Fiscalité du numérique : la "taxe Gafa" divise l'Union européenne

Par Anaïs Cherif  |   |  971  mots
Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques, à Bruxelles le 21 mars 2018 lors de la présentation du projet de taxation des entreprises numériques. (Crédits : Reuters)
La fiscalité du numérique fait débat au sein de l'Union européenne. La Commission avait proposé fin mars une taxe provisoire de 3% sur les revenus générés en Europe par des entreprises tech. Un projet auquel s'opposent les pays nordiques, mais aussi les pays à la fiscalité avantageuse comme le Luxembourg, l'Irlande et Malte.

Taxer les entreprises numériques ? L'idée est loin de faire l'unanimité au sein des 28 États membres de l'Union européenne. Derniers contestataires en date : la Suède, la Finlande et le Danemark. Les ministres des Finances des trois pays nordiques ont manifesté ce vendredi 1er juin leur opposition au projet de taxation des géants du numérique présenté fin mars par la Commission européenne. Il se décompose en deux volets : une approche juridique, en définissant la "présence numérique" des entreprises, et une approche budgétaire, avec une taxe provisoire de 3% sur les revenus générés en Europe. L'objectif de la Commission est d'instaurer cette taxe d'ici fin 2018.

"Une taxe sur les services numériques s'écarterait des principes fondamentaux de l'impôt en ne s'appliquant qu'au chiffre d'affaires - sans prendre en compte le fait de savoir si le contribuable réalise un bénéfice ou non", écrivent la ministre suédoise des Finances Magdalena Andersson et ses collègues du Danemark et de la Finlande, Kristian Jensen et Petteri Orpo, dans un communiqué commun, rapporte Reuters.

De plus, le trio nordique estime que la taxe proposée jouerait contre les intérêts de l'Europe en compliquant la coopération internationale en matière de fiscalité et en risquant de déclencher des mesures de représailles des partenaires de l'UE.

« L'idée que les entreprises du numérique puissent se détourner de l'Europe n'a pas de sens, notamment parce que nous représentons un marché de 500 millions d'utilisateurs », affirmait à La Tribune Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques, en marge d'une visite du salon VivaTech la semaine dernière.

Selon ses estimations, la taxe pourrait générer entre 5 à 8 milliards d'euros pour le budget européen. Un "montant substantiel mais qui n'est pas confiscatoire", estimait Pierre Moscovici.

Luxembourg, Malte, Irlande : tous opposés à la taxe

Sans surprise, le Luxembourg s'est aussi opposé cette semaine à la proposition de taxation.

« Nous devrions éviter les solutions provisoires à court terme qui rendent les décisions permanentes encore plus difficiles à prendre », a estimé mercredi 30 mai le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel, lors d'un discours sur l'avenir de l'Europe devant les eurodéputés à Strasbourg, rapporté par l'AFP.

Malte et l'Irlande, accusés de tirer profit de leur fiscalité avantageuse vis-à-vis de ces entreprises, sont également opposés au projet de la Commission. De quoi bloquer la proposition de taxation, car les décisions en matière de fiscalité dans l'UE doivent être adoptées à l'unanimité. « On ne bloque pas pour bloquer, car croyez-moi que les Gafa (ndlr : acronyme désignant Google, Apple, Facebook, Amazon), ce n'est pas un dossier luxembourgeois, loin de là », s'est défendu le ministre luxembourgeois, pour balayer les accusations de "paradis fiscal" lancées par certains eurodéputés. Avant d'insister : « Le Luxembourg est tout à fait d'accord que les Gafa doivent être taxés. » À l'instar des pays nordiques, le Luxembourg plaide pour une discussion générale au niveau de l'OCDE (l'Organisation de coopération et de développement économiques).

La Commission veut "légiférer sans attendre"

« Je suis d'accord qu'il faille travailler dans le cadre de l'OCDE et dans celui du G20 », assurait à La Tribune Pierre Moscovici, se disant "ouvert au compromis" avec les États membres de l'UE pour parvenir à un accord.

« Mais nous devons légiférer ensemble et sans attendre. Si nous attendons encore quelques années, nous allons nous retrouver avec un gruyère européen où un certain nombre d'États membres auront mis en place leurs propres taxes, pendant que d'autres continueront à développer des pratiques d'attractivité qui creuseront encore le fossé au sein du marché intérieur », a alerté le commissaire européen.

Un point de vue partagé par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. « On ne peut pas continuer à accepter que les géants de l'internet payent 8% d'impôts et que les PME payent 30%. C'est injuste et inéquitable, il faut rectifier le tir », a-t-il martelé mercredi dans l'hémicycle européen. Certaines entreprises technologiques opérant en Europe - dont les Gafa - sont accusées de payer très peu d'impôts. La cause : elles se livrent à de l'optimisation fiscale en profitant des disparités du système actuel, leur permettant de transférer une partie de leurs bénéfices vers des États membres à faible imposition, comme l'Irlande et le Luxembourg.

Définir une "présence numérique"

Dans le projet présenté fin mars, la Commission posait deux seuils à remplir pour être éligible à la taxe : avoir des recettes annuelles mondiales s'élevant à 750 millions d'euros et générer des recettes dans l'UE d'au moins 50 millions d'euros. Cette taxe serait provisoire, avant de mettre en place une réforme fiscale d'envergure. En parallèle, la Commission propose de combler un vide juridique en définissant la "présence numérique" des entreprises opérant sur le sol européen.

Actuellement, le droit européen définit uniquement une "présence physique" - comme les bureaux, les magasins ou le siège social. Celle-ci permet à un État-membre de taxer l'entreprise en question, mais la notion se retrouve dépassée à l'heure où les entreprises technologiques opèrent dans plusieurs pays, sans avoir nécessairement des bureaux physiques. Par exemple, une société comme Facebook dispose d'un siège social à Dublin, pour autant le fleuron de la Silicon Valley opère dans toute l'Europe. La Commission européenne propose donc une définition juridique de la présence numérique, qui viendra s'ajouter à la présence physique. En l'absence de présence physique, une entreprise sera imposable sur ses activités numériques.

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