plastiques.
Christophe Doukhi-de Boissoudy, DG de Novamont France, président du Club Bio-plastiques. (Crédits : DR)

A l'occasion de sa « Semaine de l'Industrie », le gouvernement a réaffirmé, par la voix de la secrétaire d'État, Agnès Pannier-Runacher (1), son intention de réindustrialiser la France par les territoires. Dans le droit fil des annonces du Premier ministre, Édouard Philippe, à l'occasion du Conseil national de l'industrie qui s'est tenu en novembre 2018, a annoncé que la priorité serait ainsi donnée aux régions les plus impactées par la mondialisation, laquelle a entraîné dans notre pays une désindustrialisation accélérée et des pertes massives d'emplois dans les zones où, aujourd'hui, la désespérance et le sentiment de relégation gagnent peu à peu toutes les couches de la population.

Pour en finir avec une tendance mortifère pour notre économie et nos emplois

A cette volonté affichée du gouvernement de renverser enfin une tendance amorcée il y a une quarantaine d'années, mortifère tant pour notre économie que pour nos emplois, nous disons oui, cent fois oui.

Car, en matière de prospérité et d'opportunités professionnelles, nous n'hésitons pas à dire que nos objectifs recoupent ceux du Premier Ministre et de la secrétaire d'État en charge de l'Industrie. Sauf que, pour convertir ces objectifs en réussites dans les 136 territoires qui devraient bénéficier du soutien de l'État et des collectivités pour leur revitalisation industrielle, il conviendra avant toute chose de prendre des décisions en accord avec ces ambitions.

Pour l'heure, les décisions prises ne vont pas toutes, loin s'en faut, dans le sens souhaité. A tout le moins pour notre filière industrielle (**), celle des nouvelles matières plastiques biosourcées, biodégradables et compostables que l'on appelle généralement bioplastiques.

Une filière essentielle pour la planète, mais entravée et menacée

Aujourd'hui capable d'offrir une alternative crédible et responsable aux matières plastiques conventionnelles - qui sont une catastrophe pour la planète entière lorsqu'elles sont dispersées dans la nature -, cette filière est non seulement entravée dans son développement mais désormais menacée par les textes récemment adoptés aux niveaux national et européen. Les matières que nous produisons et les infrastructures nécessaires à la mise en place d'une filière industrielle mature dans notre spécialité présentent pourtant toutes les caractéristiques évoquées par Mme Pannier-Runacher comme indispensables au succès de cette politique de revitalisation en s'inscrivant pleinement dans une logique d'économie circulaire centrée sur le territoire.

Emplois non délocalisables, produits compostables et biodégradables

Notre filière est issue de la recherche scientifique européenne, les emplois qu'elle a créés -et qu'elle créera en France, si on la laisse vivre-, ne sont pas délocalisables - alors que les plastiques traditionnels sont très majoritairement fabriqués en Asie. En sus, les produits qu'elle développe sont bel et bien compostables et biodégradables. C'est-à-dire qu'ils finissent par être complètement digérés par l'environnement, sans impact résiduel pour la nature, à l'inverse des plastiques conventionnels, biosourcés ou non, ou des calamiteux « oxo dégradables », avec lesquels nos détracteurs nous confondent encore souvent par ignorance ou à dessein.

Ces produits « oxo dégradables » qui nous font du tort étaient, rappelons-le, du plastique classique fragmentable en micro particules absolument pas biodégradables. Ils sont interdits en France depuis 2015, le deviennent enfin en Europe, et n'ont rien de commun avec les bioplastiques que notre filière fabrique.

Non à l'interdiction des produits à usage unique pour les bioplastiques

Contrairement à une idée reçue particulièrement tenace, ces nouvelles matières « plastiques » biosourcées et compostables issues de notre filière ne sont pas un gadget pour militants des causes environnementales perdues, mais une véritable alternative aux plastiques qui ont envahi nos vies et pollué la planète pour des siècles.

