A Marcoussis, la fibre veut faire oublier un ADSL à bout de souffle

Par Pierre Manière  |   |  1253  mots
Quelque 300 habitants étaient présents, ce lundi, lors d'une réunion publique consacrée à l'arrivée de la fibre.
Dans cette commune de 8.000 âmes non loin de Paris, les habitants peuvent désormais bénéficier d’un Internet à très haut débit grâce à l’arrivée de la fibre. Pour beaucoup, qui devaient parfois se débrouiller avec un ADSL poussif et de mauvaise qualité, il s’agit d’un vrai soulagement.

Marcoussis est à une vingtaine de kilomètres de Paris, et c'est déjà la campagne. Dans cette commune d'environ 8.000 âmes, peu urbanisée, les maisonnettes et pavillons se succèdent le long des rues. L'endroit est paisible, et surtout connu pour accueillir le Centre national du rugby, un cocon où le XV de France s'entraîne avant ses matchs internationaux. Ce lundi, en fin de journée, de petits groupes d'habitants hétéroclites traversent le parc des Célestins, au cœur de la ville. Parmi eux, on trouve des étudiants, des mamans avec bébé, des cadres, des personnes âgées... Tous se rendent à une réunion publique au centre culturel de l'Orangerie. A l'entrée, Olivier Thomas, le maire socialiste, serre des louches. Ce jour-là, il est venu informer ses administrés d'une nouvelle importante: après plusieurs années de travaux, la fibre est enfin disponible.

A 19h, il ne reste plus une place dans l'auditorium. Micro en main, l'édile et une brochette de spécialistes expliquent alors aux 300 habitants présents ce que sont la fibre et le très haut débit. Et surtout comment s'y prendre pour en bénéficier. Dans la foulée, les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) déjà branchés sur le réseau présentent coup sur coup leurs offres. Devant un public attentif, ils vantent « un Internet jusqu'à 1 gigabit par seconde », ou encore « un accès à la télévision haute définition ». Une petite heure plus tard, les habitants se pressent auprès d'hôtesses équipées de tablettes pour savoir s'ils sont bien éligibles à la fibre. Avant de filer dans une autre salle, où les commerciaux des FAI, tous derrière leurs stands, tentent de les séduire à grand renfort d'écrans et de fascicules promotionnels.

« J'en peux plus de ma connexion pourrie ! »

Si la fibre suscite un tel engouement, c'est parce que beaucoup, à Marcoussis, doivent composer avec un ADSL parfois exécrable. Alexis, 30 ans, n'aurait raté cette réunion pour rien au monde. « Je suis un 'gamer', et j'en peux juste plus de ma connexion Internet bien pourrie !, confie cet abonné Orange. J'ai moins de 3 mégas... Du coup, quand ma copine regarde la télé, ça ne passe pas. C'est invivable. » Même son de cloche pour cette jeune maman, minot au bras: « Ici, Internet n'est pas bon, on n'a pas de débit. Cela m'empêche, par exemple, de faire du télétravail », regrette cette cliente de Free.

Ce problème, le maire le connaît bien. « Il y a une vraie attente concernant la fibre car il y a des inégalités d'accès à Internet sur notre territoire, explique Olivier Thomas. Il y a des endroits où l'on peut avoir 15 mégas sans problème. Mais dans certains coins, il n'y a rien du tout: l'ADSL rame, on ne peut même pas regarder la télé. C'est aussi un problème pour les professionnels qui échangent des fichiers très lourds. Pour eux, travailler de chez eux est totalement impossible. »

Des opérateurs alternatifs encore inconnus

Si la fibre est désormais disponible pour presque tous les habitants, ceux-ci sont parfois surpris et déçus de ne pas retrouver parmi les opérateurs disponibles les Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom auxquels ils sont habitués. Aujourd'hui, les seuls FAI disponibles à Marcoussis s'appellent Vitis, Coriolis, Ozone, K-Net, Kiwi et Comcable. Des noms en général totalement inconnus des habitants. A l'instar, de cette dame, un peu perdue: « Mais qu'est ce que c'est que ces sociétés-là ? », ronchonne-t-elle.

