4G : « Bouygues Telecom a bénéficié d’un avantage indu » (Stéphane Richard, Orange)

Par Delphine Cuny  |   |  1075  mots
Recevant le ministre du Travail Michel Sapin au siège, pour la signature officielle d’un accord de contrat de génération, le PDG de l’opérateur historique a dénoncé en aparté l’injustice de la décision qui a permis à Bouygues de réutiliser ses fréquences GSM. Mais il assure que les débits de la 4G sont meilleurs que ceux de son concurrent.

Après Fleur Pellerin, la ministre déléguée à l'Economie numérique, chez Bouygues Telecom à Meudon lundi pour le lancement de la 4G au niveau national par l'opérateur, c'était au tour de Michel Sapin, le ministre du Travail, de se rendre vendredi au siège d'Orange… pour la signature d'un accord portant sur le contrat de génération chez l'opérateur historique.

Félicitant le PDG, Stéphane Richard, le DRH, Bruno Mettling, et les représentants des trois organisations syndicales représentatives (CGT, CFDT et CFE-CGC) qui ont signé l'accord (boudé par Sud et FO), le ministre a glissé au passage qu'il venait de « changer d'opérateur : je suis passé de SFR à Orange, j'en avais assez de ne pas pouvoir appeler depuis mon bureau… »

Petit effet de surprise et éclat de rire général dans le salon de réception au dernier étage de la Tour Olivier de Serres, dans le XVe arrondissement de Paris.

Le ministre du Travail quitte SFR pour Orange

Ce n'est pas une boutade, destinée à se mettre l'assistance dans la poche, quelques jours après le fameux « bug » des SMS de SFR, prestataire de Pôle Emploi, qui a conduit à sous-estimer le nombre de chômeurs.

Le ministre du Travail montre le nom de l'opérateur en haut de l'écran de son smartphone, précisant qu'il parle à titre personnel et ne s'occupe pas lui-même du contrat de l'agence pour l'emploi avec l'opérateur, tout en confiant, au sujet du bug, « j'ai gardé mon sang froid, mais pas ma bonne humeur. Cela était déjà arrivé une première fois, j'ai fait savoir que cela ne devait pas se reproduire. »

Pas de triomphalisme chez l'opérateur historique, où certains soufflent être surtout soulagés de ne pas être concernés par ledit bug…

Après le choc Free Mobile, les opérateurs réembauchent… un peu

Dans le cadre de ce contrat de génération, Orange a indiqué vendredi qu'il allait embaucher « près de 3.000 jeunes en CDI d'ici 2015 », sur un total de plus de 4.000 recrutements déjà prévus dans son accord seniors signé en décembre 2012, et formé 1.000 alternants de plus que les 5.000 envisagés, spécifiquement sur les métiers du très haut débit.

Lundi, Bouygues Telecom avait annoncé 200 embauches dans ses centres de relation clients. « Une fois le choc absorbé de l'arrivée du quatrième opérateur, je me réjouis de voir que le secteur se trouve à nouveau dans une phase d'investissement et de création d'emploi » avait déclaré lundi Fleur Pellerin.  

« On ne peut pas encore dire que l'emploi soit reparti à la hausse dans le secteur. Bouygues Telecom a beau annoncer qu'il va embaucher 200 personnes, le solde est négatif avec son plan de départs volontaires [542 personnes], il y a des réductions de postes chez les sous-traitants, dans les centres d'appels. Et nos 4.000 embauches ne compenseront pas les 10.000 départs à la retraite attendus dans les trois ans [30.000 d'ici 2020, NDLR] » objecte en aparté Stéphane Richard. « Quant à la 4G, l'enjeu n'est pas majeur en termes d'investissement, car le déploiement coûte moins cher que la 3G. Le plus cher, c'était le spectre, les fréquences. »

« Une injustice inspirant de la colère »

Sur la 4G, justement, Orange s'est montré silencieux depuis que Bouygues a lancé son réseau couvrant 63% de la population le 1er octobre, deux fois plus que le sien. « Nous ferons plus que nous avions annoncé en matière de couverture de la population à la fin de l'année [plus de 40%], nous ferons le maximum pour que Bouygues Telecom n'ait pas trop d'avance. »

L'annonce des 63%, qui aurait un peu ébranlé les équipes de l'opérateur historique habitué à être le numéro un, selon certaines sources, « n'a pas entamé notre moral » assure le PDG, tout juste rentré d'un déplacement dans la Silicon Valley. « C'est vécu en interne comme une injustice, qui inspire de la colère, parce que les règles du jeu ont été modifiées a posteriori, et non comme une défaite qui engendrerait un sentiment de déclassement » confie-t-il à la Tribune.

Orange a attaqué au fond devant le Conseil d'Etat la décision du gendarme des télécoms, l'Arcep, autorisant Bouygues à réutiliser ses fréquences GSM (1800 Mhz) pour faire de la 4G, la demande en référé de Free ayant été rejetée. « Je ne sais pas si nous gagnerons. Mais une mesure peut être légale tout en étant néanmoins injuste. Cette décision a conduit à valoriser un avantage historique, le fait que Bouygues ait eu plus de fréquences 1800 Mhz au départ et moins de clients. C'est un avantage indu » s'indigne-t-il.

Fleur Pellerin a martelé lundi qu'il y avait eu un « traitement équitable » des opérateurs et que « l'on ne peut pas parler de cadeau » concédé à Bouygues, compte tenu des conditions financières - 60 millions d'euros à payer à l'Etat pour réutiliser les fréquences.

« Orange a la meilleure 4G, en qualité et en débit »

Visiblement agacé par le battage médiatique de la filiale de Bouygues, qui « en fait des tonnes, après ce coup de Jarnac », Stéphane Richard s'étonne : « pour un groupe qui se dit aux abois, en cash flow négatif, ils ont finalement de l'argent pour faire autant de publicité » raille-t-il.

Ceci dit, chez Orange, « on n'a pas de complexe, car en termes de qualité, nous avons la meilleure 4G, grâce à nos fréquences 800 Mhz et 2,6 Ghz, dont la combinaison offre un débit supérieur au 1800 Mhz » de Bouygues. SFR, qui déploie en priorité sur les fréquences 800 Mhz, affirme que la qualité de réception sera meilleure chez lui, notamment en intérieur.

Le PDG d'Orange brandit son iPhone 5s tout neuf et exécute sur le champ un test de débit de la 4G : « 92,7 Mégabits par seconde, pas mal non ? » claironne-t-il, dans son bureau du 15e étage qui offre une vue panoramique sur la capitale, et d'où l'on distingue nettement au loin la tour Sequana de Bouygues Telecom, à Issy-les-Moulineaux. Sur son bureau, à côté d'une Vuvuzela souvenir, un autocollant clin d'œil « I love 4G », le cœur étant remplacé par un carré Orange.

Stéphane Richard rappelle que l'opérateur aux 26 millions de clients mobiles propose à ses abonnés la 4G pour 1 euro de plus : « j'invite les Français à comparer. »