En interdisant les produits plastiques à usage unique à partir de 2021, quel que soit le matériau qui les compose, le législateur européen fait preuve à la fois de manque de discernement et d'incohérence avec ses propres décisions. En effet, les représentants politiques soutiennent depuis plusieurs années, politiquement et financièrement, le développement de ces nouvelles matières plastiques qui intègrent la double problématique de l'indépendance des matières fossiles et de celle de leur fin de vie.

L'arrêt de mort de toute une filière, de sa recherche, de ses emplois

Après en avoir souligné la pertinence, ces mêmes représentants signent désormais l'arrêt de mort de notre filière, de sa recherche et de ses emplois en adoptant cette directive dans la précipitation.

Alors qu'elle est arrivée au stade du développement en Europe et que d'autre pays y travaillent pour rattraper leur retard, le législateur condamne aujourd'hui toute la filière au nom d'une illusion selon laquelle l'interdiction des pailles, assiettes et autres articles jetables en plastique va miraculeusement résoudre le problème de la pollution et de la gestion des déchets. Au moins dans l'esprit du public, qui devrait se contenter de croire ce qu'on lui dit sans chercher à savoir ce qu'il en est réellement.

Innover pour rendre les bioplastiques encore plus efficaces

Pour autant, avec nos produits, nous ne prétendons pas détenir la martingale. Ces matières, certes plastiques, sont encore jeunes et perfectibles. Nous n'ignorons ni leur coût supérieur à celui des plastiques d'origine fossile ni les enjeux techniques autour de l'adéquation entre résistance du produit à l'usage et biodégradation en fonction du milieu.

Ainsi, une partie des produits de notre filière ne répond pas à certaines attentes parce qu'ils prennent trop de temps à disparaître. Jusqu'à trois ans à cinq ans en fonction du milieu, ce qui, du reste, est également le cas pour nombre de végétaux produits par la nature, telles que certaines feuilles d'arbre et les branches. Cela peut paraître un peu long mais nous cherchons sans cesse à nous améliorer. Et, quoi qu'il en soit, on ne peut plus désormais contester que les bioplastiques constituent un indéniable et considérable progrès pour l'environnement car ils ne participent pas et ne participeront jamais à cette pollution plastique persistante pour plusieurs centaines d'années qui a envahi la Terre et que les populations n'acceptent ni ne supportent plus, à juste titre.

La question des concepts et méthodes de recyclage est centrale

Le procès fait à ces matières résulte d'une conception passéiste de la gestion des déchets où seul le recyclage matière des plastiques est réellement pris en considération comme solution à tous ses maux. Rappelons que 30% à 40% de nos déchets sont constitués d'organique, les biodéchets de cuisine, et que leur vocation naturelle est leur retour au sol sous forme de compost ou d'humus, seule manière de régénérer le sol. Ce sol et sa qualité permettent de lutter efficacement contre les crises alimentaires et contribuent également à limiter le réchauffement climatique grâce au stockage du carbone - Cf. l'initiative du "4 pour 1000" (2).

De par leur éco-conception qui les destine au recyclage organique (le compostage), ces nouvelles matières plastique offrent une fin de vie cohérente et responsable aux emballages alimentaires souillés par de la matière organique et qui ne sont pas recyclés mécaniquement pour des raisons techniques et économiques. De plus, la mise en place d'un tri des déchets organiques a montré à chaque fois une amélioration de la performance du recyclage de tous les autres déchets recyclables ( papier, carton, verre...).

La valorisation organique, clé du problème

La France et l'Europe se doivent impérativement de développer cette filière de valorisation organique pour répondre à leurs nouvelles exigences de tri et de valorisation des biodéchets. En sacrifiant ces nouvelles matières, elles se priveraient d'un atout majeur permettant d'accompagner et de faciliter le tri et la valorisation des déchets organiques tout en limitant l'enfouissement et l'incinération des plastiques conventionnels qui ne seront pas recyclés ! Pourtant, de nombreuses collectivités en Europe et en France reconnaissent déjà l'intérêt de ces nouvelles matières compostables dans le développement de la collecte et de la valorisation des biodéchets.

