Jouer collectif, une nécessité pour les entreprises

Lors d'un récent dîner à la Maison des Centraliens, la cheffe d'orchestre Mélanie Levy-Thiébaut, invitée du Cercle Humania, a « embarqué » plus d'une centaine de dirigeants d'entreprises et de DRH. Le but : non seulement les faire chanter en chœur, mais surtout, leur montrer comment elle gère un ensemble dans lequel chacun doit jouer sa partition à la perfection - pour atteindre l'harmonie.
(Crédits : DR)

Que ce soit en matière d'économies d'énergie ou d'attractivité vis-à-vis des candidats et des salariés, les entreprises, aujourd'hui plus que jamais, doivent parier sur le collectif : des efforts partagés pour sortir de la crise énergétique et climatique, des actions pour séduire et fidéliser tous les talents, fédérés autour de valeurs communes. Et qui aurait été mieux placée pour incarner cette nécessité qu'une cheffe d'orchestre de renom ? C'est donc à Mélanie Levy-Thiébaut - qui a dirigé différentes formations, dont l'Orchestre philharmonique royal de Liège, l'Orchestre national d'Ile-de-France, le Choeur de Radio France, l'Orchestre national de Lille, le Real Filharmonia de Galicia et la Sinfonietta de la Suisse romande, de même que Le Paradoxe, groupe orchestral qu'elle a lancé en 2021, afin de faciliter la rencontre entre les œuvres contemporaines et le public - que le Cercle Humania a fait appel, à l'occasion d'un récent dîner à la Maison des Centraliens. Et il ne l'a pas regretté !

Si elle savait depuis l'âge de six ans, à Casablanca où elle est née, qu'elle voulait devenir cheffe d'orchestre, comme elle l'avait annoncé tout de go à ses parents, et qu'elle a ensuite fait de brillantes études de musique, au Conservatoire de Paris, puis de Barcelone, couronnées de plusieurs premiers prix, de clavecin, puis de direction d'orchestre, apprivoiser un groupe de musiciens, chacun se concentrant sur sa partition, pour en tirer un miracle, celui de l'harmonie parfaite, n'est pas de tout repos.

D'ailleurs, elle a toujours le trac. Et ce n'est pas parce qu'elle est l'une des rares femmes dans la profession... « Tout se joue sur la confiance, dit-elle. Après tout, lorsqu'on monte dans un avion, on s'en remet au pilote. » Mais encore faut-il, devant un orchestre parfois inconnu, créer cette confiance. « Si j'avais la recette pour réussir à coup sûr, je la donnerais ! », enchaîne-t-elle. Elle a quand même quelques trucs...

Gestion humaine

A San Sebastián, en Galice, elle lance un simple « buenos días » retentissant d'entrée de jeu et gagne le cœur des musiciens en un instant. « Toutes les têtes se sont relevées, se souvient-elle. D'ailleurs, tout se joue dans le premier quart d'heure. J'ai également fait 15 ans d'art martiaux et les techniques, notamment du maniement du sabre, sont très intéressantes pour le leadership. Il s'agit de sentir le danger à l'avance et de le désamorcer. »

Mais pour ceux qui, dans les entreprises, n'ont pas son instinct ni sa formation ? « Je ne sais pas jouer du hautbois, mais je dois donner confiance au hautbois », répond-elle. Du travail donc, d'abord - pour elle, sur les œuvres, qu'elle a étudiées à fond, y compris leur histoire, avant d'arriver dans la salle de répétition. Du doigté, ensuite - qui implique de sentir les musiciens, individuellement, et de leur laisser une certaine liberté, une certaine créativité, mais pas trop... Et surtout, du recul et de la patience : « on ne peut parler à quelqu'un que lorsque la porte est ouverte », souligne-t-elle. Elle demande donc un effort ou une façon quelque peu différente de jouer uniquement lorsqu'elle sait qu'elle peut être entendue, reçue. Parfois en répétition, en espérant que le miracle se produise également en concert. « Vous aviez l'air de savoir ce que vous vouliez, j'ai eu envie de vous faire plaisir », a simplement déclaré un jour un musicien félicité... Sans oublier une dose de légèreté et d'humour. Mélanie Levy-Thiébaut raconte ainsi avec gourmandise comment, pour fêter la fin de l'année, une partie de l'orchestre a profité d'une période de pause de leurs instruments dans un récital pour ouvrir et déguster des huîtres, une initiative tout à fait interdite et qui a fait bondir le directeur de la salle ! Et que ces musiciens répètent désormais à chaque Saint Sylvestre !

Son enthousiasme est communicatif. « L'équipe est un instrument extraordinaire, l'individu reste l'individu mais je suis là pour faire en sorte que chacun fasse confiance, s'abandonne à l'autre et se dépasse. Je me demande chaque jour si quelque chose de magique va avoir lieu. C'est parfois le cas, mais pas toujours », enchaîne-t-elle. Une gestion humaine qui exige une tension mentale de tous les instants, qu'elle gère là aussi, ne serait-ce qu'en faisant une sieste avant un concert, puisqu'elle a la chance de pouvoir s'endormir sur commande, ou en pratiquant le prāṇayāma, la maîtrise du souffle dans le yoga, qui contrôle le prāṇa, l'énergie vitale. Car « il faut travailler sur soi pour travailler avec les autres », assure-t-elle.

Révéler les autres

Et si elle faisait chanter le parterre de dirigeants d'entreprises et de DRH réunis dans le cadre du Cercle Humania ? Ce sera Frères Jacques. Une première fois, puis une deuxième, nettement plus harmonieuse, puisqu'elle l'a dirigée. « Un leader - et elle parle aussi bien d'un chef d'orchestre que d'un manager - est celui qui révèle les autres », poursuit-elle. La vitalité, l'énergie, la concentration doivent être collectives. Il arrive bien sûr que l'orchestre entier ait un coup de barre, puis retrouve la pêche. Il faut faire avec... Mais en cas de désengagement plus profond, des collaborateurs ou des équipes, comme on le voit parfois dans les entreprises ? « Il faut réveiller leur flamme passée », dit-elle. Certes, mais comment ? « Toujours avec la même recette : l'énergie et la confiance, même dans les turbulences, et la bienveillance, la joie », répond-elle. Elle conclut sur une belle image, qui vaut aussi pour les managers dans les entreprises : « Cheffe d'orchestre est un métier solitaire, mais il faut, comme avec un compas, tracer un cercle, qui inclut toutes les parties prenantes, de l'orchestre au public, au même niveau dans le cercle, et au milieu, la pointe du compas laisse un petit trou », explique-t-elle. C'est la place du leader, centrale, mais invisible, en quelque sorte, et dont l'action ne se repère que dans l'émotion, positive et collective, qu'il ou elle suscite. Mélanie Levy-Thiébaut, elle, aura généré bien plus lors de la soirée du Cercle Humania. Une symphonie, digne de Mozart, jouée allegro, crescendo et forte, qui aura embarqué tous les heureux présents au dîner !

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