"L'industrie, ce sont des emplois situés à 70% dans les territoires en dehors des grandes villes"

ENTRETIEN. Dans un entretien avec La Tribune, la secrétaire d'État à l'Économie, Agnès Pannier-Runacher, précise les objectifs des territoires d'industrie, et révèle la création possible de 200.000 emplois.
Grégoire Normand
Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État chargée de l'industrie. La Semaine de l'industrie s'ouvre lundi, l'occasion pour Bercy de mettre en avant les initiatives du gouvernement pour soutenir l'emploi et l'innovation dans ce secteur.
Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État chargée de l'industrie. La Semaine de l'industrie s'ouvre lundi, l'occasion pour Bercy de mettre en avant les initiatives du gouvernement pour soutenir l'emploi et l'innovation dans ce secteur. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de se mobiliser sur les territoires d'industrie ?

AGNES PANNIER-RUNACHER - L'industrie, ce sont des emplois situés à 70% dans les territoires en dehors des grandes agglomérations. Des emplois rémunérés 20% de plus en moyenne que dans les autres secteurs d'activité, durables et qui engendrent des emplois induits. Il y a donc un véritable enjeu de croissance pour le pays, et de répartition des emplois et des richesses sur les territoires. Pourtant, 50.000 emplois ne sont actuellement pas pourvus dans l'industrie et 200.000 emplois supplémentaires pourraient être créés si l'on était capable de répondre aux besoins de compétences des industriels, qui refusent des commandes à leurs clients faute de disposer des compétences recherchées.

Quel est l'objectif de ce dispositif ?

L'objectif est de partir du plus près du terrain, avec un tandem composé d'un industriel et d'un élu local. Le dispositif est par ailleurs piloté par les Régions. Le rôle de l'État est d'être un facilitateur, un apporteur de solutions et de financements. Nous ne voulons pas être dans une posture administrative, où l'État serait cantonné au contrôle ou au rappel de la norme.

Très concrètement, Territoires d'industrie vise à régler tous les petits grains de sable qui empêchent les industriels de se développer et de créer de l'emploi. Les blocages sont très divers. Pouvoir attirer des talents nécessite d'avoir des compétences à proximité. Cela soulève la question de l'apprentissage et des lycées professionnels dans les territoires ruraux ou périurbains. Dans de nombreux territoires d'industrie, la question est donc posée des dispositifs qui permettraient d'avoir des apprentis à proximité, avec plusieurs industries qui s'engagent derrière à les accueillir. La somme des industriels présents sur un territoire peut permettre de justifier l'ouverture d'une section d'apprentissage.

D'autres acteurs sont également mobilisés au niveau local. Action Logement est présent, par exemple, sur les territoires d'industrie en Auvergne-Rhône-Alpes pour faciliter l'hébergement des familles. Il existe des dispositifs permettant de soutenir l'innovation grâce au PIA, le Programme d'investissements d'avenir. À titre expérimental et lorsque cela est justifié, les entreprises peuvent demander des dérogations à certaines réglementations dans le cadre de France expérimentations.

Où en est la mise en oeuvre ?

La première étape a consisté à rassembler tous les outils à mettre à disposition des territoires et des régions pour agir, comme la Banque des territoires, Bpifrance, Pôle emploi, les services du ministère de l'Éducation et ceux du ministère du Travail. Au départ, 17 instruments avaient été recensés, nous en sommes aujourd'hui à plus de 20, sachant que le gouvernement a formalisé avec les administrations des modalités d'intervention très simples. Puis nous avons sélectionné 29 territoires pilotes avec lesquels nous avons, en ce moment, de nombreux échanges. Durant les deux dernières semaines, plusieurs rencontres de type speed dating ont été organisées entre territoires pilotes et les différents services de l'administration pour les aider à formaliser leurs actions. L'objectif est de signer les premiers contrats avant la fin du mois de mars.

Sur quels critères ces territoires ont-ils été sélectionnés ?