Il faut dire que le réseau en fibre de Marcoussis est un réseau dit « d'initiative publique » (RIP), comme c'est le cas pour près de la moitié de la population française qui vit dans les campagnes. Comme les grands opérateurs nationaux, pour des raisons de rentabilité économique, n'ont pas voulu y déployer leurs propres infrastructures, c'est la collectivité qui s'en est chargée, en bénéficiant d'aides de l'Etat. Bâti et géré par l'industriel Covage, qui a remporté un appel d'offres, ce nouveau réseau est neutre et ouvert à tous les opérateurs. Mais les Orange, Free, SFR et Bouygues Telecom ne veulent pas tout de suite y commercialiser leurs offres, jugeant que ces zones peu peuplées - et donc moins rentables - ne sont pas prioritaires.

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Cette situation, un grand nombre d'habitants ne la comprennent pas. Âgées de 67 et 73 ans, Françoise et Gisèle, fidèles d'Orange depuis des lustres, se demandent bien pourquoi leur opérateur ne propose pas encore le très haut débit à Marcoussis, alors qu'elles voient « partout leurs publicités pour la fibre ». Elles ne cachent pas, comme beaucoup d'autres, qu'elles auraient aimé retrouver leur Orange national. « On les connaît, ils sont installés », affirment-elles, y voyant un gage de confiance.

Pour Olivier Thomas, le fait que les « majors », comme il les qualifie, ne soient pas encore là est un problème. « C'est des emmerdements administratifs, car ceux qui veulent passer à la fibre doivent bien sûr résilier leur abonnement actuel et en prendre un autre », maugrée-t-il. Avant d'enchaîner: « Les grands FAI n'ont pas voulu venir parce qu'ils voulaient être propriétaires [du réseau, NDLR]. Eh bien non ! Chez-nous, ça ne se passe pas comme ça. Ici, la fibre, elle est publique, tout comme les tuyaux d'assainissement des rues... » Toutefois, il assure que les Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom finiront bien par proposer leurs offres. Quand ? « Lorsqu'ils auront perdu suffisamment de clients! », parie-t-il.

Bataille commerciale

En attendant, les opérateurs alternatifs bénéficient d'un boulevard pour ferrer un maximum d'abonnés. A la tête de Vitis, un FAI spécialisé dans les zones rurales, Mathias Hautefort et ses commerciaux sont sur le pied de guerre. Son objectif: convaincre les habitants que son offre est meilleure que celles de ses concurrents, et les ajouter au plus vite à son fichier clients. « S'ils ont satisfaits, ils essaimeront autour d'eux, ils parleront de nous à leurs voisins », affirme-t-il. Pour se différencier, l'opérateur mise sur son offre de cinéma, de sport et de séries. Dans son stand, un grand panneau a ainsi été déployé pour vanter son nouveau partenariat avec OCS, le bouquet de chaînes de télévision d'Orange, qui diffuse plusieurs blockbusters comme Game of Thrones.

Même si les grands FAI ne sont pas présents sur ces terres, les opérateurs alternatifs ont souvent la dent dure contre eux. C'est particulièrement vrai vis-à-vis d'Orange, qui dispose dans les territoires ruraux de très importantes parts de marché dans l'ADSL. Beaucoup reprochent à l'opérateur historique de procéder à des campagnes d'appels pour réengager ses clients juste avant que la fibre soit disponible, pour éviter de les perdre. Des critiques balayées par Orange, qui jure que les coups de fil de ses commerciaux ne sont ni ciblés, ni effectués de manière opportune: « La vérité, c'est qu'on fait tout le temps des campagnes d'appels pour tous nos produits et partout où nous sommes présents », affirme une source proche de l'état-major. Quoi qu'il en soit, ces passes d'armes montrent que la bataille de la fibre fait plus que jamais rage dans les villages et les zones les moins denses du territoire.