Nous devons réduire notre consommation de matière plastique vierge d'origine fossile, mais nous devons également nous donner les moyens de gérer efficacement la fin de vie de ces produits qui restent nécessaires pour de nombreuses applications dont celles relatives à la conservation des aliments.

Nous savons déjà que le recyclage des plastiques ne sera pas la solution à tout et qu'il nous faudra compter sur la complémentarité des modes de gestion des différents types de déchets, en particulier avec le développement du recyclage et de la valorisation des déchets organiques. Une filière responsable et porteuse d'un modèle économique relocalisé existe déjà pour ces nouvelles matières plastiques biosourcées, biodégradables et compostables dans laquelle se sont engagés des groupes et PME sur l'ensemble du territoire français.

Alors, oui, cent fois oui à la réindustrialisation de la France. Mais pour la rendre possible, n'oublions pas de créer les conditions favorables pour que les filières d'avenir puissent se développer, vivre et faire vivre ceux qu'elles emploient.

Notre filière n'est pas qu'un concept séduisant pour l'avenir. Elle existe, elle a commencé à se développer, mais elle ne pourra être pérennisée et solidement contribuer au développement économique français que si l'on accepte de reconnaitre ses avantages spécifiques dans ses différentes applications en lien avec le recyclage déchets organiques et à la biodégradation.

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NOTES

(1) Entretien paru le 15 mars 2019 dans La Tribune.

(2) Initiative internationale "4 pour 1.000" a été lancée par la France le 1er décembre 2015 lors de la COP 21. Le site : www.4p1000.org/fr

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SUR L'AUTEUR

(*) Christophe Doukhi-de Boissoudy est le directeur général de Novamont France, et également le président du Club Bio-plastiques.

(**) Créé en 2006, le Club Bio-plastiques représente l'ensemble des acteurs de la filière française des matières ''plastiques'' d'origine végétale, biodégradables et compostables. Il a pour mission la promotion et le développement des bioplastiques en France et en Europe. Organisé en filière complète, de l'origine des matières premières à la fin de vie des produits, il réunit : l'amont agricole (AGPB, l'AGPM, l'UNPT), les producteurs de résines bioplastiques (BASF, BIOFED, BIOTEC, FUTURAMAT, INGEO, MCPP, NATUREWORKS, NOVAMONT), les fabricants de produits finis (ARDI, BIOVERSUS, ESC-BAGHERRA, Groupe BARBIER, GR PLAST, FLO, MBPACK, SES43, SPHERE), l'organisme de certification et société d'expertise (TUV AUTRIA, GBCC).

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Commentaires 5
à écrit le 24/04/2019 à 13:31
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Supprimer l’usage unique pour les plastiques est une action responsable et visionnaire. Protéger la nature , l’environnement et les humains : c’est une base. Qu’est ce que la perte de 1000 emplois quand c’est pour protéger la terre et les vies huma...

à écrit le 17/04/2019 à 16:53
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en resume le monsieur explique qu il faut pas interdire le produit de sa societe… un gros plaidoyer pro domo :-( C ets du meme genre que les promoteurs qui defendent leurs niches fiscale (pinel/ptz) en mettant en exergue les gens dormant dans le...

à écrit le 17/04/2019 à 15:29
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La réindustrialisation ne se fera que par un retour de la compétitivité: c'est a dire par notre appauvrissement et l'enrichissement de nos concurrents, que l'UE de Bruxelles subventionne grâce a notre participation, pour l'instant!

à écrit le 17/04/2019 à 14:18
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la france a mis dehors le grand capital qui exploite les syndicalistes creves la faim ca a marche, seul pb , l'industrie est intensive en capital! CQFD plus personne n'est assez idiot pour investir massivement, et ce q'autant moins que grace a holl...

le 17/04/2019 à 19:59
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Et donc? Que voulez vous dire au juste?

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