L'année dernière, une mission a été confiée par le Premier ministre au député de la majorité Bruno Bonnell, accompagné d'une représentante des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), un représentant des Régions, un consultant spécialisé sur les sujets industriels et une dirigeante d'entreprise. Après avoir effectué un tour de France des territoires, la mission a travaillé à définir des critères, dont l'un des plus importants était le poids de l'emploi industriel sur la zone. L'idée est que le développement industriel doit être ancré dans la culture du territoire. Le critère géographique ne reposait pas sur les limites administratives, mais sur des bassins d'emploi et économiques. De fait, il y a parfois des territoires d'industrie à cheval sur deux départements ou deux régions. Les Régions ont ensuite été sollicitées pour faire des propositions et valider ces territoires. Cela était d'autant plus nécessaire qu'elles pilotent le dispositif.

Justement, ce découpage ne risque-t-il pas de compliquer les démarches administratives pour les entreprises ?

Il ne s'agit pas d'ajouter une nouvelle strate administrative, mais de raisonner à l'échelle des réalités économiques et industrielles des territoires. Preuve de l'intérêt suscité par cette démarche, d'autres territoires se sont signalés après la présentation du dispositif, le 22 novembre dernier. S'ils répondent aux critères, nous les soutenons. Ce qui nous intéresse, c'est d'avoir un maximum d'énergie positive à l'échelle des territoires. C'est la meilleure réponse à la fracture territoriale.

En augmentant le nombre de territoires, nous n'avons donc pas voulu fermer le dispositif. Nous avons laissé les territoires se manifester et arriver avec des projets qui témoignent d'une capacité à développer de l'emploi industriel. La mère des batailles, c'est l'emploi.

En ciblant certains territoires spécifiques, cette politique industrielle ne risque-t-elle pas d'accroître la fracture territoriale ?

Bien au contraire, nous ciblons en priorité des territoires qui n'ont pas les atouts des grandes agglomérations, comme le très haut débit, la 4G, etc. Ils n'ont pas forcément toutes les filières d'apprentissage, les lycées professionnels ou les écoles d'ingénieur. La question des infrastructures de transport se pose dès qu'il y a des enjeux de livraison, par exemple. Le ciblage de ces territoires doit contribuer à un rééquilibrage. Nous orientons des moyens supplémentaires vers des territoires qui partent avec moins d'atouts que les grandes agglomérations. Nous voulons renforcer l'accompagnement de la ruralité et de la périphérie par rapport à des zones bien équipées.

Sur l'enveloppe de 1,3 milliard d'euros annoncée, l'augmentation du nombre de territoires ne risque-t-elle pas de diminuer la part allouée pour chaque zone ?

Le passage de 124 à 136 territoires n'est pas de nature à diluer les moyens mis à leur disposition. L'objectif, c'est d'enclencher un cercle vertueux et une dynamique économique pour avoir un retour sur investissement.

"Il faut changer le regard des Français de l'industrie : l'industrie est compétitive, elle se modernise, innove"

Le gouvernement doit faire face à de nombreux dossiers brûlants dans l'industrie avec Ford, Ascoval, la filière diesel. Toutes ces usines en souffrance ne sont pas vraiment un bon signal pour l'économie française...

Ces dossiers attirent l'attention, mais les derniers chiffres de l'emploi industriel sont positifs et encourageants. Au quatrième trimestre 2018, l'emploi salarié dans l'industrie a progressé de 6.500. Sur un an, l'emploi a augmenté de 9.500. Ce sont des chiffres que nous n'avions pas connus sur les vingt dernières années. Cette dynamique est une nouveauté dans le paysage industriel. En parallèle de restructurations de sites qui focalisent naturellement l'attention, il y a plus de créations et d'extensions d'usines.

Quel est le principal frein au développement de l'industrie actuellement ?

Le premier handicap pour l'industrie est le manque de candidats. Trop de gens s'imaginent que l'industrie est une voie de garage alors que ce n'est pas la réalité. Il faut changer le regard des Français sur l'industrie : l'industrie est compétitive, elle se modernise, elle innove. Certes, la situation est encore fragile et c'est pourquoi nous multiplions les efforts sur l'industrie 4.0 et la formation des compétences.

