Ghislaine Alajouanine : « Il faut aller vers une banalisation de la télémédecine »

Face au fléau des déserts médicaux, qui, au-delà des campagnes, touchent désormais aussi les villes et les zones périurbaines, la présidente de l’Académie francophone de télémédecine et eSanté, également présidente du Haut conseil français de la télésanté, et vice-présidente de la Silver Valley, alerte de nouveau. Elle exhorte les autorités à lancer un « plan Marshall », avec la création, notamment, de zones franches prioritaires et de dispensaires de télésanté. Entretien.
(Crédits : DR)

Environ 10 % de la population en France peine à accéder aux soins de santé. En tant que pionnière de la télé-échographie satellitaire et ancienne élue, vous vous êtes saisie de cette question depuis longtemps. Quelles sont vos propositions phares ?

Ghislaine Alajouanine : Le cœur de la problématique, c'est de pouvoir apporter une réponse à une question angoissante - « qu'est-ce que j'ai ? » - et ce, quel que soit l'endroit où l'on se trouve, de même que de pouvoir rester dans son lieu de vie aux meilleures conditions possibles, grâce à une utilisation des nouvelles technologies au service de la santé, qui ne remplaceront bien sûr jamais l'examen clinique, mais qui potentialisent la pratique médicale, en préservant le temps intelligent des médecins. Les enjeux sont multiples, d'autant que la population française vieillit et que 70 % de nos seniors habitent dans des déserts médicaux. Il est d'abord essentiel de comprendre que ces lieux sont avant tout des déserts socio-économiques.

C'est pourquoi je propose, dans le cadre de mes « 18 points pour agir », de mettre en place, dans les 192 bassins de vie touchés, des zones franches pour attirer les entreprises, créer des emplois et faire venir de nouveaux habitants, donc des patients, suffisamment nombreux pour qu'un médecin s'installe et puisse vivre. Ensuite, il faut mettre en place des structures répondant aux besoins de nos patients. C'est pour cela que je préconise l'ambulatoire et la multiplication des maisons de santé connectées, renforcées par la création de dispensaires digitaux de télémédecine quand la réponse diagnostique traditionnelle est absente ou inadaptée. Autre mesure, des livrets d'épargne fléchés vers un grand chantier, un « plan Marshall », en quelque sorte, que j'ai baptisé « Zéro Déserts Médicaux ». Enfin, il faut former des Auxiliaires capables d'aider les patients lors des téléconsultations, car la relation soignant-soigné reste indispensable pour rassurer.

Vous êtes Vice-Présidente du pôle d'innovation Silver Valley, qui abrite quelque 300 entreprises. Quelles solutions d'avenir voyez-vous émerger et quelle est votre vision du potentiel de la télémédecine ?

G. A. : J'observe beaucoup d'imagination, non seulement dans les produits eux-mêmes, mais aussi, et c'est nouveau, dans les services et leur coordination, grâce à des logiciels se servant d'intelligence artificielle (IA), voire de blockchain. De fait, il y a un véritable enjeu d'adaptabilité technologique aux usages. Aussi, nombre de dispositifs et de capteurs arrivent sur le marché, avec pour défi d'être fiables au maximum, tout en étant le moins onéreux et le moins encombrant possible. C'est par exemple le cas d'innovations comme les chariots ou les valises de télémédecine, qui pourraient en outre éviter des problèmes nosocomiaux, ou les systèmes qui permettent d'appuyer juste sur un bouton et entrer ainsi en contact avec le médecin.

Plus largement, la télémédecine du futur, qui englobe aussi bien la télé-expertise, la téléassistance que la téléconsultation, se résume, selon moi, en « six p » : prédictive, préventive, participative, personnalisée, plurielle et de proximité. Nous sommes en pleine révolution : demain, ce n'est pas le patient qui prendra rendez-vous avec le médecin, ce sont les professionnels de santé qui diront à leur patient : 'Compte tenu de vos données, vous devriez venir me voir'. Grâce à la data et à l'IA, qui ne remplaceront toutefois pas le discernement, l'intelligence naturelle et la recherche médicale vivra elle aussi un bouleversement. C'est bien une révolution, notamment à base d'IA, attention, cependant : il faudra autant d'audace que de prudence !

Comment l'Académie francophone de télémédecine et d'eSanté s'inscrit-elle dans cette dynamique ?

G. A. : A travers nos nombreuses actions, comme la mise en place d'un grand prix mondial de la télémédecine, dont la première édition s'est tenue à l'Académie nationale de médecine, le 5 décembre 2019. Par ailleurs, nous réagissons à des événements tels que les amendements 555 et 902 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2023, visant à instaurer la présence obligatoire de deux professionnels de santé, qui mettait en péril cette pratique médicale, la télémédecine, devenue indispensable comme l'a révélé la dernière pandémie. Enfin, nous soutenons des formations pratiques concrètes, notamment auprès d'Auxiliaires de vie, pour leur expliquer comment se servir de capteurs pour prendre les paramètres médicaux vitaux ou aider le patient à prendre ces paramètres lui-même. Bref, les technologies sont là, il faut maintenant s'en servir au quotidien. Il faut aller vers une banalisation de la télémédecine ! Autant d'initiatives nécessaires à son indispensable développement, grâce aux nouvelles technologies. L'enjeu est de les maîtriser, plutôt que d'en avoir peur...elles sont l'avenir !




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