Free Mobile : les régulateurs se renvoient la balle sur l’itinérance d’Orange

Par Delphine Cuny  |   |  679  mots
« 2014 doit être l'année de la négociation des modalités et du calendrier de sortie de l'itinérance », avait déclaré fin janvier Arnaud Montebourg, sommant Orange et Free de s'y atteler. (Photo: Reuters)
Plus d’un an après l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui préconisait un arrêt progressif de l’accord entre Orange et Free entre 2016 et 2018, rien n’a bougé. Le régulateur des télécoms fait valoir qu’il est toujours dépourvu de pouvoir de sanction et qu’Orange n’est pas pressé que ce juteux contrat de droit privé ne s’arrête.

Un « cancer » pour le secteur, causant « une concurrence faussée » : Bouygues Telecom est récemment revenu à la charge contre l'itinérance, qui permet à Free Mobile de louer le réseau d'Orange là où il n'a pas déployé le sien. Lors d'une audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, fin mai, le PDG de Bouygues Telecom, Olivier Roussat, avait reproché au régulateur des télécoms, l'Arcep, de lui avoir répondu que le contrat était de droit privé et que ce n'était pas de son ressort, mais de celui de l'Autorité de la concurrence. Une interprétation contestée par cette dernière. Son président, Bruno Lasserre, a rappelé ce jeudi que l'Autorité de la concurrence, saisie par le ministre Arnaud Montebourg, avait rendu un avis sur l'itinérance, jugée « utile, nécessaire au départ, pour permettre à Free de mener une concurrence effective, à armes égales, mais si elle se prolonge, elle peut être une incitation négative et aussi déséquilibrer le marché. » Or « depuis (cet avis), rien ne s'est passé » avait déploré Olivier Roussat. Un regret partagé par Bruno Lasserre. 

« L'Arcep peut mettre en demeure Free. Nous regrettons que rien n'ait été fait depuis notre avis. On aurait pu prendre au mot Free et demander la mise en extinction progressive par plaques, dans les régions réputées couvertes (par le réseau propre de Free Mobile NDLR). Ce n'est pas le rôle de l'Autorité de la concurrence, c'est un travail de régulation. L'Arcep n'a pas de pouvoir juridique mais un pouvoir d'influence » a déclaré jeudi le président de l'Autorité de la Concurrence, s'exprimant dans le cadre du forum télécoms organisé par Les Echos.

Le gendarme des télécoms toujours privé de pouvoir

Assis à ses côtés, Jean-Ludovic Silicani, le président de l'Arcep, a plaidé non coupable, faisant valoir que le régulateur des télécoms « ne peut mettre en demeure Free » car le décret rétablissant son pouvoir de sanction, censuré par le Conseil d'Etat en juillet dernier, « n'a toujours pas été publié », ce qui l'expose au risque d'annulation de ses décisions. En attendant, l'Arcep « vérifie que Free est bien sur une trajectoire d'investissement pour tenir ses obligations de couverture de 75% de la population à une échéance très proche, janvier 2015 : c'est demain matin. » L'Arcep a d'ailleurs ouvert une enquête administrative sur le déploiement de Free Mobile.

« A ce stade, on ne sent pas d'enthousiasme à accélérer le calendrier (d'extinction de l'itinérance) chez l'opérateur qui en tire des revenus significatifs », à savoir Orange, a relevé le président de l'Arcep. « Dès 2015, il faudra regarder dans le détail cette extinction par plaque à partir de 2016 ou 2018. » a-t-il ajouté.

Arnaud Montebourg avait sommé fin janvier Orange et Free de s'y atteler: « 2014 doit être l'année de la négociation des modalités et du calendrier de sortie de l'itinérance » avait-il déclaré. L'Autorité de la concurrence indiquait dans son avis que l'itinérance « ne doit, en aucun cas, être prolongée au-delà d'une échéance raisonnable : 2016 ou 2018. » Free n'ayant de licence qu'en 3G et en 4G, l'itinérance sera maintenue plus longtemps mais pour « les seuls clients disposant de terminaux 2G exclusifs », tant que les usages 2G resteront significatifs.

La juteuse itinérance pour Orange

Du côté d'Orange, qui a perçu 720 millions d'euros de recettes d'itinérance de Free l'an dernier, Pierre Louette, le directeur général adjoint, a souligné qu'il s'agit d'un « contrat entre deux adultes consentants, entre deux entreprises privées. Lorsque le réseau de Free sera vraiment couvrant, il n'y aura plus besoin de plaques. » Aux yeux de l'avocat Jean-Paul Tran Thiet, du cabinet White Case, ce contrat « est un accord de coopération technique qui n'est pas anticoncurrentiel. Si Free a envie de devenir un super MVNO, cela ne pose pas de problème de droit de la concurrence ou contractuel, peut-être au regard de ses obligations réglementaires… »