Dans quelle mesure le Brexit va-t-il avoir un impact sur l'industrie française ?

Selon nos évaluations, l'impact économique à moyen terme sera assez faible sur l'ensemble de l'Union européenne, et donc sur la France. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas se préparer à un hard brexit le 30 mars prochain. Dès mon entrée en fonction, j'ai été mobilisée sur ce sujet pour sensibiliser les fédérations professionnelles et les entreprises. À mesure que l'échéance approche, je le répète, il faut se préparer au pire et espérer le meilleur. Se préparer au pire des scénarios consiste à regarder tous les points de contact que chaque entreprise a avec le Royaume-Uni, et à anticiper les procédures douanières et les réglementations. Le Royaume-Uni peut devenir du jour au lendemain un pays tiers, il faut l'anticiper.

Qu'est-ce qui est ressorti de la réunion sur la filière diesel lundi dernier ?

Outre la filière diesel, les voitures électriques, l'hydrogène, l'usine 4.0 et les problèmes de compétences ont été abordés lors de cette rencontre avec les constructeurs, les équipementiers et les organisations syndicales.

Concernant la filière diesel, deux décisions ont été prises. La première est de lancer une mission scientifique indépendante pour évaluer en conditions réelles les émissions de CO2, de Nox, et de particules fixes des motorisations récentes, essence ou diesel. Au niveau de l'Union européenne, la réglementation pour les motorisations diesel est moins exigeante que pour les motorisations essence. Pourtant, les fabricants nous signalent que certains véhicules diesel ont des performances environnementales supérieures aux véhicules essence. Avec François de Rugy et Bruno Le Maire, nous défendons le principe de la neutralité technologique de l'État. Cela signifie qu'à performances environnementales égales, un véhicule diesel et un véhicule essence doivent avoir la même classification Crit'Air. L'étude scientifique doit nous éclairer sur leur sujet et nous permettre d'apporter une réponse aux constructeurs.

La deuxième décision annoncée à l'issue de cette réunion est de lancer une cartographie des sites concernés par la diminution de l'achat par les Français de véhicules diesel. La moitié des sites ont anticipé leur diversification et sont capables de se réorienter. En revanche, 20% d'entre eux doivent être accompagnés pour s'orienter vers d'autres activités. Cela doit être le plus possible anticipé.

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PROFIL

Juin 1974 : Naissance à Paris.
1995 : HEC Paris
2000 : ENA (promotion Averroès), inspectrice des Finances
2003 : directrice de cabinet AP-HP de Paris
2006 : directrice du Fonds stratégique d'investissement
2011 : directrice division clients et R&D de Faurecia
2013 : directrice générale déléguée de la Compagnie des Alpes
Octobre 2018 : secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, chargée de l'industrie

Grégoire Normand
Commentaires 4
à écrit le 18/03/2019 à 22:51
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Pour autant que je suis concerné, si la re industrialisation des territoires était la conclusion que le gouvernement tirait du mouvement des gilets jaunes, dieux sait que je n’aime pas ce gouvernement mais il aurait entièrement raison. C’est à mon se...

à écrit le 18/03/2019 à 11:59
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Ben c'est typique des Pays de la loire, des emplois industriels ou autres aux limes des départements, le chômage au centre le chef-lieu, un personnel plus stable, moins d'impôts sans doute, une meilleure qualité de vie, des édiles soucieux et accomod...

à écrit le 18/03/2019 à 11:50
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Proposition d’idee Pour faire Baisser de 500.000 à 1.000.000 le nombre de chômeurs et résorber le déficit public chronique. Nos malheurs actuels ont pour cause profonde le chômage de masse endémique combiné à des déficits publiques constants et u...

à écrit le 18/03/2019 à 10:32
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Madame la secrétaire d’État, faut dormir ! Le corps à ses limites hein et quand les autres commencent à s'en apercevoir c'est que c'est le moment pour se reposer.

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