PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) ou PDV (plan de départs volontaires) ? Les salariés de Bouygues Telecom ne savent pas encore exactement ce qui les attend lors du comité central d'entreprise qui se tient mercredi prochain mais ils n'ignorent pas que la direction va détailler l'impact social du « plan de simplification », présenté en avril, et de la réorganisation qui en découle. Le PDG Olivier Roussat l'a confirmé lors d'une audition à la commission des affaires économiques du Sénat le 28 mai, dont le compte-rendu vient d'être publié : « nous devons réduire de façon drastique nos dépenses. Un comité d'entreprise exceptionnel se réunira le 11 juin : nous annoncerons des réductions d'emplois, condition pour continuer à vivre dans un monde à quatre opérateurs » a-t-il déclaré, en ajoutant « nous sommes exsangues. »
Echec de l'offre sur SFR et la 4G pas à la hauteur des espérances
Y aura-t-il 1.500 ou 2.000 suppressions de postes sur un peu plus de 9.000 salariés comme évoqué par un directeur en interne puis dans la presse ? Plus d'un millier sans doute au minimum, selon les responsables syndicaux, qui anticipent un plan social plus drastique que le PDV de l'été 2012 (550 emplois). L'information devrait leur être communiquée mercredi après-midi avant d'être rendue publique en soirée. « Notre objectif est d'économiser un milliard par an d'ici trois ans : c'est énorme, pour un chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros » a expliqué le PDG devant les sénateurs. Il a également dressé un constat sombre de la situation de l'opérateur : « pour ce qui concerne Bouygues Telecom, aujourd'hui, nos résultats nous placent au quatrième rang » a-t-il reconnu, Free l'ayant dépassé en nombre d'abonnés cumulés (fixe et mobile) et en chiffre d'affaires au premier trimestre.
« Nous sommes confrontés à un problème de taille critique. Pour faire face à nos coûts fixes, c'est-à-dire à l'extension du réseau, il nous faut plus de clients, d'où notre offre de rachat de SFR, qui a échoué. Les résultats en matière de 4G n'ont pas été à la hauteur de nos espérances, l'un de nos concurrents ayant décidé en décembre dernier de galvauder la 4G en proposant un abonnement à 20 euros » a déclaré Olivier Roussat.
En perte opérationnelle de 19 millions d'euros au premier trimestre, Bouygues Telecom « doit donc se réformer pour changer de modèle, car il n'est pas possible de vivre durablement avec des résultats négatifs » insiste le PDG : « nous avons décidé de nous organiser par nous-mêmes pour survivre avec moins de revenus, en réduisant sensiblement la taille de l'entreprise, ce qui aura donc des conséquences sur l'emploi, hélas. »
L'itinérance accordée à Free, « cancer » dont le marché ne se relèvera pas
Le patron de Bouygues Telecom fait surtout le procès des conditions d'entrée « biaisées » de Free Mobile sur le marché, en particulier l'itinérance, l'accord par lequel il loue à Orange son réseau là où il n'a pas encore déployé le sien. Décrivant l'itinérance comme un « cancer » pour le secteur, causant « une concurrence faussée », il indique avoir saisi le Conseil d'Etat et écrit à l'Arcep, le gendarme des télécoms, qu'il charge à plusieurs reprises : il s'insurge que le régulateur lui ait répondu que le contrat relève du droit privé, alors que l'Autorité de la Concurrence avait souligné dans un avis de mars 2013, le fait que cette itinérance ne devait «pas se prolonger au-delà d'une échéance raisonnable 2016 ou 2018. »
« Si l'itinérance n'est pas remise en cause, le marché ne s'en relèvera pas » a lancé le PDG de Bouygues Telecom.
Il dénonce aussi un traitement de faveur accordé à Free, dans le programme de résorption des « zones blanches », ces territoires pas ou peu couverts par un réseau de téléphonie mobile et bénéficiant d'un programme financé par les opérateurs.
« Savez-vous que le dernier opérateur mobile ne paie pas pour les zones blanches ? Alors, pour quelles raisons un Bouygues Telecom appauvri devrait-il couvrir un tiers des dépenses pour installer la 3G sur tout le territoire alors que celui qui a déstabilisé le secteur et qui s'est enrichi n'a rien à payer ? C'est bien sûr scandaleux ! Il faut réviser la convention et s'assurer que les quatre opérateurs investissent » s'est emporté Olivier Roussat devant les sénateurs.
Les rumeurs d'Orange, une opération de déstabilisation ?
« Pourquoi ne pas fusionner avec Orange, alors, et vendre votre réseau à Free ? » lui a demandé sans ambages le sénateur (UMP) de Vendée Bruno Retailleau. Le patron de Bouygues Telecom a répondu par l'ironie :
« Les pouvoirs publics estimaient indispensable d'avoir quatre opérateurs fin 2011 et aujourd'hui il n'en faudrait plus que trois ? Quel est le sens de tout cela ? Si le but était de transférer l'argent d'un opérateur à un autre, c'est réussi, la fortune du patron de Free, Xavier Niel, est faite. Mais où est la logique ? »
L'action Iliad, la maison-mère de Free, n'en finit pas de pulvériser des records : elle flirte avec les 240 euros (+60% depuis janvier et +150% depuis le lancement de Free Mobile), et vaut près de 14 milliards d'euros, alors que le groupe Bouygues dans sa totalité est valorisé 11,5 milliards, la partie télécoms était évaluée entre 4 et 6 milliards d'euros. Quant aux rumeurs de rapprochement avec Orange, Olivier Roussat, sans doute moins bien placé que l'actionnaire, Martin Bouygues, pour répondre, a botté en touche :
« La presse a fait état de discussions avec Orange. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, pour l'instant, elles sont très préliminaires. Nous ne voulons dépendre de personne pour restaurer notre rentabilité et pouvoir réaliser les investissements dont nous avons besoin. »
En interne, le PDG aurait assuré aux salariés que « la direction n'est pas en train de négocier en cachette une vente à Orange », rapporte un cadre. Ces rumeurs sont perçues comme une entreprise de « déstabilisation des clients et des équipes » de la part de la concurrence, comme « une agression commerciale » de rivaux l'imaginant déjà mort et bientôt dépecé. Les propos de Jean-Yves Charlier, le PDG de SFR, se disant prêt à récupérer certains actifs de Bouygues Telecom, en cas de rachat par Orange et de revente du réseau à Free, tels que sa base de clients dans le fixe ou son activité à destination des entreprises, ont été très mal vécus par les salariés de l'opérateur …
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